Recension de « Il nome di Dio, il fondamentalismo per ebrei, cristiani e musulmani »

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:52:42

L'importance du sujet traité dans cet ouvrage est évidente. Ce qu'il faut faire, au contraire, c'est mettre en évidence sa valeur objective: nous nous trouvons face à une volumineuse synthèse des différents courants des trois religions du Livre qui, surtout après le XVe siècle, ont choisi la voie du fondamentalisme. Il est impossible qu'une tentative aussi ambitieuse ne contienne des erreurs, même graves, comme l'affirmation selon laquelle Sainte Thérèse d'Avila aurait été une juive convertie au Christianisme ou celle qui situerait la naissance de l'inquisition dans l'Espagne du XVe siècle. Même si ces erreurs sont importantes - n'oublions pas que l'érudition récompense toujours ceux qui ont le soin de la cultiver - elles ne parviennent pas à entamer l'ampleur de cette tentative et la surprenante équanimité de l'auteur, surtout si l'on tient compte de son parcours personnel (Karen Armstrong a été sœur avant d'abandonner la vie religieuse et l'Église catholique ; elle reste actuellement en dehors de toute confession religieuse).

Il y a naturellement une clef d'interprétation spécifique. Nous pouvons la décrire comme la conviction que tout au long de l'histoire les hommes et les femmes ont vécu conformément au mythos (les croyances reçues des ancêtres), en cherchant continuellement le logos (les raisons qui expliquent les choses et qui permettent d'éliminer le mythos). Nous ne nous trouvons pas toutefois face à l'idéalisation du rationalisme. L'auteur reconnaît au contraire que dans les faits le rationalisme possède une origine chrétienne qui, paradoxalement, s'est développée jusqu'à aboutir à l'irrationalisme agnostique du XXe siècle. En outre elle reconnaît l'existence d'espaces spirituels qui restent en dehors de la connaissance et des explications de la part de la raison humaine (logos). Elle ne le regrette pas ; elle constate simplement le fait. Ne cherchons donc pas dans cet ouvrage des réflexions théologiques - sans aucun doute fondamentales - mais une mosaïque imposante et ordonnée formée des tesselles des mouvements fondamentalistes des cinq cents dernières années.

La limite de la clef d'interprétation que donne l'auteur réapparaît quand elle affronte l'origine historique du fondamentalisme. Celle-ci apparaît comme « logique ». Et nous, en tant qu'historiens, nous savons bien que les événements arrivent très rarement de « manière logique ». Premièrement parce que les hommes et les femmes n'ont pas toujours l'habitude d'agir de manière logique ; ensuite parce que l'historien qui tente d'expliquer les faits du passé ne peut compter que sur peu de variables, par conséquent sa logique tend nécessairement à en réduire l'importance. Karen Armstrong rappelle que les « Rois Catholiques » - Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon, protagonistes de l'unité des couronnes des deux Espagnes et, par conséquent, de l'unité politique de la nation à la fin du XVe siècle - créèrent le premier « Etat » au sens propre et déployèrent le premier effort de « rationalisation d'Etat ». La tentative était toutefois prématurée : elle fut entreprise avant que le logos n'eût atteint un niveau acceptable et, par conséquent, les monarques se virent obligés de créer l'Inquisition, c'est-à-dire, d'avoir recours à l'irrationnel pour réprimer le mythos des dissidents. Ce fait provoqua la dérive fondamentaliste des dissidents, juifs et musulmans.

Ensuite les philosophes rationalistes entrèrent en jeu, en particulier les protestants, et le problème devint de plus en plus grave. La conclusion à laquelle parvient l'auteur est que le fondamentalisme est l'ensemble des mouvements qui prétendent défendre à outrance le mythos et qui naissent de la peur de voir leurs propres croyances affaiblies par la rationalisation politique et philosophique. Mais attention : il ne s'agit pas de simples retours au passé mais, comme toute réaction, ils assument, plus ou moins consciemment, une partie de la nouveauté qu'ils essayent de combattre. En ce sens les mouvements fondamentalistes sont essentiellement et paradoxalement modernes. Et ce qui est pire : après 1978 ces mouvements sont devenus violents. L'auteur fait allusion aux fondamentalismes d'origine juive et musulmane, pas à ceux d'origine chrétienne, identifiés surtout dans les mouvements protestants nord-américains. En grande connaisseuse du catholicisme, elle n'affronte pas le monde catholique et ne confond pas non plus le phénomène du fondamentalisme avec celui de l'intégrisme, né au XIXe siècle.

L'œuvre originale américaine a été publiée en l'an 2000, donc avant le 11 septembre. Jusqu'à ce moment-là les crimes fondamentalistes avaient été normalement sélectifs et, en ce sens, l'auteur n'explique pas la raison pour laquelle on en est arrivé au massacre aveugle et de masse. Mais la thèse du volume pourrait nous faire penser que l'adoption du moderne pour le combattre a conduit certains fondamentalistes à employer des moyens modernes, des instruments techniquement très développés. Deux instruments entre autres : la technologie financière, qui leur permet d'agir au sein de la spéculation capitaliste, et la technologie de guerre acquise par les moyens économiques cités. Le résultat de l'opération est connu.

Dans l'introduction à l'édition espagnole du volume, publiée après les événements du 11 septembre, l'auteur ajoute à sa pensée une remarque importante : les protagonistes des terribles attentats islamiques des dernières années n'étaient pas tous des pratiquants zélés, mais des soûlards et des coureurs de femmes qui n'observaient pas les principes les plus élémentaires de la religion qu'ils invoquaient. L'auteur ne sait pas trouver d'explication à ce fait. Sa supposition est qu'il s'agit d'une forme de « péché saint », autodestructeur, qui a pour but de forcer Dieu à faire de nouveau irruption dans l'histoire pour la corriger. Même si on ne doit pas refuser complètement cette thèse, cette raison ne me semble pas suffisante. Le fait en question réunit en soi plusieurs éléments. Nous nous trouvons certainement face à des problèmes psychologiques individuels et collectifs, ainsi que face à des croyances, et dans ce sens nous pouvons nous demander sil n'est pas possible de trouver dans ces problèmes une forme de revival de l'irrationalisme d'origine chrétienne en version islamique ou juive.

Il s'agit toutefois d'une simple hypothèse, même si elle est à mon avis fondamentale : la proximité avec l'Occident n'aurait-elle pas contribué, au cours du temps et de manière inconsciente, à pousser juifs et musulmans à avoir des attitudes occidentales qui, paradoxalement, sont de racine nihiliste, peut-être nietzschéenne ou heideggerienne ? Karen Armstrong elle-même qualifie de nihiliste le plus récent fondamentalisme islamique. Même si toutefois l'emploi de ce terme pour nous référer à l'Islam peut sembler réducteur : le nihilisme comme autodestruction, éventuellement une autodestruction qui provoque l'intervention de Dieu. Mon problème concerne effectivement la question de l'origine de cette clef d'interprétation : est-elle musulmane ou est-elle le résultat d'un nouveau syncrétisme avec l'Occident ?