Sarajevo est une ville où, des siècles durant, ont coexisté musulmans, chrétiens de différentes confessions et juifs. Les signes de cette coexistence restent visible dans l’architecture comme dans le tissu social de la cité. Mais, outre les cicatrices laissées par la guerre, elle risque aujourd’hui d’être compromise par une situation politique et économique difficile.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:34:02

Après l’Albanie, la Bosnie. Le pape François continue à consacrer une attention spéciale aux Balkans, périphérie de l’Europe à majorité orthodoxe et caractérisée par la présence de nombreuses communautés islamiques. Et ce sont les orthodoxes e les musulmans, justement, qui, pour des raisons différentes, constituent deux interlocuteurs fondamentaux de ce pontificat. Mais si, en Albanie, le pape a pu mesurer une réalité de coexistence pacifique entre les religions, favorisée par le fait que les confessions présentes dans le pays partagent la même appartenance ethnique et ont connu la même persécution de la part du régime communiste, on ne peut en dire autant de la Bosnie-Herzégovine. La guerre sanglante des années 1990 entre serbes, musulmans et croates a été gelée par les accords de Dayton de 1995, mais au prix de la création d’une bureaucratie éléphantesque qui étouffe le pays. Et ainsi, maintenant que se sont éteints les projecteurs sur le centenaire de la première guerre mondiale, la Bosnie reste au degré zéro de la croissance tandis que le feu de la contestation couve sous la cendre. Du reste, l’intérêt que l’on peut porter à Sarajevo va bien au-delà de l’architecture magnifique qui, dans son mélange de style ottoman et habsbourgique, rappelle au visiteur que l’Islam ici est vraiment européen. Certaines images de carte postale ne correspondent plus à la réalité. Il est vrai que, sur moins de quatre cents mètres de centre historique, on voit fuser vers le ciel une synagogue, deux cathédrales (catholique et orthodoxe), et une grande mosquée. Mais de fait, la communauté juive, après avoir fait don au monde de chefs d’œuvre comme la fameuse Haggadah illustrée, a presque disparu à la suite de l’holocauste nazi. Et la cathédrale orthodoxe, qui se dresse pourtant haut dans le centre de la vieille cité, est bien peu fréquentée, depuis que le nettoyage ethnique déchaîné par les serbes au début des années 1990 a creusé un fossé apparemment infranchissable entre les différentes communautés. D’autres images, pour être peut-être moins touristiques, n’en sont pas moins frappantes. Par exemple, dans un contexte dans lequel la minorité catholique paie doublement la difficile conjoncture économique, l’école catholique « Sveti Josip », unique réalité multiethnique de la capitale, accueille des élèves des trois confessions religieuses. Et si l’on répète souvent, affirmation plus ou moins fondée, que la difficulté avec les musulmans viendrait de l’absence d’une autorité centrale, cela n’est sûrement pas le cas de Sarajevo : la domination autrichienne y a laissé en héritage une architecture hiérarchique complexe à l’intérieur de la communauté musulmane. La faculté de théologie islamique, ouverte par les autrichiens, continue à produire une réflexion animée sur le rôle de l’Islam au sein d’un État laïque et libéral, réflexion jointe à la tentative de préserver le profil caractéristique de l’Islam bochniaque (turc pour ce qui est de la culture, ouvert au soufisme, hanafite pour le droit, maturidite en théologie), face à l’avancée, même localement, de l’Islam wahhabite dans ses versions quiétistes et militantes. Au fond, Sarajevo n’est pas née autour d’un tapis vert, et personne n’a projeté de construire la Jérusalem des Balkans comme un grandiose « parc des religions ». Bien plus concrètement, les différentes confessions religieuses se sont retrouvées sur les rives du fleuve Miljacka pour des raisons commerciales, parce que c’était un endroit propice. C’est de là que tout le reste a pris naissance. Et peut-être de la même manière, une solution aux problèmes sociaux qui pressent aujourd’hui la population et qui privent bon nombre de gens de la perspective d’un avenir, permettra, plus que tant d’initiatives symboliques, une nouvelle synthèse culturelle.