L'Islam en Turquie

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:26:47

L’expression islamique en Turquie est très riche et variée : Alberto Fabio Ambrosio, dominicain et grand connaisseur du soufisme, se propose dans ce livre de fournir ses principales caractéristiques. Curiosité que le choix d’organiser la structure de l’ouvrage en cinq chapitres sur les aspects les plus importants de la religion dans le pays, qui rappellent par leur nombre les piliers de l’Islam. De cette manière, l’auteur veut situer la spécificité turque au sein du panorama islamique général. Après une rapide introduction historique sur la genèse de la République de Turquie moderne (1923), Ambrosio s’arrête sur le rapport fluctuant entre l’autorité de l’État et l’Islam. D’abord, durant la période nationaliste de Mustafa Kemal Atatürk, on assiste à une « privatisation » de la religiosité ; puis, progressivement, l’Islam est réintroduit dans la vie publique et politique, un processus qui atteint son sommet durant ces quinze dernières années, sous le gouvernement de l’Akp de Recep Tayyip Erdoğan. Dans le deuxième chapitre, on entre dans le vif du sujet des différentes expressions religieuses turques. L’auteur divise l’expérience islamique locale en cinq – encore – catégories : l’Islam scolaire et officiel, transmis dans les cours des mosquées citadines ; l’Islam minoritaire alévite, persécuté à plusieurs reprises, tout en étant considéré sunnite il inclut des éléments du chiisme ; l’Islam « parallèle » ou populaire, celui des campagnes, mélangé à des croyances et superstitions et alimenté par les récits des maîtres soufis ; l’Islam cultivé et intellectuel des penseurs indépendants. Le leitmotiv de ces expressions est précisément l’enracinement dans la tradition populaire anatolienne, différente de la tradition arabe et antérieure à l’avènement de l’Islam. Le produit le plus emblématique de cette conjonction est la cinquième et dernière catégorie : le soufisme. Pour l’auteur, les confréries soufies sont les plus authentiques représentants de l’Islam turc et elles se caractérisent par la valeur attribuée à l’intériorité et à la spiritualité et par leur nature éclectique. « La culture religieuse populaire est un miroir dans lequel se reflète toute la société turque, d’une base de croyances cosmologiques liées au chamanisme, enrichies par la conversion à l’Islam » (p. 49). Dans le quatrième chapitre, Ambrosio s’arrête donc sur l’importance culturelle du soufisme et sur sa diffusion, en rappelant que dans l’histoire républicaine, les confréries n’ont pas toujours eu la vie facile. En effet, les persécutions des autorités à leur égard ont été nombreuses parce que « dans la perspective de la création d’une nouvelle identité laïque [...] chaque revendication d’indépendance et de reconnaissance des propres droits minait sérieusement la base de la République » (p. 63). Parmi les exemples, une réalité non soufie est aussi citée. Il s’agit du mouvement Hizmet, fondé par Fethullah Gülen, qui se distingue par son rôle actif dans la société et la politique. Ces dernières années, l’affrontement avec l’Akp, son allié à une époque, l’a exclu de la vie publique, un sort qui est celui de beaucoup d’ordres mystiques. Et enfin, le dernier chapitre cerne, peut-être trop rapidement, la phase actuelle de la religiosité turque, caractérisée par la croissance de l’Islam politique. L’appauvrissement et, dans certains cas, la perte du patrimoine culturel soufi à cause de l’affrontement continu avec l’Islam officiel représentent pour l’auteur une importante perte de mémoire historique pour l’identité de la Turquie contemporaine. Mais il faut ajouter que la succession des évènements dans la dernière partie du libre peut être difficile à suivre, parce que l’auteur se déplace soudainement d’une période à une autre. Cependant, la persistance d’éléments locaux préislamiques et la prééminence du soufisme représentent pour l’auteur, encore aujourd’hui, les traits caractéristique de l’Islam turc. En plus d’être une lecture facile et intéressante, l’ouvrage est très documenté, à travers la référence constante à la langue, et il accorde une importance particulière au rôle des confréries, pas seulement dans le domaine populaire ou périphérique, mais aussi dans l’Islam – soi-disant – officiel, en révélant l’intérêt pour ce monde et la connaissance profonde que l’auteur en a acquise. Traduction de l'original italien