Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:48:55

Entretien avec S.E. Mgr. Shlemon Warduni, Évêque auxiliaire de Bagdad des Chaldéens, par Maria Laura Conte Irakien de naissance, témoin passionné de son pays, Mgr. Shlemon Warduni, Évêque auxiliaire des Chaldéens, voyage assez souvent à l’étranger où il raconte sans crainte la situation réelle de son pays qui ne correspond pas toujours à la réalité transmise par les médias. Parfois, ses voyages sont vivement encouragés par des amis musulmans qui, lorsque le climat devient trop tendu, lui conseillent de s’éloigner pour un certain temps de chez lui… C’est au cours d’un de ses voyages en Italie que Oasis l’a rencontré deux mois après l’enlèvement de Mgr. Raho (dont le cadavre fut retrouvé le 13 mars dernier), énième blessure infligée non seulement à la communauté chrétienne d’Irak, mais à tout le pays. « Je tiens énormément au fait – a expliqué Mgr. Warduni – que soit bien clair pour tous ceux qui s’intéressent à l’Irak, que ce ne sont pas uniquement les chrétiens qui sont dans une situation dramatique en Irak mais bien tous les Irakiens. Quand explose une voiture piégée ou quand un attentat a lieu au marché, ce sont des Irakiens qui meurent : les bombes des terroristes ne regardent pas la religion des personnes, elles frappent toujours des innocents. Certainement, on ne peut nier certains faits et discriminations évidents qui ont touché les communautés chrétiennes, comme les attaques contre les églises, les enlèvements et les assassinats, les menaces faites à Dora, un quartier de Bagdad, où certains chrétiens étaient obligés de choisir entre quitter le pays ou se convertir à l’Islam. Mais cela se passe dans un pays qui souffre, et où tout le pays est victime de violence aveugle. L’Irak est un enfer pour tout le monde aujourd’hui. J’invite toujours celui qui ne croit pas à l’existence de l’enfer à venir et à voir dans quel état se trouve notre pays. Alors, il croira à l’enfer. » Selon les informations fournies par le Gouvernement, plus de 1000 personnes ont trouvé la mort au mois d’avril suite aux affrontements entre les milices et l’armée tout comme au mois de mars tandis qu’en février elles étaient 721. L’électricité n’est fournie que quelques heures par jour ainsi que l’essence pour faire fonctionner les générateurs, un paradoxe dans un pays qui pourrait fournir en énergie tout le Moyen-Orient et même au-delà, les denrées alimentaires sont toujours davantage hors de prix, il n’y a pas de ligne de téléphone… Mais surtout, les personnes vivent dans l’insécurité. « La réalité la plus douloureuse – observe Warduni – est le manque de sécurité : chacun de nous vit dans l’insécurité, sans savoir s’il rentrera vivant chez lui le soir, il y a la menace continuelle d’attentats et d’enlèvements ». Avant 2003, les chrétiens étaient environ un million, aujourd’hui ils ne sont plus que la moitié, même si les informations certaines dans ce sens font défaut ; beaucoup d’entre eux se sont enfuis de l’autre côté de la frontière, vers le Liban, la Syrie et la Jordanie, mais aussi vers l’Europe et l’Amérique, tout comme des millions d’irakiens même musulmans. En effet, on calcule que dans le monde il y a quatre millions et demi de réfugiés irakiens, partis loin de leur maison d’abord par le régime de Saddam, puis par les guerres contre l’Iran et le Koweït, par l’embargo et puis la nouvelle guerre de 2003… Certains chiffres aident à comprendre la situation actuelle de l’Eglise chaldéenne à Bagdad : les jeunes séminaristes qui se préparent au sacerdoce sont 28, tandis qu’il y a cinq ans ils étaient plus du double ; les enfants qui ont fait leur première communion au cours de cette année sont 300-400 tandis qu’il y a cinq ans ils étaient 2-3000. « Mais malgré cela – relève Mgr. Warduni – je vois que les chrétiens restent très attachés à leur foi. Je n’ai jamais fermé mon église, elle a toujours été ouverte, et d’ailleurs je peux témoigner que toutes les églises étaient remplies à Pâques, ou mieux elles étaient bondées. Dès l’enfance, j’ai vu une série interminable de guerres qui se succédaient et je suis convaincu que la guerre ne résout jamais les problèmes parce qu’elle détruit et ne construit pas. On dit que maintenant il y a la démocratie en Irak. Mais en me promenant dans les rues de nos villes, je me demande vraiment où est cette démocratie. » Mais Mgr. Warduni n’évoque pas facilement les questions politiques, il préfère s’occuper de la vie de l’Eglise. En elle, il reconnaît un grand élément de fragilité dans la division entre les communautés chrétiennes de rites différents : « La division entre nous, les chrétiens – admet l’évêque – est une des pires blessures selon moi car elle nous affaiblit et nous appauvrit. Entre autres, l’arrivée d’une quinzaine de sectes protestantes a aggravé la situation : ce sont des groupes guidés par des personnes qui viennent de l’étranger ou qui se sont formées en Occident, ils pratiquent un prosélytisme insistant qui suscite l’antipathie des musulmans. Nous sommes très respectueux de la foi d’autrui, nous ne nous permettons pas d’envahir le domaine des autres religions, tandis que les adeptes de ces sectes ne regardent personne en face et avec leur évangélisation à outrance, ils créent des séparations et de l’inimitié. Pour cela, il est important que nous les chrétiens, de différents rites, nous restions unis et nous témoignons de l’authenticité de la foi chrétienne dans le respect de nos frères musulmans, dont la majorité voudrait rétablir comme nous une cohabitation de paix. » Enfin, quand il est interrogé sur ce qu’il demande aux pays occidentaux, l’évêque de Bagdad a remarqué : « Quand je viens en Occident, je me rends compte d’une réalité : nous en Irak, nous avons la guerre des bombes et des armes, vous en Occident, vous avez un autre type de guerre, qui cependant est en train de détruire la vérité sur l’homme. Il suffit de regarder la souffrance des familles, combien de couples se séparent, comment la conscience de la valeur de l’amour entre l’homme et la femme a été perdue. Et en général, combien s’est perdu le sens de la valeur de la vie. En ce qui concerne mon pays, je demande à tous de rechercher toujours la vérité sur l’Irak et de ne pas se contenter des réductions ou des simplifications journalistiques. Mais surtout, je vous demande de prier pour nous. Je suis convaincu que la prière qui invoque la paix et la réconciliation dans mon pays est l’instrument le plus puissant de tous. »