Maronites, coptes, melkites, chaldéens… Il n’est pas facile de s’y retrouver entre les différentes communautés chrétiennes du Moyen-Orient. Voici un guide pour aider à s’y reconnaître

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:03:24

On estime qu’entre fidèles autochtones et immigrés, près de 15 millions de chrétiens vivent actuellement au Moyen-Orient. Dans certains pays (Irak, Syrie), les chiffres sont en forte baisse ; il y a même un risque d’extinction. Dans d’autres pays, les chrétiens ont du mal à survivre. Mais ils sont de plus en plus nombreux dans le Golfe et dans la Péninsule arabique, essentiellement du fait de l’afflux de travailleurs importés d’Asie et d’Europe.

L’origine des divisions

Une des caractéristiques majeures de la présence chrétienne au Moyen-Orient est sans aucun doute son extrême diversité. À la fin de l’Antiquité, le Proche-Orient – qui faisait partie de l’Empire romain – était le centre du monde chrétien : les sièges patriarcaux d’Alexandrie, d’Antioche (aujourd’hui Antakya dans la province de Hatay en Turquie) et de Constantinople (fondée en 330 après J.-C. et devenue Istanbul) brillaient de tout leur éclat à côté de celui de Rome. C’est en Orient également que s’étaient tenus les deux premiers conciles œcuméniques, respectivement à Nicée (325) et à Constantinople (381). La doctrine de la Trinité y avait été définie contre l’hérésie arienne, avec le « symbole » dit de Nicée-Constantinople, c’est-à-dire le Credo qui est récité aujourd’hui encore à la messe du dimanche. L’unité vola en éclats avec les controverses christologiques du Ve siècle. Au cœur du débat : la question du rapport entre la nature humaine et la nature divine en Jésus-Christ. De quelle manière pouvaient-elles être unies ? Sur la longue durée, cette question devait stimuler une réflexion féconde qui est, entre autres, à l’origine du concept moderne de personne, inconnu dans le monde antique. Dans l’immédiat, toutefois, on vit se confronter plusieurs formulations dogmatiques, que l’on peut répartir entre trois « familles ».

Aujourd’hui, ces formulations peuvent être reçues comme des approximations successives et qui ne se contredisent pas, bien qu’elles ne soient pas identiques ni parfaitement superposables. Mais à l’époque, des antipathies ou des ambitions personnelles et surtout des calculs politiques prévalurent. D’un côté, il y avait l’Église de langue latine et surtout grecque, qui étaient fortement influencées par la protection impériale ; de l’autre, l’Église de Perse avait intérêt à marquer sa distance par rapport à Constantinople, de manière à éloigner tout soupçon de représenter une cinquième colonne « romaine » au cœur de l’Empire perse sassanide. Enfin, de nombreux peuples du Proche-Orient, comme les Égyptiens, les Arméniens ou les Syriaques, étaient en train de récupérer, justement grâce au christianisme, leur identité propre après des siècles d’hégémonie hellénistique sur les plans culturel et politique. Dans bien des cas, la différence théologique devint ainsi une manière d’exprimer la requête d’une plus grande autonomie vis-à-vis de Constantinople. Cette lutte qui sévit longtemps fut certainement l’une des causes qui favorisèrent au VIIe siècle les conquêtes arabes et finalement l’effondrement de l’Empire romain d’Orient.

1. La ligne syro-orientale (« nestorienne »)

La crise éclata à l’improviste en 428, lorsque le patriarche de Constantinople Nestorius refusa de reconnaître à Marie le titre de Theotókos (« Mère de Dieu »), soutenant que la Vierge ne pouvait être appelée que « Mère du Christ ». Nestorius introduisait ainsi une nette division entre la nature humaine et la nature divine dans le Christ. C’est surtout à l’initiative de Cyrille d’Alexandrie, patriarche du siège égyptien, que fut convoqué en 431 à Éphèse un concile œcuménique qui réaffirma la légitimité du titre de Theotókos attribué à Marie et condamna Nestorius1. Mais le concile laissa dans son sillage une série de polémiques dues à la gestion unilatérale de Cyrille. L’Église de Perse, de langue syriaque et qui avait adopté la théologie de l’école d’Antioche d’où Nestorius était issu, n’avait pu participer au concile, pour des raisons contingentes.

Près de cinquante ans plus tard, lors du synode de Séleucie en 486, cette Église adopta officiellement la formule nestorienne, non sans divergences et oppositions qui se prolongèrent jusqu’au VIIe siècle. Organisée autour d’un catholicós, cette Église « nestorienne » fit preuve au Moyen Âge d’un grand dynamisme missionnaire, progressant jusqu’en Chine. Mais après l’invasion des Mongols de Tamerlan (XIVe siècle), elle subit une dure persécution et dut se replier dans la région de la Haute-Mésopotamie (Mossoul en particulier) et de la Turquie orientale, instituant un patriarcat héréditaire, d’oncle à neveu. En 1553, une partie de cette Église entra en communion avec Rome, mais les difficultés de communication et les persécutions ne permirent pas de maintenir l’union. Ce n’est qu’au XIXe siècle que fut reconstituée de façon stable une Église chaldéenne2 unie à Rome, avec un patriarche résidant dans un premier temps à Mossoul, puis, à partir de 1947, à Bagdad.

C’est à cette Église chaldéenne qu’appartiennent aujourd’hui la plupart des chrétiens présents en Irak. Parallèlement à celle-ci, il existe une Église « sœur » non unie à Rome, qui s’est partagée en 1964 en deux nouvelles Églises : l’Église assyrienne d’Orient, dont le patriarche réside désormais à Chicago, et l’Antique Église d’Orient, dont le siège est à Bagdad. En 1994, Jean-Paul II et Dinkha IV, patriarche de l’Église assyrienne d’Orient, ont signé une déclaration commune qui a mis fin à la controverse christologique. En 2015, dans le contexte du génocide perpétré par l’État Islamique dans le nord de l’Irak, le patriarche chaldéen Louis Sako a proposé de réunifier les trois Églises de tradition syro-orientale en une unique Église d’Orient, unie à Rome, se déclarant prêt à renoncer lui-même à sa charge. L’Église catholique syro-malabare3, présente dans l’état du Kérala en Inde et en union avec Rome, appartient-elle aussi à cette famille syro-orientale.

2. La ligne miaphysite (« jacobite »)

Le Concile d’Éphèse de 431 ne résolut pas la question christologique. Si Nestorius avait distingué à l’excès entre nature humaine et nature divine, la balance penchait désormais du côté opposé. Le moine Eutychès, très influent à la cour de l’empereur d’Orient Théodose II, affirma que, dans le Christ, la nature divine annulait la nature humaine, enseignant ainsi le monophysisme (« une seule nature »). Cette doctrine fut condamnée par le patriarche de Constantinople Flavien dans un synode local en 448. Mais l’année suivante (449), le patriarche d’Alexandrie Dioscore, qui soutenait Eutychès, parvint à convoquer un concile à Éphèse, au cours duquel le monophysisme fut imposé par la force. Flavien ne put lire la lettre que le pape Léon lui avait envoyée et qui condamnait le monophysisme. Déposé, il mourut peu après des coups qu’il avait reçus. Face à ce scandale, le pape Léon annula le concile, en le qualifiant, sous le nom qui lui est resté, de « brigandage d’Éphèse ».

Deux ans plus tard (451), profitant de la mort de l’empereur Théodose II et de l’arrivée sur le trône de Marcien, le pape parvint à convoquer un nouveau concile à Chalcédoine (aujourd’hui Kadiköy, un faubourg d’Istanbul), auquel il ne put toutefois pas participer personnellement, étant retenu en Italie par la menace que faisaient peser les Huns d’Attila. En cette occasion, et sous l’impulsion des légats pontificaux, le concile condamna Eutychès et Dioscore, réhabilita Flavien et adopta les termes de la lettre que Léon avait adressée à Flavien : « Elle est en effet en harmonie avec la confession du grand Pierre, et constitue pour nous une colonne commune ». En conséquence, le concile enseignait que l’unique Christ a « deux natures, sans confusion, sans changement, sans division, sans séparation ». Un grand théologien contemporain commente : « Dieu et homme non séparés, mais non confondus ; [c’est une] christologie biblique, procréée dans une forme de pensée grecque, sous l’inspiration pontificale romaine »4.

La formule de Chalcédoine ne fut pas toutefois accueillie en Égypte, où la plus grande partie de l’Église locale, surtout d’obédience monastique, préféra s’en tenir à l’expression de Cyrille : « unique nature incarnée du Dieu Verbe ». Cette formule est dite miaphysite (« une nature »), et ne doit pas être confondue avec la position monophysite d’Eutychès et de ses adeptes, car le terme « nature » chez Cyrille n’a pas le même sens que dans l’expression adoptée à Chalcédoine. Ce point, qu’avaient déjà relevé certains Pères de l’Église comme Jean Damascène, a abouti en 1973 à la signature d’une déclaration commune entre Paul VI et Chenouda III, patriarche de l’Église copte5.

Le document, tout en admettant l’existence de différences théologiques, reconnaît la compatibilité substantielle des deux formules6. Il est significatif que ce texte ait été rappelé dans la déclaration commune signée au Caire le 28 avril 2017 pendant la visite du pape François en Égypte. Dans cette nouvelle déclaration, le pape François et le pape Tawadros II, successeur de Chenouda III à la tête de l’Église copte, déclarent aussi qu’ils chercheront « à ne plus répéter le baptême qui a été administré dans nos respectives Églises pour toute personne qui souhaite rejoindre l’une ou l’autre […] en obéissance aux Saintes Écritures et à la foi des trois Conciles œcuméniques célébrés à Nicée, à Constantinople et à Éphèse » (n° 11)7

Mais sur le terrain, ce furent les forces favorables à la division qui prévalurent. En Égypte, puis peu après en Syrie, deux hiérarchies parallèles et concurrentes se mirent ainsi en place : l’une acceptait le concile de Chalcédoine, l’autre le refusait. Pour la Syrie, l’évêque Jacques Baradée joua un rôle décisif – d’où le nom de « jacobites » attribué de façon polémique à l’Église miaphysite. Plus tard (au VIe siècle), l’Église arménienne, qui n’avait pu envoyer ses délégués à Chalcédoine à cause de l’invasion perse, adopta, elle aussi, la position miaphysite. De la ligne non-chalcédonienne dérivent aujourd’hui : 1. L’Église copte-orthodoxe (patriarcat d’Alexandrie, à présent transféré au Caire), qui est la plus nombreuse des communautés chrétiennes du Moyen-Orient ; 2. L’Église syro-orthodoxe (patriarcat d’Antioche, actuellement transféré à Damas), qui est présente essentiellement en Syrie et dans le Nord de l’Irak ainsi que dans la région du Tur ‘Abdin en Turquie ; et 3. L’Église apostolique arménienne, elle-même organisée en deux catholicòï (l’un d’Etchmiadzin en Arménie – le plus important –, et l’autre de Cilicie, actuellement transféré au Liban)8.

Dès l’Antiquité, l’Église copte-orthodoxe, dont le patriarche porte le titre de pape d’Alexandrie et de la prédication marcienne, dirigea son activité missionnaire en remontant la vallée du Nil, jusqu’à l’Éthiopie et l’Érythrée, où deux Églises autocéphales (indépendantes) de tradition copte, donc miaphysites, ont aujourd’hui leur siège. Dès 1665, l’Église syro-orthodoxe a noué des rapports étroits avec le Kérala (Inde), où l’Église orthodoxe syro-malankare est actuellement en communion avec le patriarcat d’Antioche9.

Dans leur ensemble, ces Églises sont appelées « orthodoxes orientales », pour les distinguer des Églises orthodoxes de tradition byzantine (les Églises grecque, russe, géorgienne, bulgare, etc.). Avec la Réforme catholique des XVIe-XVIIe siècle, les missionnaires latins envoyés au Moyen-Orient cherchèrent à réunir à Rome chacune de ces Églises. Mais les unions ont été seulement partielles et ont donné naissance à cinq Églises catholiques de rite oriental : l’Église copte-catholique (1895, mais la première communauté remonte à 1741, avec son siège patriarcal au Caire), l’Église syro-catholique (1783, mais la première tentative date du 1662, siège patriarcal historique au monastère de Charfeh au Liban, maintenant à Beyrouth), l’Église arménienne-catholique (1742, avec son siège patriarcal à Bzommar au Liban), l’ Église éthiopienne-catholique (1961, mais ses origines remontent au XVIe siècle)10 et, en Inde, l’Église syro-malankare (1932). Chacune d’elles a la même liturgie que sa « sœur » orthodoxe orientale, mais reconnaît l’autorité du pape et les conciles œcuméniques.

3. La ligne chalcédonienne (« melkite »)

Les patriarcats de Constantinople et de Rome donnèrent une adhésion sans réserve au concile de Chalcédoine. Leurs fidèles furent traités par leurs adversaires de « melkites », c’est-à-dire « hommes du roi », parce qu’ils suivaient la ligne officielle de l’empereur, même si cette ligne suivit plusieurs oscillations au cours des Ve et VIe siècles11. Comme dit plus haut, la position miaphysite ne fut pas adoptée par l’ensemble des Églises d’Égypte et de Syrie. Ceci entraîna un premier dédoublement des patriarcats d’Alexandrie et d’Antioche, avec un siège chalcédonien, généralement de langue grecque, et un siège miaphysite, de langue copte ou syriaque. De surcroît, une partie de l’Église d’Antioche de langue syriaque et d’orientation monastique fit également sienne l’orthodoxie chalcédonienne : c’est là l’origine de l’Église maronite, qui est présente aujourd’hui surtout au Liban, et dont le nom est censé remonter au moine et ascète Maron, mort vers 410 dans le nord de la Syrie.

À partir de 626, l’empereur Héraclius, en campagne pour reprendre la Syrie et l’Égypte aux Perses, tenta de surmonter la division entre « jacobites » et « melkites » en suggérant une formule d’union : on y affirmait l’existence dans le Christ de deux natures, mais d’une seule énergie ou volonté : c’est la doctrine du monothélisme12. Après l’attitude ambiguë du pape Honorius (626-638) qui, sans saisir l’enjeu, réduisait le problème à une simple question de vocabulaire, le monothélisme se heurta à l’opposition déterminante de Maxime le Confesseur (580-662). Celui-ci, en payant de sa vie son opposition au diktat impérial, « affranchit toute la tradition chrétienne grecque de l’emprise déformante de l’intégrisme politique »13.

Cette période obscure, durant laquelle le siège romain, pendant des décennies, demeura le seul à soutenir l’orthodoxie chalcédonienne, se termina sur la condamnation du monothélisme au troisième Concile œcuménique de Constantinople (680-681). L’Église maronite, fidèle à l’empereur et à Chalcédoine, adopta la position monothélite qui, sous Héraclius, se présentait en Orient comme la ligne orthodoxe. Mais elle ne put participer aux débats successifs, car elle fut immédiatement isolée par l’invasion arabe de 634 et par l’état de guerre endémique entre arabes et byzantins, qui se prolongea sans interruption pendant plus d’un siècle : elle devait n’apprendre que plus tard la condamnation du monothélisme14. Toujours du fait des conquêtes arabes, les patriarcats « melkites » d’Antioche, de Jérusalem et d’Alexandrie, tous de langue grecque, restèrent coupés de l’Empire byzantin et adoptèrent rapidement l’arabe comme langue de leur liturgie et de leur production théologique, tandis que les autres Églises sous domination musulmane manifestèrent une tendance à conserver leur propre langue d’origine (syriaque et copte) pendant quelques siècles encore. Ce caractère d’arabité de l’Église « melkite » au Moyen-Orient subsiste jusqu’à nos jours. En 1054, dans un contexte de tension croissante entre les chrétientés latine et grecque, le patriarche de Constantinople et le pape s’excommunièrent réciproquement. Cet épisode, connu comme le schisme d’Orient, est à l’origine de la division de la ligne chalcédonienne en deux grandes branches : l’Église catholique et les Églises orthodoxes.

En dépit de quelques tentatives de réconciliation comme le concile de Ferrare-Florence (1438-1439), la séparation persista, et l’excommunication ne fut révoquée qu’en 1965 par Paul VI et le patriarche Athénagoras de Constantinople. Peu après le schisme d’Orient commencèrent les Croisades, lesquelles eurent, entre autres, l’effet de resserrer les liens entre la chrétienté latine et l’Église maronite, laquelle avait entretemps transféré son siège patriarcal au Mont Liban. Plus tard, en 1580, le synode de Qannûbîn reconnut les décisions du Concile de Trente. Cette acceptation, tout comme la création du Collège maronite à Rome, ouvrit la voie à une période d’intense renouveau spirituel et culturel qui prépara le terrain au Risorgimento arabe (Nahda) dans le Levant15. Ce furent par exemple les maronites et les « melkites » qui introduisirent l’imprimerie dans le monde arabe16. Le synode maronite de Rayfûn (1736) approuva une nouvelle réforme dans le gouvernement des diocèses et depuis 1823, le patriarcat a son siège à Bkerke au Liban.

Au Moyen-Orient, le patriarcat « melkite » d’Antioche, qui entretemps avait déplacé son siège effectif à Damas, oscilla longtemps entre Rome et Constantinople. Toujours dans le cadre de la réforme catholique, les missionnaires européens travaillèrent pour réaliser l’union intégrale avec Rome, qui faillit aboutir en 1724 avec l’élection du patriarche d’Antioche Cyrille VI Tanas, mais se solda par un échec partiel. Le résultat fut un nouveau dédoublement du patriarcat « melkite » d’Antioche en deux branches, connues habituellement sous les noms de grecque-catholique et grecque-orthodoxe – termes toutefois totalement impropres du point de vue linguistique, puisqu’il s’agit en réalité de deux Églises byzantines de langue arabe17. Ainsi, le patriarcat d’Antioche est divisé aujourd’hui entre cinq Églises : trois chalcédoniennes (grec-catholiques, grec-orthodoxes, maronites) et deux originellement non chalcédoniennes (syro-catholiques et syro-orthodoxes). Cette division est particulièrement douloureuse, car ce fut dans cette ville que « pour la première fois les disciples furent appelés chrétiens » (Actes 11, 26)18.

Les Latins

Un autre résultat des croisades fut l’établissement d’une présence latine en Orient. Même si des personnalités comme le dominicain André de Longjumeau, légat d’Innocent IV en Orient, avaient suggéré de ne pas doubler la hiérarchie locale, les croisés instituèrent leurs propres diocèses avec un clergé latin. Après la fin des royaumes croisés, cette hiérarchie fut balayée: le dernier Patriarche latin de Jérusalem mourant en 1291 à Acre, lors de l’évacuation de la ville. Toutefois, la présence de la chrétienté occidentale fut garantie par la Custodie franciscaine de Terre Sainte et par d’autres ordres religieux, en particulier les dominicains, les carmes et, plus tard, les jésuites.

À l’époque contemporaine, le Saint-Siège a institué au Moyen-Orient quelques diocèses de rite latin, en général sous la forme d’un vicariat apostolique (c’est-à-dire avec un représentant direct du pape), pour éviter de se superposer aux hiérarchies locales. Aujourd’hui, les deux diocèses latins les plus importants au Moyen-Orient, du point de vue du nombre de fidèles, sont sans aucun doute les vicariats apostoliques d’Arabie septentrionale et d’Arabie méridionale, tandis qu’en Terre Sainte a été rétabli en 1847 le patriarcat latin de Jérusalem, qui étend sa juridiction sur Israël et Palestine, mais aussi sur la Jordanie – où réside le plus grand nombre de fidèles – et sur Chypre. Par contre ne 1964 le Pape Paul VI abolit, dans l’esprit œcuménique du Concile Vatican II, les trois autres patriarcats latins établis par les Croisés en Orient et qui n’avait qu’une valeur honorifique depuis des siècles : Constantinople, Alexandrie et Antioche (qui avant 1964 avait donc six titulaires).

Les évangéliques

Après la Réforme protestante, les anglicans et les luthériens eux aussi instituèrent leur propre hiérarchie au Proche-Orient19. À partir du XIXe siècle, certains dénominations américaines, dont les presbytériens, lancèrent d’intenses campagnes missionnaires, dont le foyer était le Syrian Protestant College de Beyrouth (fondé en 1866, aujourd’hui American University of Beyrouth)20. Quelques intellectuels orientaux, notamment maronites, adhérèrent au protestantisme ; une collaboration d’importance majeure s’instaura entre Cornelius Van Dyck (1818-1895) et Butros al-Bustânî (1819-1883) : elle déboucha sur la plus célèbre traduction moderne de la Bible en arabe, qui a été décisive pour la création d’une langue littéraire contemporaine. Toujours aux missions protestantes se rattache la fondation de l’American University in Cairo (1919), qui toutefois assuma presque immédiatement une orientation non-confessionnelle. Tandis que les dénominations protestantes historiques ont perdu aujourd’hui une grande partie de leur dynamisme, de nombreuses communautés évangéliques sont en train de se développer au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Synthèse

Nous pouvons récapituler cette histoire embrouillée en prenant comme point de repère la situation actuelle de l’Église catholique au Moyen-Orient (sans donc tenir compte de l’Éthiopie et de l’Inde). En cette région du monde, elle se déploie à travers sept rites, chacun organisé autour d’un patriarche nommé par l’assemblée des évêques (synode), mais confirmé par le pape. Ces rites – et les Églises qui les pratiquent – sont :

  • chaldéen ;
  • copte ;
  • syriaque ;
  • arménien ;
  • melkite ;
  • maronite ;
  • latin.

À l’exception du maronite et du latin, chacun de ces rites a, pour des raisons historiques, une Église « jumelle » orthodoxe :

  • Église assyrienne d’Orient et Antique Église d’Orient
  • Église syro-orthodoxe ;
  • Église copte-orthodoxe ;
  • Église arménienne apostolique ;
  • Église grecque-orthodoxe (répartie au Moyen-Orient entre quatre patriarcats : Constantinople, Antioche, Jérusalem, Alexandrie).

À ces Églises viennent s’ajouter les communautés nées de la Réforme : luthériens, anglicans, et, à l’époque contemporaine, les différents mouvements pentecôtistes. Il reste à signaler que chacune de ces Églises historiques, qu’elle soit catholique ou non, a développé une diaspora consistante, surtout en Europe, aux Amériques et en Australie. Cette diaspora s’est à son tour organisée en diocèses. C’est le cas par exemple du diocèse copte-orthodoxe de Milan.

Un bilan

Dans le feu des controverses christologiques, les trois Églises se sont combattues durement, se lançant des épithètes injurieuses (« melkites », « nestoriens », « jacobites »)21. Selon plusieurs chercheurs, dont le grand islamologue Josef van Ess22, la naissance même de l’islam peut en partie s’expliquer par le sentiment qu’en se divisant en trois Églises, le christianisme oriental s’était engagé dans une impasse et n’avait plus d’avenir. Aujourd’hui, après plus d’un siècle d’œcuménisme, les Églises du Moyen-Orient partagent mieux la mémoire des événements qui les ont séparées et dont les enjeux échappent désormais à la compréhension de la plupart des fidèles. Le poids des difficultés de communication à l’époque prémoderne n’est pas à sous-estimer dans ces vicissitudes. Sa‘īd Ibn Batrīq (Eutychius, 877-940), patriarche melkite d’Alexandrie, se plaint par exemple dans ses Annales de l’interruption de nouvelles concernant le siège de Rome. Et son continuateur Yahyā al-Antakī lui fait écho lorsqu’il écrit vers 1030 à Antioche – juste avant le Schisme d’Orient :

Quant aux patriarches de Rome, leurs noms ne me sont pas parvenus avec certitude. En effet, le patriarche Sa‘īd Ibn al-Batrīq les a nommés, l’un après l’autre, depuis Pierre, chef des apôtres, jusqu’au patriarche Ghābiyūs23, à l’époque duquel eut lieu le sixième concile [= Constantinople III, 680-681]. […] Mais il ne dit pas qui lui succéda […]. On n’omit pas d’inscrire ce Ghābiyūs dans les diptyques depuis la convocation du sixième concile jusqu’à l’époque postérieure à la mort du patriarche Sa‘īd Ibn Batrīq [940], pendant un long temps dont la durée n’est pas précise. Après lui, on mentionne un autre patriarche nommé Benoît : et on ne cessa pas d’inscrire son nom dans les diptyques jusqu’après la 390e année de l’hégire [1000 ap. J.-C.]. Après Benoît, il y a eu un certain nombre de patriarches ; mais ni le nom, ni le souvenir d’aucun d’eux n’a été rappelé dans le pays d’Égypte et de Syrie à cause du manque de leurs nouvelles et de l’éloignement de leur pays24.

Ce sont aussi (et peut-être surtout) ces difficultés pratiques qui expliquent l’éloignement progressif des différentes communautés chrétiennes dans la région. Il reste que, du point de vue de l’historien, la présence ecclésiale en Orient se signale par des contributions d’une richesse exceptionnelle en matière de théologie, de liturgie et de spiritualité, et aussi par une inculturation remarquable de la foi chrétienne dans les traditions des différents peuples du Moyen-Orient ancien. Dans ses expressions les plus élevées, ce christianisme oriental incarne l’idéal de l’unité dans la pluralité, en dépit de persécutions particulièrement sévères (il suffit de penser aux massacres des maronites en 1860 au Liban et en Syrie, aux attaques récurrentes contre les coptes ou au génocide arménien et syriaque durant la Première Guerre mondiale). Or il faut reconnaître que cette richesse est devenue aujourd’hui un fardeau qui risque de compromettre la survie même de ces communautés. « En Orient, nous serons unis ou nous ne serons plus », avaient écrit les patriarches catholiques d’Orient dans leur première lettre pastorale en 1991. Les développements de ces dernières années amènent à se demander si le tragique de la seconde hypothèse n’est pas en train devenir de plus en plus dangereusement crédible. Toutefois, les dernières persécutions ont justement nourri une expérience renouvelée de ce que le pape François a appelé à plusieurs reprises « l’œcuménisme du sang ».

Il est permis d’espérer que ces épreuves permettront de porter un regard neuf sur une histoire qui est faite certes de divisions, mais aussi et surtout du désir de rester fidèle à l’Évangile dans un contexte souvent hostile.

Pour en savoir davantage

Oasis, n° 22 (2015) : « La croix et le drapeau noir ».

Samir Khalil Samir, Rôle culturel des chrétiens dans le monde arabe, CEDRAC, Beyrouth, 2003.

Christian Cannuyer, Les Coptes, Brepols, Tournai, 1998.

Bernard Heyberger, Chrétiens du monde arabe. Un archipel en terre d’islam, Autrement, Paris, 2003.

Antoine Fleyfel, Géopolique des chrétiens d’Orient, L’Harmattan, Paris, 2013.

Notes

1 Pour célébrer les décisions du concile, on érigea à Rome la basilique de Sainte-Marie-Majeure.
2 La Chaldée était dans l’antiquité la Basse-Mésopotamie. En 1445, le terme fut choisi pour désigner les fidèles « nestoriens » qui résidaient à Chypre et qui avaient accepté l’union avec Rome. Cette union, toutefois, ne dura que peu de temps.
3 La côte du Malabar est une partie du littoral occidental de l’Inde, entre Goa et le cap Comorin.
4 Hans Urs von Balthasar, Massimo il Confessore. Liturgia cosmica, Jaca Book, Milano 2001, p. 40 (traduction française : Maxime le Confesseur. Liturgie cosmique, Cerf, Paris 1950). Dans le texte de Chalcédoine, il y a une référence explicite au siège de Rome comme garant de l’orthodoxie.
5 Le mot « copte » est formé à partir du nom (Aïgyptos) donné par les Grecs anciens aux habitants de l’Égypte.
6 Une seconde déclaration analogue a été signée par Jean-Paul II et par le patriarche syro-orthodoxe Ignatius Zakka I Iwas en 1984. D’autres déclarations ont été signées avec l’Église syro-malakare (1990) et l’Église arménienne (1996).
7Cliquez ici pour lire le texte complet de la déclaration. On peut espérer que cette déclaration, qui a rencontré l’opposition des milieux plus traditionnalistes de l’Église copte orthodoxe, pourra guérir la blessure du « re-baptême » dont la pratique a été introduite sous Chenouda.
8L’Église arménienne a en outre un patriarche à Constantinople (siège établi en 1461) et un à Jérusalem (établi en 638). Ceux-ci ont joué en certains moments de l’histoire un rôle majeur, mais ne comptent aujourd’hui qu’un nombre limité de fidèles. Ces deux sièges patriarcaux, tout en reconnaissant le rôle d’Etchmiadzin dans les questions ecclésiales d’intérêt général, sont actuellement autonomes.
9 Il existe toutefois aussi une branche autocéphale, connue comme Église orthodoxe syro-malankare (Malankara Orthodox Syrian Church). L’histoire des « chrétiens de saint Thomas » en Inde est particulièrement complexe, et n’entre pas dans le cadre de cet article.
10 En 2015, le pape François a érigé l’Église catholique érythréenne comme Église sui juris, la détachant de l’Église catholique éthiopienne.
11 L’histoire du concile œcuménique de Constantinople de 553, que Justinien avait fortement voulu, et de la condamnation rétroactive des principaux maîtres de l’école d’Antioche est particulièrement complexe. La condamnation n’eut pas l’effet qu’espérait Justinien, à savoir de réunir chalcédoniens et miaphysites contre un adversaire « nestorien » commodément taillé sur mesure, mais produisit une division ultérieure dans l’Église d’Occident. Milan et Aquilée refusèrent en effet d’accepter la décision de Justinien, qui fut en revanche approuvée avec une formule ambigüe par le pape Vigile. Il en résulta un schisme (appelé « schisme des trois chapitres ») qui se prolongea en Italie jusqu’en 698. Parmi ses conséquences : la division du patriarcat d’Aquilée en deux branches (d’où le titre patriarcal attribué d’abord à Grado, et ensuite à Venise) et le rapport spécial entre Côme et Aquilée. C’est également à Justinien que l’on doit l’imposition, par loi, du modèle de la « pentarchie », centrée sur cinq patriarcats principaux : Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Ce modèle structure encore aujourd’hui l’ecclésiologie des Églises orthodoxes, tandis que l’Église catholique l’accepte seulement en partie, le considérant comme une expression historique contingente, à harmoniser avec la primauté, non uniquement honorifique, du siège de Rome.
12 Malgré l’apparente obscurité des formules, la controverse monothélite traite la question, centrale pour la modernité, de la volonté humaine et de la nature de l’acte libre. Cf. Joseph Ratzinger-Benoît XVI, Jésus de Nazareth. De l’entrée à Jérusalem à la Résurrection, éditions du Rocher/Groupe Parole et Silence, Paris, 2011, p. 180-188 : « Il existe en Jésus la “volonté naturelle” de la nature humaine, mais […] il n’y a qu’une seule “volonté de la personne”, qui accueille en elle la “volonté naturelle”. […] Le drame du Mont des Oliviers consiste en ce que Jésus ramène la volonté naturelle de l’homme de l’opposition à la synergie et rétablit ainsi l’homme dans sa grandeur ».
13 Hans Urs von Balthasar, Massimo il Confessore, p. 33.
14 D’où la question complexe, qu’il n’est pas possible de traiter ici, de « l’orthodoxie perpétuelle » des maronites.
15 Cf. Albert Hourani, Arabic Thought in the Liberal Age, Oxford University Press, Oxford 19832, chap. 3, en particulier pp. 55-64.
16 Aux maronites revient l’honneur d’avoir introduit la première imprimerie au Moyen-Orient, dans le monastère de Saint-Antoine de Qozhaya (Nord du Liban), mais celle-ci utilisait des caractères syriaques. La première imprimerie utilisant des caractères arabes dans l’Empire ottoman – c’est-à-dire sans compter les œuvres déjà imprimées en Europe, en particulier à Rome et à Leyde – commença à fonctionner à Alep en 1706 à l’initiative du patriarche melkite Athanase II Dabbas.
17 Il existe entre les deux Églises « melkites » une certaine asymétrie de structure. Tandis que le patriarche melkite catholique rassemble en lui les trois sièges « arabes » d’Antioche, Jérusalem et Alexandrie, l’Église orthodoxe a conservé la division en ses trois sièges historiques : Antioche est celle qui a le plus grand nombre de fidèles, et la seule à avoir une hiérarchie entièrement arabe, tandis que, pour Jérusalem et Alexandrie, le patriarche est envoyé de Grèce. Actuellement, les patriarcats orthodoxes de Jérusalem et d’Antioche sont divisés par une question de juridiction sur la communauté orthodoxe résidant au Qatar.
18 Pour les autres patriarcats historiques : à Constantinople, outre le patriarche œcuménique, réside un patriarche arménien (avec juridiction sur sa « nation »). À Jérusalem, on trouve un patriarche orthodoxe, un arménien et un latin. Le siège d’Alexandrie voit la présence de trois patriarches : orthodoxe, copte-orthodoxe et copte-catholique.
19 La création en 1841 à Jérusalem d’un siège épiscopal unique pour anglicans et luthériens fut incidemment la cause directe du renoncement par le bienheureux John Newman à son projet de via media anglicane centrée sur la succession apostolique, pour adhérer à l’Église catholique.
20 Son fondateur, David Bliss, se présentait comme « né baptiste, formé méthodiste, ordonné congrégationaliste, et travaillant parmi les presbytériens ». Cf. David M. Stowe, « Bliss, Daniel », in Biographical Dictionary of Christian Missions, éd. Gerald H. Anderson, Macmillan Reference USA, New York, 1998, p. 69.
21 Voilà pourquoi nous avons ici toujours mis ces termes entre guillemets, pour indiquer que nous les entendons au sens historique, et non théologique.
22 Cf. l’interview accordée à Christian Meier du Goethe Institut en novembre 2011 et publiée sur Fikrun wa Fann.
23 Il doit s’agir d’une corruption pour Agathon, pape de 678 à 681.
24 Yahyā Ibn Sa‘īd al-Antakī, Histoire, éditée et traduite en français par I. Kratchkovsky et A. Vasiliev, Patrologia Orientalis 18, Firmin Didot, Paris, 1924, p. 706-708 [8-10], avec adaptations.