L’accord sur le nucléaire iranien aura des répercussions importantes sur les relations internationales de l’Iran et sur l’histoire du Moyen-Orient, mais aussi à l’intérieur, au niveau politique et social. Les différentes implications se mesureront dans le temps, mais les premiers mouvements s’aperçoivent déjà. Entretien avec Nasser Hadian, professeur de Sciences politiques à l’Université de Téhéran

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:29:41

Comment l’accord USA-Iran sur le nucléaire a-t-il été accueilli en Iran ? En ce qui concerne la population, je peux dire que la majorité des iraniens l’a accueilli favorablement. Ou mieux, tous n’étaient pas satisfaits des détails de l’accord, mais la majorité était favorable. En ce qui concerne l’élite iranienne, elle est généralement divisée en quatre groupes. Il y a ceux qui fondamentalement ont apprécié tous les aspects du pacte ; ceux qui tout en étant critiques l’ont cependant accueilli avec plaisir ; ceux qui ont émis des critiques légitimes et l’ont refusé ; et enfin, ceux qui sont très critiques et considèrent qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’Iran d’avoir un accord sur son programme nucléaire. Comment l’accord influencera-t-il la politique iranienne et la société ? La société s’attend à l’annulation des sanctions. Cela influencera progressivement différents aspects de la société et engendrera de plus nombreux investissements, de nombreuses créations d’emploi et l’amélioration du niveau de vie. Voilà le programme présenté par le Président Rouhani et c’est la raison pour laquelle il a gagné les élections. Les iraniens s’attendent à ce qu’il maintienne ses promesses. L’accord aura certainement des répercussions également sur la politique iranienne. Mais l’élite politique est divisée principalement en deux groupes : les partisans de la ligne dure et les réformateurs. La perception est que les partisans de la ligne dure veulent limiter les effets de l’accord aux questions nucléaires et à la politique étrangère sans que cela n’ait d’impact sur la sphère sociale, culturelle et politique. Et ils feront de leur mieux pour atteindre cet objectif. Mais le gouvernement et les réformateurs tenteront d’amplifier les effets de l’accord jusqu’à investir d’autres domaines de la vie sociale. En d’autres termes, ils soutiennent que tant qu’il y avait des sanctions et que l’Iran se trouvait sous la pression et la menace internationale, il était acceptable d’adopter des mesures extraordinaires. En effet, la question de la sécurité était prioritaire et justifiait un contrôle plus élevé de la politique. Mais à partir du moment où ces menaces n’existent plus, il n’est pas logique ni pour le gouvernement ni pour les réformateurs qu’on continue à exercer un contrôle in-flexible sur la sphère politique, en arrêtant les personnes et en limitant leur liberté. Maintenant il n’y a plus aucune raison de poursuivre cette politique. Nous devons attendre et voir quelles répercussions aura l’accord sur les différents domaines de la vie sociale. Et dans la situation du Moyen-Orient quelles implications l’accord aura-t-il? Maintenant nous pouvons accorder plus de ressources pour faire face aux questions régionales qui sont très critiques. Tous nos pays limitrophes sont instables : l’Irak, la Syrie, le Liban, le Yémen et l’Afghanistan. Nous devons être très attentifs à notre sécurité et, selon mes prévisions, dans les prochains dix ou quinze ans, l’Iran jouera un rôle important pour stabiliser la région. Les acteurs liés à ce pays comme la Syrie de Assad, le gouvernement irakien de al-Abadi et le Hezbollah pourraient-ils bénéficier du retour de l’Iran sur la scène politique et économique internationale ? Cela pourrait signifier plus d’aides pour combattre l’État islamique et les autres organisations djihadistes ? Nous ne pouvons pas nier que si nous aurons plus de ressources nous aiderons aussi nos amis. Mais l’Irak n’a pas besoin de notre aide financière. L’Iran essayera d’impliquer deux acteurs régionaux importants, l’Arabie Saoudite et la Turquie, et deux acteurs internationaux, la Russie et l’Amérique, pour stabiliser la situation syrienne et isoler l’EIIL. Nous avons été très clairs sur un point : pour contenir et battre l’EIIL il est important de collaborer et de coordonner les activités avec les acteurs régionaux et internationaux. Nous aussi, nous collaborerons maintenant que nous pouvons accorder plus de ressources, pas seulement financières, à cet objectif. Si l’Iran et la Turquie collaborent, il y aura davantage de possibilités pour anéantir l’EIIL en Syrie. Les monarchies du Golfe se sont montrées hostiles aux négociations USA-Iran. En particulier, l’Arabie Saoudite menace d’entreprendre un programme d’armement atomique en collaboration avec le Pakistan. Est-ce une hypothèse vraisemblable ? Non. Les saoudiens ont certainement le droit d’avoir un programme pacifique d’énergie nucléaire sous l’égide du Traité sur la Non Prolifération Nucléaire. S’ils veulent un programme nucléaire, ils peuvent l’avoir. Mais je ne comprends pas pourquoi ils devraient le lier au nôtre. Ils ne doivent pas demander l’autorisation à quelqu’un, ni aux États-Unis, ni à l’Iran. Avec le Traité sur la Non Prolifération, s’ils le veulent, ils ont droit à un bon programme nucléaire. Mais je doute qu’ils y parviennent parce qu’un programme nucléaire requiert de nombreuses infrastructures que l’Arabie Saoudite ne possède pas et dont le développement prendra des années. Mais s’ils veulent produire des armes nucléaires ils ne peuvent pas. C’est illégal pour tout le monde, pour l’Iran, pour l’Arabie Saoudite, pour tout le monde. Devons-nous nous attendre à une course au réarmement ou considérez-vous possible un accord entre les acteurs du Moyen-Orient qui permettrait de réorganiser la région ? Je suis plein d’espoir. Dans les prochains mois, le ministre des Affaires étrangères iranien contactera les acteurs régionaux et locaux pour aplanir les tensions et ouvrir la voie à un dialogue potentiel inclusif sur la sécurité. Israël craint que l’accord constitue une menace pour sa sécurité. Ces craintes sont-elles justi-fiées ? Absolument pas. Les américains sont les grands amis d’Israël et l’accord qui a été négocié ne nuit pas aux intérêts d’Israël. Les leaders israéliens ne sont pas préoccupés par l’accord, ils savent que les américains n’auraient pas négocié un accord qui leur était défavorable, et ils savent aussi que les iraniens ne recherchent pas les armes nucléaires. Je n’ai aucun doute sur le fait que les israéliens le savent. Ce que veut Israël n’a rien à voir avec notre programme nucléaire. Ce qu’il veut vraiment c’est maintenir l’Iran isolé en détournant l’attention d’autres questions. Il veut que l’Iran soit le suspect numéro 1 pour la question nucléaire et que l’attention internationale se focalise sur ce point, sur les conflits et sur le chaos régional. Il ne veut pas parler des droits des palestiniens. Les israéliens craignent que la fin de la menace iranienne détourne l’attention sur eux et qu’ils devront fournir des explications à propos de leur programme nucléaire. On parle toujours du programme iranien d’enrichissement de l’uranium, mais Israël a plus de 200 têtes nucléaires qui ne sont contrôlées par aucune agence internationale.