Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:50:12

Interview à Mgr. Luigi Padovese, vicaire apostolique d’Anatolie Certains quotidiens de pays arabes tels que El Watan et Le Maghreb en Algérie, the Daily Star au Liban, ont mis en évidence la « grande leçon » pour le Moyen Orient provenant des dernières élections en Turquie. D’après plusieurs commentateurs, les Turcs auraient préféré la modération, la stabilité, la paix sociale et le dialogue, au conflit. Croyez-vous que cette description corresponde à la réalité ? Certainement, le fait que les élections aient récompensé le gouvernement d’Erdoğan est un signal positif fondé sur la considération que la situation économique du pays a amélioré. Vue dans son intégralité la Turquie a progressé par rapport à la stabilité politique et cela a permis aux marchés européens, notamment allemands et italiens, de faire des investissements dans le pays. Étant donné que l’économie est un capteur aigu des situations en acte, j’estime qu’on n’aurait pas fait de tels investissements si le risque d’une déstabilisation politique avait été élevé. La possibilité d’une intervention militaire pour sauvegarder la laïcité de l’état, me semble évitée, du moins pour l’instant. Il me semble que la base laïque soutenue par l’armée – face au nouveau cadre parlementaire avec la plus grande majorité de députés de l’AKP – préfère rester au balcon et regarder plutôt que d’adopter des attitudes interventionnistes. Raffi Hzemonn, arménien, vice-président de l’association des droits de l’homme a déclaré que pour la première fois des chrétiens ont voté pour des soi-disant islamistes parce qu’ils espèrent en un accord possible entre les minorités turques non musulmanes et l’État. Comment votre communauté chrétienne considère-t-elle cette saison de changement ? Je voudrais préciser que si la présence chrétienne en Turquie a presque disparu, cela s’est passé sous des régimes qui défendaient la laïcité. Il est vrai que certains doutes demeurent encore au sujet de l’orientation philo-islamique d’Erdoğan, d’autre part le double fil avec lequel il cherche à se lier à l’Europe démontre une volonté de démocratie qui devrait se refléter également sur les minorités. La loi récente sur la restitution des biens confisqués aux communautés religieuses pourrait en être le premier signal. De toute évidence les progrès à accomplir sont encore nombreux et, de toute façon ils ne concernent pas uniquement les minorités chrétiennes. Il s’agit de voir comment la situation évoluera dans un futur immédiat. Pour employer une image, je dirais qu’avant d’ouvrir la porte de la maison, il faut se contenter de garder la fenêtre ouverte et de regarder ce qui se passe. Si les problèmes des minorités sont abordés avec le système habituel du « demain on verra... il faut procéder lentement, etc. », alors on comprendra que rien n’a changé. Pour l’instant de la part des chrétiens turcs je parlerais donc d’un optimisme prudent à l’égard de l’AKP. Un optimisme prudent aussi parce qu’il paraît que l’idée même de la laïcité à la « turque » est en crise? L’histoire récente de la Turquie a démontré comment un Islam politique n’a pas réussit à s’imposer dans le pays. Forte de cette expérience Erdoğan semble parcourir une voie alternative où la politique n’est pas au service de la religion, mais où la religion ne serait point soumise à la raison d’état. Personnellement, je considère que le concept de laïcité tel qu’il s’est formé en Turquie au siècle dernier, doit être revu à la lumière du développement social en cours, où démocratie et pluralisme tentent de cohabiter. Reste cependant à voir si ces deux valeurs sont valables pour les minorités. De leur application générale, on pourra comprendre où le nouveau gouvernement veut amener la Turquie.