Instantané de l’étape jordanienne de la visite du Saint-Père au Moyen-Orient

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:37:55

On peut voir et entendre beaucoup de choses, vraiment beaucoup, au stade de Amman. Mais ce qui ne se voit pas surprend encore plus, aussi la capitale jordanienne. Dès le matin, on ne compte plus les visages, les couleurs, les banderoles, les chants, les chœurs de bienvenue et les chapelets géants de ballons roses, la fête qui commence peu à peu... On se perd parmi les centaines de volontaires au travail (ils sont plus de 500), les familles en attente sous le parasol pour se protéger du soleil du Moyen-Orient, les nourrissons préparés pour une rude journée, les forces de l’ordre dispersées dans toute la capitale. Mais ce qu’on ne peut mesurer avec le regard, ce qui vient avant la couleur et le bruit, c’est la partie la plus intéressante de la chronique de ce voyage papal au Moyen-Orient. Les pèlerinages du Saint-Père ne sont pas une chose inédite, surtout en Jordanie, qui peut se targuer d’un primat : c’est le seul pays qui a à son actif quatre visites papales (Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et maintenant François). Mais c’est toujours une nouveauté qui surprend ce qui pourrait devenir une habitude. La messe célébrée dans le stade en Terre Sainte, dans une terre – quelqu’un l’a appelée une oasis – arrachée à la violence qui frappe la Syrie voisine et accable chaque seconde, menaçante, le Liban, à quelques kilomètres d’Israël et de Palestine, fut encore une fois une nouveauté. Quelque chose qui introduit un nouveau départ, quelque chose qu’on doit prendre en considération, qui se greffe dans la tradition pour pousser de manière décidée vers l’avant. Que trente mille personnes aient quitté leur maison pour aller occuper leur place au stade de nombreuses heures avant l’arrivée du pape (comme le demandaient les mesures de sécurité) a confirmé le puissant sens d’appartenance et d’identité d’une communauté qui, même si elle représente seulement 2-3 % de la population totale dans un pays où la journée est rythmée par l’appel à la prière du muezzin, sait où elle veut s’appuyer. La « terre de l’Incarnation », comme l’a appelée dans un entretien avec Oasis Mgr Marcuzzo, a vu de nouveau les chrétiens se bouger pour aller voir le pape. Pourquoi ? Ils répondent « parce que nous cherchons une parole d’espérance – dit Diana, étudiante à Irbid – parce que nous avons besoin de paix, mais pas seulement pour nous ». « Parce que la vie est difficile – confie Sa’id – parce que la crise économique en Jordanie et l’instabilité de toute la région tue le futur des jeunes et nous devons trouver quelque chose de solide auquel nous appuyer ». « Parce que le Pape oblige à remonter à la source. Parce que le pape est le pape et il nous encourage. Et qui n’a pas besoin de courage ?». En Jordanie, les chrétiens ne sont pas persécutés et ne se considèrent pas comme étant fortement discriminés. Ils sont conscients que le fait d’être une minorité engendre un prix à payer, au sens où ils doivent faire un peu plus d’efforts que les autres pour émerger, pour se créer une place qui leur est propre. Mais ils savent aussi que la plupart de leurs difficultés sont les mêmes que celles des musulmans d’ici : « Nous sommes une nette minorité – argumente Abdallah – que pouvons-nous exiger de l’État ? Prenons par exemple la question dramatique de l’émigration, qui vide le pays de ses meilleures ressources : si un jeune étudie 5 ans pour être ingénieur et parvient à obtenir un travail payé 400 dollars par mois, qui ne lui permet même pas de vivre, c’est évident qu’il décide de s’en aller. Mais cela n’arrive pas seulement aux chrétiens, c’est la même chose pour les jeunes musulmans ». Les chrétiens sont des citoyens comme tous les autres en Terre Sainte, a rappelé le Pape peu après son arrivée, lors de sa rencontre avec le Roi. Tous ceux qui ont accouru pour l’écouter et se sont mis à courir, pris par l’enthousiasme, derrière la papamobile en sont convaincus. Les enfants aussi, citoyens « de demain » à part entière, assis par milliers aux premiers rangs, vêtus de blanc, prêts à recevoir la première communion durant la messe du pape François au stade jordanien. Vifs, recueillis et parfois distraits, comme les enfants du monde entier, surveillés du regard par leurs familles assises pas loin, ils ont dit à François et au monde, physiquement, « nous sommes là ». Nous sommes là, sur cette terre où Dieu a décidé de se pencher sur les hommes, de se faire l’un d’eux et de commencer une histoire nouvelle. Nous sommes là, « baba Fransis », dans ce Moyen-Orient affligé, où les acteur étrangers jouent des parties stratégiques sur nos têtes. Nous sommes là, dans ce pays qui accueille aujourd’hui presque un demi-million de réfugiés syriens selon les données officielles (alors que les estimations non officielles parlent de plus d’un million), après en avoir accueilli des centaines de milliers de l’Irak et encore avant de la Palestine. Le pape en Jordanie a consacré une attention particulière aux réfugiés, comme aux malades, en les embrassant à proximité du site du baptême de Jésus, sur le fleuve Jourdain. Un geste qui, depuis le lieu où commença la vie publique du Nazaréen, a mis face au regard du monde une question qui ne peut plus être éludée : la vie de ces personnes obligées par la guerre de quitter leur maison, travail, famille pour un lieu incertain et un destin en suspens est une question qui concerne chacun de nous. Y compris les villes opulentes d’Occident qui doivent « ranger » les réfugiés qui se matérialisent, par des voies rocambolesques, dans leurs gares centrale et demandent un abri. Le contexte musulman n’est pas resté impassible. Les affiches qu’on rencontre à chaque pas dans les rues d’Amman avec la photo de la première rencontre entre le roi et le pape à Rome il y a quelques mois, et l’annonce de sa visite imminente, ont rendu le pape familier au peuple et ont contribué à montrer la Jordanie comme le pays où non seulement la liberté religieuse existe, mais où l’on promeut le dialogue interreligieux comme aucun autre pays du Moyen-Orient. Les médias jordaniens n’ont pas eu de difficultés à trouver des images du pape François capables de parler à leurs lecteurs sans avoir besoin de filtres particuliers. Les arrêts sur image du Pape de la miséricorde, qui embrasse même les malades défigurés, se sont répandus au point que même les musulmans souhaitaient que ce voyage offre une possibilité ultérieure de nouveau départ : « Nous avons beaucoup souffert à cause des printemps arabes – observe ‘doctor’ Ali, propriétaire de l’hôtel Le Vendôme, au cœur d’Amman. Ils n’ont pas frappé notre maison, mais nos voisins, ils ont dérangé les équilibres existant et maintenant nous espérons que le pape François pourra nous aider à retrouver l’ordre, à laver nos cœurs. Ici nous devons repartir. Ici nous avons besoin de reconstruire une paix authentique et féconde ». Dans son homélie au stade, François a insisté sur l’urgence de la paix qui « ne peut s’acheter » parce que « la paix est un don à rechercher avec patience et à construire ‘artisanalement’ par des petits et des grands gestes qui impliquent notre vie quotidienne ». Dans cet « artisanalement » semble être contenu tout le défi qui attend dès maintenant cette terre et ces peuples, un défi qui demande un travail très personnel, unique, créatif original, tout en étant un travail d’équipe. De communion.