Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:40:53

Entrevue avec P. Rafic Greiche, directeur du service de presse de l’Église Catholique égyptienne, par Maria Laura Conte et Meriem Senous Comment est l’atmosphère en Égypte en cette période de campagne électorale? L’atmosphères est incertaine, mais on remercie le Seigneur. L’atmosphère est lourde pour plusieurs raisons. Premièrement parce qu’il y a trop de candidats : il sont treize, dont cinq appartenant aux partis islamistes. Leurs tendances varient du fondamentaliste au plus fondamentaliste. C’est-à-dire que dans le courant islamiste il n’y a pas un seul candidat qui soit « modéré ». Et c’est de cela que les chrétiens ont la frousse. Et puis il y a les représentants socialistes, les libéraux, au sens « capitaliste ». Vous ne considérez pas positivement ce nombre élevé de candidats ? Je crois qu’il y a trop de dispersion, trop de divisions. 13 candidats c’est vraiment trop. Un bon nombre de candidats est certainement le signe de la démocratie. Mais un numéro aussi exagéré génère divisions et dispersion. Cela signifie que quelque chose n’a pas bien fonctionné. Parmi ces 13 candidats, quels sont les favoris ? Les favoris sont par ordre : Amr Moussa, ex-ministre des affaires étrangères du gouvernement de Moubarak, et ex-secrétaire de la Ligue Arabe. Ensuite il y a le général Ahmed Shafiq. Et là se pose le problème du choix entre le politicien et le militaire. La majorité du peuple ne veut plus un militaire comme président, parce qu’on ne veut plus de dictature. Dans ce cas aussi les voix sont divisées. Comment se pose la communauté chrétienne dans cette situation ? La communauté chrétienne aussi est divisée entre Amr Moussa et Ahmed Shafiq. Certains préfèrent un militaire, car ils le considèrent le seul capable de sécuriser effectivement la sécurité du Pays. Mais d’autres ont peur : si les militaires rétablissent un régime dictatorial, ils peuvent donner aux islamistes l’occasion et le prétexte de perpétrer des actions violentes. Malheureusement l’Église Copte Orthodoxe vote pour le candidat militaire parce qu’ils pensent que les militaires soient les seuls qui puissent les protéger. Cela fait 1400 ans que les coptes orthodoxes pensent de la même manière. C’est pour cela qu’ils préfèrent un militaire. Tandis que les coptes catholiques, à mon avis, voteraient pour Amr Moussa. Pourquoi Moussa? Oui, il est considéré comme laïc, comme un bon diplomate, connaissant bien les affaires étrangères. Il connait bien l’Europe où il a de grandes amitiés, il connait bien le Vatican avec lequel il entretient de bonnes relations. Il a beaucoup d’amis catholiques. Il est bien connu dans la communauté chrétienne. Et Amr Moussa a toujours été un opposant à Moubarak, même du temps où il était son ministre. En effet Moubarak l’a nommé à la Ligue Arabe pour se débarrasser de lui. Y a-t-il de la part de la communauté chrétienne des consignes de vote ? Officiellement non. Les deux candidats en tête de lice, Moussa et Shafiq, abordent-ils le thème de la religion ? Ont-ils utilisé la question religieuse pendant la campagne électorale? Les deux candidats sont ouverts sur la question religieuse, mais ce n’est pas la priorité maintenant pour la majorité du peuple en ce moment. Parce que la question est de choisir entre un diplomate et un militaire. Quels sont les mots les plus récurrents dans ces derniers jours de campagne électorale, utilisées pour conquérir le vote des électeurs? Le mot le plus utilisé est « Stabilité », couplé avec « On ne veut pas de militaire ». Certains menacent du risque de violence si un militaire ou un ancien du régime de Moubarak arrive au pouvoir. Ensuite il y a la question copte et la question de la condition féminine. Ils parlent tous beaucoup de la liberté de la femme et de ses droits. Vice-versa les fondamentalistes veulent comme toujours que les femmes soient voilées et qu’elles restent confinées à la maison, ils veulent en faire comme d’habitude des citoyennes de deuxième degré. Et la question économique ? la faiblesse de l’économie du Pays, le chômage des jeunes ? Ce problème vient en troisième position et il est abordé surtout par les candidats socialistes. Ce sont les seuls qui parlent de pauvreté, d’hygiène, de la crise, du chômage et de la condition des gens les plus démunis. Ce sont des socialistes, nasséristes. Pour la majorité du peuple qui manifestait à Place Tahrir pour la liberté, la dignité, la démocratie, quel est à votre avis le candidat idéal ? Même les révolutionnaires de la Place Tahrir sont divisés. Parmi eux il y a des révolutionnaires laïcs et des révolutionnaires fondamentalistes, Frères Musulmans ou Salafistes. Les révolutionnaires de la Place Tahrir n’appartiennent pas à une seule catégorie. Ils ne parlent pas d’une seule voix. Mais ceux qui sont de vrais révolutionnaires, ceux qui ont encore « la pureté » des vrais et des premiers révolutionnaires, voteront pour les candidats socialistes. Parce qu’ils pensent que les socialistes – comme Sabahi et Khaled Ali – sont les plus proches aux idées révolutionnaires qui les animent. Ils les voient comme de vrais socialistes comme au temps de Nasser. À votre avis, y a-t-il quelque chose de nouveau dans cette élection ? Avez-vous le sentiment qu’il s’agit d’une nouvelle saison pour l’Égypte ? Le premier aspect positif de cette élection est la liberté de s’exprimer. Il y a beaucoup de candidats, comme j’ai dit, même trop. L’Égypte est sur une voix démocratique, mais il y a toujours le danger que ce processus finisse entre de mauvaises mains. Quelles sont les mauvaises mains ? Les fondamentalistes… À un certain moment ils étaient cachés. Ils se dissimulaient. Mais maintenant on voit bien qu’ils disent beaucoup de mensonges. Ils promettent beaucoup de choses et ne font rien. L’Armée a promis de se retirer après les élections. Aujourd’hui pensez-vous qu’ils vont maintenir leurs promesses ? L’Armée a promis de se retirer, mais étant une armée, une armée ne se retire jamais. Une armée fait quelques pas en arrière, et reste dans le backstage, les coulisses. Mais elle sera toujours là. L’Armée est très importante en Égypte. Quel est le candidat de l’Armée ? Officiellement il n’ y a pas de candidat. Mais pour moi celui qui représente l’Armées est Ahmed Shafiq. C’était un général et il peut compter sur le soutien non seulement des militaires, mais aussi de la police, des Services de Sécurité, les ex-policiers de Hosni Moubarak.