Entretien avec Dina Zakarya, ex-porte-parole du Parti Liberté et Justice, de Maria Laura Conte

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:35:10

Sa voix est décidée, sans incertitudes, tout comme les positions qu’elle exprime. Dina Zakarya, pas encore trentenaire, maman de jumeaux, est une activiste des Frères musulmans. Elle a étudié l’anglais et l’art à l’Université et possède un diplôme en Sharî’a. Elle a été la porte-parole du parti Liberté et Justice. C’est en cette qualité qu’Oasis l’a rencontrée il y a quelques semaines pour comprendre l’agenda du parti au Gouvernement et sa perception de la situation politique, sociale et économique du pays. Les médias internationaux présentent chaque jour la situation de l’Égypte comme extrêmement dramatique : une économie vacillante et une transition démocratique stagnante. Partagez-vous cette vision ? Je suis d’accord avec le fait que l’Égypte affronte de nombreux défis en ce moment parce que nous nous trouvons dans une phase de transition après la révolution. Ce qui ne veut pas dire que c’est une situation anormale ; au contraire, c’est normal : il y a des difficultés que tous les égyptiens doivent affronter, les hommes politiques, les professeurs, le peuple lui-même. Tous nous devons faire face à ce genre de difficultés parce que c’est simplement normal. Je crois que les mesures qui ont été adoptées par le gouvernement et le président, et d’autres sujets qui occupent des postes à responsabilité, comme les ONG ou d’autres associations indépendantes du gouvernement, toutes mettent en évidence qu’avant tout nous devons affronter ces défis de manière rapide et, dans un second temps, qu’actuellement la contre-révolution est très active. Ce qui représente un autre problème à affronter. Nous ne pouvons commencer à travailler que sur un terrain stable. Mais pas maintenant, parce que nous traversons une période de transition trop problématique, retenus en otages par les forces contre-révolutionnaires qui travaillent pour l’échec de notre révolution. Voilà pourquoi l’Égypte a cet aspect actuellement. Je ne suis pas d’accord avec l’idée qu’il y a une crise que nous ne pouvons pas affronter, non ! Je crois que l’Égypte, que tous les égyptiens ensemble, peuvent dépasser ce type de difficulté. Quelles sont les priorités de votre parti, les questions les plus urgentes à l’ordre du jour ? Nos objectifs principaux en tant que parti sont au nombre de trois. Le premier est de travailler pour le bien des personnes, en essayant d’affronter les problèmes quotidiens. En ce qui concerne la condition économique, nous essayons de proposer des informations correctes à propos de la situation actuelle, parce que parfois les gens ne savent pas exactement ce qu’il se passe. C’est très important afin de les convaincre d’être davantage patients. Le deuxième est la préparation des élections : nous nous préparons de manière très sérieuse aux prochaines élections, qui je crois auront lieu dans quelques mois, nous ne savons pas encore quand exactement, mais si Dieu le veut, elles seront terminées avant la fin 2013. Le troisième objectif est la sécurité. Nous essayons de faire pression sur le gouvernement pour assurer le retour de la sécurité dans les rues le plus rapidement possible. Donc dans l’ordre : les besoins quotidiens du peuple, les élections et la sécurité... Pourquoi ai-je cité les besoins du peuple en premier lieu ? Je crois que les égyptiens eux-mêmes sont la priorité absolue : ils ne s’intéressent pas aux manifestations, ils ne s’intéressent pas aux affrontements dans les rues entre les hommes politiques. Ils s’intéressent à ce dont ils ont besoin et à ce qu’ils veulent. Voilà pourquoi nous croyons que les besoins du peuple sont notre priorité immédiate. En deuxième lieu, les élections puis la sécurité. Ou, peut-être, la sécurité avec les élections ; mais pour atteindre la stabilité de la sécurité nous devons d’abord faire les élections, et avoir un parlement qui représente vraiment les intérêts de tous. Les affrontements de Port-Saïd sont seulement un exemple du genre de désordres présents dans le pays, qui semblent avoir atteint un niveau trop élevé pour être tolérés par la population. Qui est responsable de cette situation ? Y a-t-il un problème politique ? Et le cas échéant quelle serait la solution selon vous ? La raison principale est, comme je le disais, le fait que la contre-révolution est très active ces derniers mois. Elle est en train d’essayer de renaître. En deuxième lieu, une période de transition affaiblit le pays. C’est naturel et normal que la situation ne soit pas stable. Je suis d’accord sur le fait qu’il y a un problème politique, il existait déjà avant la révolution, mais après la révolution les gens voulaient la sécurité immédiatement. Le problème politique provient du fait que parfois on peut trouver des parties, je ne dis pas toute, mais des parties de l’opposition qui décident de coopérer pour provoquer l’instabilité. Ils essaient continuellement de bloquer l’évolution actuelle ou la réorganisation de l’État et d’empêcher le gouvernement actuel de construire l’Égypte. En même temps, des secteurs de l’opposition excusent cette conduite n’ayant pas réussi à gagner la confiance des gens aux dernières élections. Mais je crois que maintenant à Port-Saïd la situation sera plus stable ; c’est un fait, les gens de Port-Saïd revendiquent leurs propres droits. Ils étaient très éprouvés à cause de la mort de nombreuses personnes dans la rue et de plusieurs autres devant les urnes. C’est compréhensible qu’ils se soient fâchés, mais cela ne signifie pas que cela durera longtemps. Laissez-moi vous dire quelque chose. Si vous faites une comparaison entre les événements récents en Égypte et ceux des années précédentes, vous verrez que la situation était plus problématique alors qu’elle ne l’est actuellement. Le chaos était plus répandu à l’époque. Le type de manifestations et le pourcentage de personnes dans les rues étaient plus grands que maintenant. Cette année les personnes ont commencé à comprendre que c’est le moment de travailler pour conduire l’Égypte vers la stabilité. Le président Morsi a été souvent critiqué à cause de sa position considérée contraire à la liberté d’expression. Alors qu’il soutient que ce sont les journalistes qui n’écrivent pas la vérité. Que répondez-vous ? Je répondrai par des faits. Comme vous vous en souvenez, un journaliste fut arrêté pour diffamation contre le président. C’est le président lui-même qui a favorisé une loi pour que cesse ce type de mesures contre les journalistes : voilà la première preuve qui démontre que le président n’est pas contre la liberté d’expression. La seconde est que la présidence était en train de prendre des mesures contre ceux qui répandent des mensonges à travers la presse. Mais c’est le président lui-même qui a bloqué ce type de mesures parce qu’il n’était pas d’accord. Il affirma que chacun est libre de critiquer et de reconnaître de lui-même si les nouvelles publiées sont vraies ou fausses. Mais de mon point de vue il y a une grande différence entre la liberté d’expression et la diffusion de rumeurs pour miner la stabilité de l’Égypte. C’est une chose qui ne peut pas être acceptée par les gens. C’était inacceptable que le président soit insulté à chaque moment ou que des mensonges soient proférés sur son compte, parce que cela est contre l’Égypte, et non seulement contre le président de notre pays. Cependant, le président a fait le choix de ne punir personne. Nous n’étions pas d’accord, mais il en a décidé ainsi. J’ai demandé personnellement au président, lorsque j’ai été nommée membre de la commission pour les droits des femmes, de prendre des mesures contre ces rumeurs et ces mensonges qui mettaient le peuple en colère et il m’a dit : » Non, je ne peux pas le faire ». Moi, en tant qu’égyptienne, non comme politicienne, j’étais très irritée, mais il a dit qu’il ne se serait fâché contre personne, parce que ce n’est pas l’attitude qui convient à un président égyptien post-révolutionnaire. Comment et pourquoi avez-vous décidé de rejoindre les Frères Musulmans ? Quel est votre rôle dans le parti? J’ai décidé d’adhérer aux Frères Musulmans parce que ma famille en faisait partie, comme c’est encore le cas aujourd’hui. C’était lorsque j’étais en première année de l’école secondaire, en 1994. J’ai découvert que je voulais être plus constructive tant à l’égard de ma situation religieuse que de ma compréhension de l’Islam et je me suis rendue compte que les Frères Musulmans ont une vision modérée de l’Islam, qu’on peut vivre la religion de manière modérée, mais en étant davantage actifs, plus positifs. En outre, les Frères étaient le plus grand mouvement d’opposition au régime de Moubarak, que je considérais corrompu. Voilà les raisons pour lesquelles j’ai considéré que le mouvement était adapté pour moi et que j’ai décidé d’en faire partie. Ils s’opposaient au système de manière pacifique. Je suis une des co-fondateurs du parti Liberté et Justice et je suis membre et co-fondateur du Comité des relations extérieures. De plus j’ai été la seule représentante du parti au Parlement européen. Et vous avez aussi une famille qui vous donne du travail... Oui, j’ai deux jumeaux de huit ans et mon mari lui aussi est membre du mouvement, nous sommes tous deux des activistes politiques. Mais j’ai un rôle supérieur dans le parti, j’ai plus de responsabilités que lui. Pour tout dire, je suis son chef. Vos fils connaissent-ils déjà le Coran par cœur ? Pas encore, ils sont trop petits. En attendant, c’est important pour moi de leur apprendre à agir correctement, à être de braves personnes et de réussir quel que soit le domaine dans lequel ils s’engageront. Peut-être dans le futur seront-ils des activistes et peut-être aussi dans leurs écoles.