Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:48:36

En Algérie la relation islamo-chrétienne, qui fut très riche ces dernières années, connaît désormais un temps de crise, depuis la publication par l’État, le 28 février 2006, d’une ordonnance réglant l’exercice des cultes non musulmans. Ce document dans son préambule affirmait que l’État (algérien) garantissait le libre exercice du culte (non musulman), la tolérance, et le respect entre les différentes religions. Mais il prévoyait en son article 10 des peines d’emprisonnement et des amendes sévères pour quiconque « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion ». Très vite, comme on le montrera dans la première partie de cette réflexion, ce décret fut utilisé par divers secteurs de l’administration pour limiter gravement la liberté religieuse des communautés chrétiennes existant dans le pays. Cependant, et ce sera la seconde partie de notre exposé, l’Église d’Algérie – et beaucoup de nos amis musulmans malgré des mesures officielles déplorables, ne renoncent pas à chercher comment établir une relation pacifiée et significative entre la société algérienne et les communautés chrétiennes. La présente réflexion s’efforcera donc d’abord de faire comprendre l’origine des difficultés qui sont nées dans la relation islamo-chrétienne en Algérie depuis deux ans. Puis, dans un second temps, nous chercherons à montrer comment une période de crise dans la relation islamo-chrétienne peut, aussi, devenir une occasion favorable au développement et à l’approfondissement de cette même relation entre chrétiens et musulmans, en particulier sur ce thème difficile de la « liberté de conscience ». La relation islamo-chrétienne a une longue histoire en Algérie. Sans remonter à la période coloniale, le nom de Mgr Duval était, depuis l’indépendance du pays, un symbole positif jusqu’alors unanimement respecté par les algériens musulmans. Toutefois cette relation est entrée dans une nouvelle étape depuis deux ans. C’est cette évolution négative que nous voulons d’abord faire percevoir. Les tensions entre l’État algérien et les Églises chrétiennes en Algérie trouvent leur origine dans la naissance et le développement, surtout ces dix dernières années, de nouveaux groupes chrétiens formés d’algériens d’origine musulmane convertis au Christianisme. Ces conversions résultent de l’action de groupes missionnaires de tendance évangéliste. Au point de départ, ces groupes ont appuyé leur action sur des cours de Bible par correspondance et sur des visites de missionnaires surtout d’origine anglo-saxonne. Mais très vite ce mouvement est devenu une initiative tout à fait autochtone, même si elle est soutenue, de l’extérieur, par des émissions télévisées et des prédications bibliques diffusées en langue arabe en direction de tout le pourtour méditerranéen. Pendant une dizaine d’années, la presse, surtout la presse arabophone, s’est déchaînée contre le développement de ces nouveaux groupes, reprochant aux pouvoirs publics de ne pas respecter la Constitution algérienne qui, en déclarant l’Islam religion d’État, se fait un devoir de protéger les musulmans contre toute tentative d’évangélisation. Interprétations Maximalistes Finalement, comme on l’a dit, l’État algérien a pris le 28 février 2006 une ordonnance pour réglementer l’exercice des cultes non musulmans dans le pays. Ce document a été complété, en mai 2007, par deux décrets d’application qui définissent les conditions imposées aux « manifestations religieuses » des cultes autres que l’Islam, et précisent les conditions de travail de la commission chargée de suivre les cultes non musulmans. L’ordonnance de 2006, dans son préambule, présente des déclarations de principe positives. Elle affirme avoir pour but d’assurer la protection des cultes non musulmans. Elle garantit la liberté de culte et invite au respect des autres religions que l’Islam. Toutefois, les dispositions énumérées par la suite laissent place à des interprétations maximalistes très préjudiciables à la paix interreligieuse. En effet, toute attitude ou tout document susceptible d’inciter un musulman à quitter sa religion est puni de peines sévères de prison (un à trois ans) et par d’amendes relativement considérables. Par ailleurs, non seulement les cultes non musulmans ne sont autorisés que dans des lieux publics reconnus pour cet usage et clairement désignés aux autorités responsables, mais, plus grave, toute activité autre que cultuelle est interdite dans ces lieux de culte (ce serait la fin des accompagnements humanitaires de l’Église : crèches, dispensaires, ¬soutien scolaire, conférences, etc.). Ainsi cette disposition rend suspecte toute prière entre chrétiens dans un autre cadre qu’une église tout comme l’assistance religieuse aux chantiers de travailleurs chrétiens étrangers, aux groupes de pèlerins en marche vers Tamanrasset, ainsi que les célébrations auprès des migrants qui vivent dans les périphéries des villes. Mais surtout, plus généralement, toute rencontre de prière chrétienne ou toute eucharistie domestique dans les quartiers et les villes où il n’existe pas de structures ecclésiales reconnues. Nous ne parlons pas, ici, en détail des nombreuses mesures prises contre les évangélistes, directement accusés, par les autorités et par la presse, d’avoir constitué des communautés visibles de convertis de l’Islam. Mais nous voulons rapporter quelques-unes des mesures qui concernaient directement l’Église catholique qui, en principe, n’aurait pas dû être accusée de prosélytisme, compte tenu de sa conception d’un témoignage chrétien respectueux du partenaire musulman. En fait, les premières mesures prises par l’État algérien furent contre l’Église catholique qui n’était pas responsable de la campagne d’évangélisation visée par l’État algérien, comme le Président Bouteflika lui-même l’a reconnu. Quelques exemples feront comprendre que la nouvelle situation créée par l’ordonnance a conduit à des mesures sans rapport avec ce texte. Entre le 7 et le 15 mai 2007, toutes les communautés de religieux et religieuses catholiques de tous les départements du Nord du pays ont été convoquées pour les inviter à quitter l’Algérie pour des raisons sécuritaires. à partir du mois d’octobre 2007, il est devenu presque impossible d’obtenir des visas pour accueillir de nouveaux religieux et religieuses ou des volontaires laïcs. Interdits et Vexations Ces premières mesures, qui visaient directement l’Église catholique, furent ensuite suivies de bien d’autres décisions : expulsion le 20 novembre 2007 de quatre volontaires brésiliens chrétiens invités en Algérie par l’Archevêque pour servir les étudiants boursiers chrétiens venant des pays lusophones (Mozambique, Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, etc.) ; interdiction par le Wali de Ouargla de célébrer la messe de Pâques dans un camp pétrolier italien en raison des dispositions de l’ordonnance sur les lieux de culte ; refus de visa de visite à plusieurs des responsables de congrégations religieuses travaillant en Algérie ; refus de visa à une laïque pour le motif expressément déclaré au consulat à Paris qu’elle travaillait à la délégation « catholique » à la coopération, etc. Par la suite, des interprétations maximalistes de l’ordonnance réglant la vie des cultes non musulmans n’ont pas manqué d’être prises, en divers lieux et en diverses occasions. Un prêtre catholique, du diocèse d’Oran, le P. Pierre Wallez, fut gardé pendant trente heures à la gendarmerie de Maghnia, le 9 janvier 2008 pour avoir prié deux jours après Noël, avec des camerounais chrétiens qui vivaient dans une forêt près de la frontière algéro-marocaine. En principe, l’ordonnance interdisait uniquement le « culte » en dehors d’une église. Or ce prêtre avait seulement rendu une visite pastorale à des chrétiens auprès desquels aucun « culte » n’avait été célébré, mais juste une prière partagée dans le contexte de la grande fête chrétienne de Noël. Ce prêtre fut condamné en première instance à six mois de prison avec sursis, puis le 9 avril 2008, en deuxième instance, à deux mois de prison avec sursis, alors que ces visites à des migrants avaient lieu depuis plus d’une dizaine d’années et que les autorités algériennes responsables en aient été informées par l’évêque du lieu. Le médecin algérien qui accompagnait bénévolement le prêtre dans ses visites fut d’abord condamné à deux ans de prison ferme, peine finalement commuée en six mois avec sursis, mais avec l’interdiction d’exercer dorénavant la médecine dans la fonction publique. Dans la vie quotidienne, il arrive que la gendarmerie arrête des prêtres qui circulent sur la route et les accuse de prosélytisme parce qu’ils ont sur eux leur Bible et leur bréviaire (cf. la gendarmerie de Sidi Akacha, près de Ténès). Des catholiques arrivant en avion se voient confisquer leurs livres chrétiens personnels (par exemple à l’aéroport de Batna, en juin 2008). Une enseignante algérienne chrétienne qui avait sur elle un chapelet est retenue à la police et doit subir un interrogatoire serré, etc. Plus récemment, en juin dernier, la police a fait saisir par la douane tous les exemplaires reçus individuellement par la poste des « Prions en Église » et des « Magnificat », malgré une lettre de protestation de l’Archevêque adressée au ministre des Affaires religieuses qui est restée sans réponse, etc. Dans plusieurs villes, on déplore désormais la fermeture des activités éducatives animées par l’Église. Mais toutes ces mesures relèvent, le plus souvent, de la tracasserie de certains responsables et n’auraient pas eu de grandes conséquences sans un fait qui, lui, a touché largement l’opinion publique. Je veux parler de la méfiance à l’égard des chrétiens diffusée dans le pays non seulement par la campagne contre l’évangélisation menée par la presse arabophone (plusieurs centaines d’articles pendant des mois), mais aussi par les déclarations publiques du ministre des Affaires religieuses et du président du Haut Conseil islamique. Depuis une dizaine d’années, comme on l’a dit, la presse algérienne a régulièrement présenté des études sur le phénomène, nouveau dans un pays musulman, de la conversion de groupes de personnes d’origine musulmane, surtout dans la région de Kabylie. Nous ne présentons pas les articles négatifs qui, le plus souvent, proposés par la presse arabophone, se contentaient de répéter ce que l’opinion publique dans les pays musulmans pense habituellement des conversions. Mais pendant toute cette période, de nombreux articles écrits principalement par les journalistes de la presse francophone ont déjà posé le problème de la liberté de conscience. Dans un de ces nombreux articles des années passées repris à titre d’exemple par le journal francophone d’Alger Le Soir d’Algérie du 19 mars 2000, on pouvait lire : « Fait significatif, la quasi totalité des membres de ces communautés n’est pas apparentée à l’entité catholique, traditionnellement présente en Algérie. Ils sont algériens de confession chrétienne, mais de rite protestant. Beaucoup disent avoir eu une aventure spirituelle et religieuse suite à laquelle ils ont changé de trajectoire, d’autres font pour la première fois l’expérience de la foi, mais tous convergent sur la voie du Christ affirmant avoir reçu sa grâce. Mais d’où vient que tous ces hommes et ces femmes aient éprouvé un vif engouement pour la spiritualité en embrassant la religion chrétienne ? Signe d’une époque ? Phénomène contemporain à la décennie 90 si riche en évènements dramatiques et significatifs pour une Algérie qui se cherche et s’interroge sur son devenir, il mérite une approche plus pointue, celle du sociologue. Serait-il l’expression d’une recherche identitaire ? L’époque est, en effet, favorable à ce genre de quête où beaucoup scrutent l’horizon à la recherche d’un modèle où ¬accrocher leurs certitudes. S’agit-il d’une tentative de réappropriation de l’héritage augustinien qui se cache sous la cendre des siècles ? Le phénomène a-t-il un lien avec l’actualité immédiate de l’Algérie où l’islamisme affole le pays sur fond de ¬violences meurtrières ? Ou exprime-t-il tout simplement une coquetterie de mode, palliatif à un besoin passager d’identification ? Y a-t-il encore derrière cette expérience spirituelle une envie de transcender la matérialité de l’existence, une quête thérapeutique devant une angoisse existentielle où la quête du sens de la vie s’est déplacée de la terre vers le ciel ? ». Journalistes, Syndicats et Chrétiens On aura donc vu, à travers la citation de presse proposée ci-dessus que, déjà avant la crise actuelle, certains journalistes algériens s’étaient exprimés positivement sur ce thème de la liberté de conscience y compris sur le droit de changer de religion pour un musulman. Mais ce qui va devenir vraiment nouveau pour un pays arabe, c’est que l’aggravation de la situation provoquée par les décrets du 28 février 2006 va ¬susciter, dans l’opinion musulmane libérale en Algérie, une réaction collective de défense des droits des nouveaux chrétiens venus de l’Islam. En effet, après la mise en accusation par la justice d’une jeune éducatrice algérienne de Tiaret « Habiba », en avril-mai 2007, qui s’était convertie au Christianisme évangélique, un vrai débat public s’est exprimé, dans lequel une partie des interlocuteurs a publiquement défendu le droit à la liberté de conscience « de Habiba » et de tous les algériens. Le journal algérien francophone El Watan a même pris ¬l’initiative de publier une pétition signée ensuite par plus de deux milliers d’intellectuels algériens et dont le texte déclare : « Des journalistes condamnés à des peines de prison ferme et menacés d’incarcération. Des syndicalistes licenciés pour avoir revendiqué des salaires décents. Des chrétiens harcelés pour délit de prière. Les signataires vivement inquiets de cette escalade contre les libertés démocratiques : expriment leur solidarité avec les journalistes libres, les syndicats autonomes et la communauté chrétienne d’Algérie, cibles de mesures aussi brutales qu’injustifiées ; réaffirment leur attachement à la liberté d’expression, au pluralisme syndical et à la liberté de conscience, synonyme du droit de chacun de pratiquer la religion de son choix, ou de ne pas pratiquer ; appellent à la tolérance et au respect des libertés et de la diversité, valeurs cardinales de toute société démocratique » [El Watan, mardi 18 mars 2008, p. 6]. Dans le même sens va la déclaration faite par le « Rassemblement pour la Culture et la Démocratie », l’un des principaux partis d’opposition algériens et par son président le Dr Saïd Saadi, dans la présentation faite par le journal El Watan : « La liberté de culte est “ atteinte ” ! Le RCD réagit. Le parti de Saïd Sadi dénonce en effet “ des faiseurs d’opinions en mission qui ont lancé une campagne inquisitoriale pour dénoncer l’évangélisation du pays ”. […] Le RCD estime, dans un communiqué rendu public hier, que cela porte atteinte à la Constitution et aux pactes internationaux signés par l’Algérie “ garantissant respectivement la liberté de culte et la liberté de conscience ”. Pour lui il n’y a pas l’ombre d’un doute qu’il s’agit là d’“ une ¬véritable opération de persécution ” menée contre les chrétiens d’Algérie. “ Cette campagne, exécutée à grands renforts de publicité, a une apparence – la défense de l’Islam – mais une réalité : sceller de nouveau l’alliance entre Bouteflika et le courant islamiste radical ”, est-il souligné dans le même communiqué » [El Watan, jeudi 28 février 2008, p. 2]. On trouvera des positions semblables dans une déclaration publiée par « la Maison des droits de l’homme et du citoyen de Tizi Ouzou » : « Nous appelons tous ceux qui […] peuvent influer sur les évènements à faire preuve de sagesse et de sens des responsabilités : l’Algérie […] n’a pas besoin de se lancer dans une fausse guerre de religions. Pour les militants des droits humains, la liberté de culte et de ¬conscience est un principe intangible. Les pouvoirs publics doivent veiller au strict respect des obligations contenues dans les traités et les conventions que l’Algérie a ratifiés ; ¬plusieurs y font expressément mention». Le chef du Gouvernement de l’époque M. Belkhadem est mis directement en cause par Le Soir d’Algérie, dans un article intitulé « Le temps de l’Inquisition » qui porte toujours sur le thème du respect de la liberté de conscience : « À intervalles réguliers, l’Islam sert de fond de commerce et les concessions faites aux islamistes sont présentées comme un mal nécessaire. La mise en œuvre de la réconciliation nationale n’a pas arrangé les choses. Pis encore, on assiste à un retour en force du religieux. […] En annonçant que “ la société algérienne s’est attachée au Saint Coran depuis qu’elle a embrassé l’Islam et le Coran représente sa constitution qu’elle n’acceptera point de changer ”, le Chef du Gouvernement en plus de violer le principe de la liberté de conscience ne fait que légitimer la chasse aux non - musulmans menée tambour battant par le ministre des Affaires religieuses. En moins d’un mois, 25 communautés chrétiennes se sont vues notifier l’ordre de cesser toute activité. Des Algériens convertis au Christianisme sont poursuivis en justice et des responsables d’églises sont sommés de quitter l’Algérie car présentant “ une menace pour la sécurité de la nation ”. Plus grave encore, une jeune femme risque trois ans de prison à Tiaret. Elle a été arrêtée en possession de plusieurs exemplaires de la Bible, ce qui a suffit à son inculpation » [Nawel Imès, « Le Soir d’Algérie », lundi 26 mai 2008, p. 3]. L’un des penseurs contemporains algériens les plus en vue, résidant en France, mais venu en Algérie pour une conférence, Soheib Bencheikh, tient des propos qui vont dans le même sens, que le journal El Watan reproduit : « “Le législateur ou le moralisateur ne peut pas pénétrer dans la conscience des gens ”, a ainsi entamé M. Soheib Bencheikh, ancien mufti de Marseille […] écœuré par la tournure prise par les évènements, il joint sa voix à celle de ceux qui dénoncent la chasse aux sorcières tout en relevant les paradoxes de l’Algérie moderne. En effet, au moment où se tient un colloque international autour de la conception des droits de l’Homme chez l’Emir Abdelkader, avec la mise en exergue de sa défense des chrétiens au Moyen-Orient, le tribunal de Tiaret juge une femme “ pour pratique illégale d’une religion autre que l’Islam ”. “ La foi ne se décrète pas ” dit-il, tout en rejetant “ la manière de faire de l’administration ” ainsi que “ ces agissements en complète contradiction avec notre religion qui favorise les confessions et les protège ”. Et d’asséner des sourates pour appuyer ses déclarations notamment les versets sur la tolérance, la diversité religieuse et la non-contrainte » (« Notre nation est vouée à l’enfermement », jeudi 22 mai 2008, p. 2). Au-delà de ces prises de position de l’opinion publique libérale en Algérie, il est tout à fait significatif que le ministre des Affaires religieuses, M. Ghoulamallah, ait déclaré à plusieurs reprises qu’il soutenait la liberté de conscience y compris la possibilité pour un musulman de changer de religion, ajoutant que ce que l’État algérien redoutait ce serait la constitution de minorités religieuses qui chercheraient ensuite à faire appel à l’étranger pour défendre leurs droits. Face aux Conversions On sait que le débat en Islam sur le statut du musulman quittant l’Islam pour se convertir à une autre religion (le murtadd) est un débat ancien et aujourd’hui très actuel. Le Coran ne menace l’apostat que des peines de l’autre monde (par ex. 16,108). Mais le hadîth prévoit la mise à mort de l’apostat. Les Fuqahâ’, ou spécialistes de la sharî’a, se disputent pour savoir comment interpréter cette tradition. Certains exégètes contemporains disent qu’il faut tenir compte du fait que les versets radicaux ont été prononcés dans un contexte où se profilait la menace d’une révolte générale des tribus de la péninsule arabique qui aurait mis en péril l’existence même du jeune État musulman, ce qui eut lieu effectivement sous le califat d’Abou Bakr. Par conséquent, il faudrait comprendre ces versets comme une condamnation de la trahison en cas de péril de la nation. Le principe « qu’il n’y a pas de contrainte en religion » demeurant sauf. Mais le fait nouveau auquel doit faire face l’État algérien est la conversion de plusieurs centaines, peut-être de plusieurs milliers de personnes nées dans des familles musulmanes et qui choisissent publiquement d’adhérer au Christianisme. En fait le débat, dans la presse algérienne, ne s’est pas engagé à partir des critères propres à l’exégèse musulmane. Pour la presse francophone, généralement plus ouverte au respect des convictions personnelles, il s’agit d’un débat sur la liberté de conscience, à partir d’une perspective des droits de l’homme. Une évolution très importante s’est donc produite en Algérie à l’occasion de ce mouvement de conversions. Il ne s’agit plus, en effet, d’une opinion particulière exprimée par un spécialiste, mais bien d’une réaction de conscience exprimée par des centaines de journalistes et des milliers d’intellectuels musulmans défendant la liberté de conscience de ceux de leurs compatriotes qui ont choisi de quitter l’Islam pour embrasser une autre confession. à ma connaissance, aucun pays arabe et musulman n’a déjà connu un débat de cette ampleur sur la liberté de conscience entendue comme la liberté pour des musulmans de quitter leur religion de naissance pour choisir d’adhérer librement à une autre confession.