Elia de Nisibi, Il libro per scacciare la preoccupazione (Le livre pour éloigner la preoccupation), Samir Khalil Samir (Éd.), traduction et notes de Anna Pagnini, Zamorani, Torino 2007.
 

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:44:49

La série Patrimoine Culturel arabe chrétien, qui en est à son neuvième volume, présente la première partie d’une œuvre importante de l’évêque nestorien Élie de Nisibe (975-1046) au public italien. Personnage pratiquement inconnu en Occident, cet évêque érudit qui vécut en Haute-Mésopotamie est l’auteur d’une vingtaine d’œuvres de théologie, mais aussi de philosophie, de grammaire et de calligraphie, d’un dictionnaire arabe-syriaque et même d’un traité sur les poids et mesures. Selon les paroles de Caspar, Charfi et Samir dans la Biblioghraphie du dialogue islamo-chrétien (« Islamochristiana » 3, 1977, 255-286), il est l’auteur le plus important en ce qui concerne les relations avec l’Islam, tant par la qualité de son œuvre (qui inspira de nombreux autres auteurs chrétiens) que par sa quantité ». Tout en étant profondément enraciné dans sa propre tradition culturelle, Élie se rendit compte que le vocabulaire théologique chrétien n’est pas compréhensible pour les musulmans. D’où ce choix d’innover de façon courageuse. A ce propos, Samir observe encore : « En réalité, c’est une véritable révolution mentale [...] : il rompt définitivement avec la mentalité de ghetto, du ghetto chrétien de langue syriaque, pour adopter décidément le vocabulaire de l’autre; et peu importe si ce vocabulaire est contraire aux « règles de la logique » auxquelles il est pourtant si attaché, ou contraire aux traditions des traducteurs syriaques des textes philosophiques grecs » (Un traité nouveau d’Élie de Nisibe sur le sens des mots <Kiyân> et <Ilâh>, « Parole de l’Orient » 14, 1987, 129-130). Un caractère qui différencie clairement les œuvres d’Élie de celles d’autres médiévaux controversés est l’existence d’interlocuteurs réels, avant tout Abû l-Qâsim al-Maghribî, fonctionnaire important du petit état marwanide dont faisait partie le diocèse de Nisibe. L’origine de l’intérêt porté aux chrétiens par ce haut fonctionnaire musulman, échappé de façon aventureuse à une épuration au sein de l’administration de l’Égypte fatimide, remonte à sa rencontre avec les moines de la région. Si par le passé, le vizir avait considéré les chrétiens comme incroyants et polythéistes à cause de leur foi en la Trinité, l’attention avec laquelle les moines le soignèrent lors d’une maladie et la guérison qui suivit et qui selon lui tenait du miracle, le poussèrent à examiner à nouveau la question. Voici l’introduction aux célèbres sept séances mises par écrit après la mort du vizir par Élie pour son frère et ensuite pour le secrétaire du patriarche. Dans la cinquième séance, on trouve une profession de foi monothéiste trinitaire qui obtient la totale approbation de l’interlocuteur musulman : « Je crois fermement – s’exclame le vizir que tout qui professe cette opinion et cette doctrine est monothéiste et qu’il n’y a pas de différence entre lui et les musulmans si non en ce qui concerne la prophétie de Muhammad fils d’Abdallah ». Le fait que les séances rapportent des dialogues réels et pas seulement imaginaires, évite à l’auteur de s’engager sur les voies sans issue de la polémique et confère au texte, même dans la rigueur de son argumentation philosophique, un agréable goût réaliste. Toujours à la demande du vizir accablé de mille engagements, Élie compose aussi le Livre pour chasser les préoccupations, une récolte de maximes dont la finalité est bien résumée dans la préface de l’auteur : « Étant donné que tes afflictions […] sont nombreuses, mais que les grâces de Dieu le Très-Haut à ton égard sont plus abondantes, il est nécessaire que tes préoccupations soient nombreuses, mais que tes joies le soient encore davantage et si les joies sont plus nombreuses que les préoccupations, il est nécessaire que la gratitude dépasse le mécontentement ». La forme syllogistique de la tournure constitue seulement la structure porteuse dans laquelle Élie insère des maximes empruntées à la tradition arabe, grecque, perse et des Écritures chrétiennes. L’œuvre se situe donc dans le filon de la littérature sapientiale, particulièrement riche dans la littérature arabe et dans celles du Moyen-Orient en général, mais il se distingue par rapport aux œuvres musulmanes contemporaines par l’absence de citations coraniques, remplacées en partie par des références à l’Ancien et au Nouveau Testament. Comme l’observe Davide Righi dans sa préface, il s’agit d’un choix guidé par la prudence de la part de l’auteur car cela aurait semblé étrange qu’un chrétien rappelle à un musulman les contenus de son livre sacré. Malgré cette limite, l’œuvre de l’évêque de Nisibe reste un des plus grands exemples de dialogue théologique effectif entre croyants musulmans et chrétiens au Moyen-Âge. L’exceptionnel niveau culturel des deux personnages, la situation de liberté dans laquelle les œuvres furent composées sans oublier l’intérêt réel à comprendre les positions de l’autre représentent certainement un cas rare dans l’histoire qui fut le plus souvent tendue des relations islamo-chrétiennes. Un motif en plus pour apprécier ce choix éditorial courageux. Le texte, dont on attend maintenant la seconde partie, est accompagné d’une ample introduction et propose la traduction italienne en regard du texte arabe ainsi que des notes, tout cela est le fruit du travail de Anna Pagnini, disparue prématurément avant de terminer son labeur.