Le cinéma regarde vers l’amour : des frères perdus dans la jungle de San Paolo, du père et du fils dans le monde post-atomique, de l’enseignant et de ses élèves dans la France multiethnique. Et il regarde vers la vie réelle d’une infirmière ougandaise qui découvre et fait découvrir la vérité la plus ignorée de toutes : « Tu vaux plus que ta maladie »

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:48:34

"Que cherchez-vous ? » demanda-t-on une fois à Jack Kerouac, auteur de On the road, roman culte pour plus d’une génération d’idéalistes et aussi de fanatiques du chaos. « Dieu » répondit Kerouac. « Je veux que Dieu me montre son visage ». Qui sait si Walter Salles, le metteur en scène qui depuis des années tente de porter à l’écran le roman – il semble que cette fois-ci soit la bonne – fera sienne l’urgence de Kerouac. Difficile mais pas impossible, pour l’auteur éclectique brésilien, capable de passer de Central do Brasil, film magnifique et poignant sur l’éducation, aux voyages du jeune Che Guevara, pour arriver au cœur de la réalité avec un quasi-documentaire comme Linha de passe (Ligne de passage). Présenté au dernier festival de Cannes, il unit la rue – celle que quatre frères parcourent à travers la jungle de San Paolo – et la recherche du père. C’est un lien déjà expérimenté dans les années soixante, pas nouveau pour le cinéma de Salles, celui qui articule le voyage comme éducation sentimentale à la vie : un mouvement qui est intérieur avant d’être extérieur, une question d’identité qui s’identifie avec un parcours où les étapes sont autant de rencontres réelles.

 

Vers le Sud

Cela semble un paradoxe, mais le second film qui catalyse les attentes des écrans cet hiver, après On the road, a un titre presque identique. Il s’agit de The road (La route), que le metteur en scène australien John Hillcoat a depuis peu terminé de tourner en Pennsylvanie, Louisiane et Oregon. Il est tiré du magnifique roman de Cormac McCarthy, vainqueur du Pulitzer : récit apocalyptique et désarmant d’un voyage dans le Sud qui, à travers des paysages fantomatiques, s’approche de la racine de l’espérance. Déjà avant sa sortie, ce film a une histoire intéressante. Les droits pour l’adaptation cinématographique ont été acquis par le producteur Aronofsky à peine les frères Coen ont terminé de réaliser la version cinématographique du roman précédent de l’auteur, No Country For Old Men : le film qui marque la rencontre entre l’écrivain et les metteurs en scènes plus prophétiques de notre temps. La transposition cinématographique d’un autre roman de McCarthy, All the Pretty Horses, avait déjà été entreprise avec une issue incertaine par un des acteurs cultes des Coen, Billy Bob Thornton. L’homme qui dans le roman traîne son enfant à travers la désolation d’un monde gris où, au lendemain d’un mystérieux apocalypse, la lumière et la chaleur ne sont seulement qu’un gigantesque point d’interrogation dans le cœur, aura dans le film le visage de Viggo Mortensen, l’Aragorn du Seigneur des Anneaux. Un beau et grand choix, celle du héros de la Terre du Milieu pour affronter la question la plus urgente et négligée : que reste-t-il d’humain dans un monde qui ne l’est plus ? Un voyage de l’espérance, pour voir l’effet que produit une vraie présence, un cœur, au milieu de l’apocalypse, un jeune italien, Emmanuel Exitu l’a fait lui aussi. Il ne s’appelle pas ainsi, mais dans -cette référence à l’écrivain Giovanni Testori, que le metteur en scène de Bologne a voulu endosser comme sa nouvelle identité, l’espérance a son importance. Très différente des espérances minimes qui – expliquait l’auteur lombard – n’aident pas à vivre. Exitu est allé à Kampala pour rencontrer Rose Busingye, une infirmière qui assiste, avec l’aide de volontaires, 2000 malades du Sida et 2050 orphelins. Le résultat est un court-métrage surprenant, Greater-Defeating Aids, récompensé à Cannes par Spike Lee, président du jury du concours promu par la tv online Babelgum. De spécial, dans ce documentaire, il y a le visage lumineux de Rose, la joie qui contamine les femmes séropositives qui se confient à elle dans un émouvant abandon, la profondeur des six ¬paroles qui changent la vie à l’une d’elles, Vicky : « Tu vaux plus que ta maladie ». D’extraordinaire, dans ce documentaire qui ne recouvre jamais la réalité mais l’observe à partir de son point de fuite, quand la vie triomphe sur la mort, il y a une certitude qui transparaît de tout photogramme. Il s’agit d’une option positive pour laquelle les choses, interrogées, répondent.

 

A l’Ecole

Si le problème est éduquer le cœur ou le regard à l’espérance qu’un autre monde est possible, il n’est pas toujours nécessaire de voyager. Qu’il s’agisse de guerre ou de sécurité, d’amour ou de terrorisme, à la fin on en arrive toujours là, sur les bancs, où peut-être les choses auraient pu prendre un autre pli dès le début. Finalement, le cinéma aussi s’est rendu compte que l’urgence est aussi et surtout éducative. Si les films américains qui parlent des jeunes et de l’école, même les meilleurs, se réfugient toujours dans un bonnisme embarrassant, l’Europe, elle, ose davantage. Freedom Writers, produit en 2007 par Danny De Vito et dirigé par Richard La Gravenese, est inspiré d’une histoire vraie et à l’énième livre à succès sur une école américaine où se concentrent toutes les contradictions du monde. Il arrive seulement maintenant en Italie, en dvd et via satellite. Il parle d’une jeune enseignante dont c’est la première expérience dans un lycée de Los Angeles, au lendemain de désordres raciaux des années nonante. Les élèves proviennent de familles ¬pauvres et vivent dans des quartiers dégradés, ils sont résignés à la violence. Et les adultes feignent de ne rien voir. La force de volonté de l’enseignante, sa passion, l’écriture comme instrument de découverte du moi, réussiront à ouvrir une brèche dans une situation sans issue. Pas vraiment un chef-d’œuvre – avec l’espérance qu’il se noie immédiatement dans la rhétorique d’un happy end annoncé , mais lors de jours comme les nôtres, quand devient normale même la nouvelle que les enseignants texans de Harold pourront aller à l’école armés « afin de prévenir les fusillades et de protéger le corps enseignant et les élèves en cas d’attaques armées », c’est toujours mieux que rien. Pendant ce temps l’Europe se réveille. Parmi les téléfilms italiens peu présentables sur l’école, où les jeunes sont toujours malins et les professeurs frustrés, on annonce pour l’automne l’exception de O’ Professore, le tvmovie tourné par Maurizio Zaccaro avec Sergio Castellitto dans les rues désolées de Scampia, à Naples. Tiré librement de Gli ultimi della classe de Paola Tavella, il parle de ceux qu’on appelle les « maîtres de rue », ceux qui -armés seulement de patience, vont chercher les jeunes chez eux, les arrachent littéralement à la rue, et les emmènent à l’école. Ils ne sont pas missionnaires mais enseignants : surtout des hommes. Et il faut les suivre, plus que dans les salles de classe, dans les courses en rue. Tout comme Miloud, le protagoniste du film Pa-ra-da, présenté à Venise par Marco Pontecorvo, fils du célèbre Gillo.

 

Miloud est un clown qui recueille les enfants abandonnés en Roumanie, qui sniffent de la colle et du vernis, qui dorment dans les égouts. Il les prend avec lui, leur enseigne un métier, et ose prononcer une promesse : le bonheur est possible. Optimiste forcé, utopie ? Les français aussi s’y frottent, et il est intéressant que le docufilm Entre les murs de Laurent Cantet, qui a gagné le dernier festival de Cannes, ait déjà été acheté pour le marché américain par la Sony qui a reconnu en ce produit hybride, aux coûts très bas, « l’universalité du thème ». Ce film aussi est tiré d’un livre qui a vendu des millions de copies. L’auteur, François Bégaudeau, professeur de collège, à l’écran est l’enseignant qui se retrouve à Paris dans une classe multiethnique des banlieues, avec la tâche -difficile de chercher un langage qui soit commun aux vingt jeunes élèves (tous des acteurs non professionnels, choisis par le metteur en scène après des expériences de plusieurs mois). Ils sont chinois, algériens, marocains et François leur enseigne le français. Ainsi, l’attention se déplace des règles de la démocratie à celles de grammaire. Il s’agit toujours d’ordre. Mais le drame se consume avec la découverte que les règles ne suffisent pas à fonder un ordre qui embrasse vraiment la diversité humaine. Et à la fin, dans ce microcosme très laïc, incertain entre la tolérance et la rigueur, tous sont perdants : professeurs et étudiants. Une défaite établie le dernier jour d’école par une petite fille désespérée qui dit au professeur : « Monsieur, je crois que je n’ai rien appris ». Un j’accuse qui commence à faible voix, dans l’espace étroit de la classe, Entre les murs, et devient un cri qui sort, dans les rues, dans un monde qui a perdu la capacité de poser des questions et d’offrir des réponses. Quelle que soit la latitude où nous vivions, c’est le nôtre.

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