Un prêtre irakien dénonce : le gouvernement de Bagdad ne donnera pas de place aux minorités

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:06:17

« L’État islamique et l’Islam politique irakien, chacun à sa manière, poussent vers l’islamisation de la société irakienne ». Les paroles prononcées par le père Amir Jaje, irakien membre de l’IDÉO (Institut dominicain d’études orientales), contre l’Islam politique de Bagdad sont très fortes. Ce qui cause le mécontentement du prêtre est qu’alors que l’armée irakienne est en train de libérer Mossoul, l’Islam politique du parlement de Bagdad est en train de faire des lois qui restreignent la liberté individuelle en Irak. Par exemple, il y a quelques jours le Parlement a approuvé une loi qui empêche l’importation, l’exportation et la production d’alcools ; une autre loi a ratifié la censure de la presse et des publications et une autre encore a interdit des modes de maquillage et habillement pour les femmes dans les universités. Pour le père Jaje, cela prouve que « même si l’offensive contre Daech se terminera bien, la situation des minorités chrétiennes ne s’améliorera pas, parce que l’objectif de l’Islam politique, dont Daech est l’expression extrême, s’inspire d’un modèle où il n’y a pas de place pour d’autres minorités, qui ne sont pas musulmanes. Et, pour nous, cela n’a pas tellement d’importance de savoir si l’inspiration est plutôt saoudienne ou iranienne ». De juin à août 2014, l’été durant lequel Abu Bakr Al-Bagdadi a proclamé le « Califat » de l’État islamique, 90 % des chrétiens ont quitté Mossoul. Dans la même période, la région historiquement chrétienne de la Plaine de Ninive s’est vidée et à la fin de l’année il n’y avait presque plus de chrétiens dans la ville. Daech a occupé tous les villages, en humiliant la population et en la dépouillant de tous ses biens. « Ils sont peu nombreux à être restés, surtout des vieillards et des malades, ceux qui n’ont pas eu le temps de s’enfuir : ils ont essayé de s’adapter en payant la jiziya », impôt historique payé par les non-musulmans en terre d’Islam (surtout les hébreux et les chrétiens, NdR), explique depuis le Caire le père Jaje à Oasis. Les chrétiens, raconte-t-il, ne sont pas restés longtemps après l’arrivée de l’État islamique à Mossoul. Au début 2015, les miliciens djihadistes leur ont confisqué tous leurs biens et les ont expulsés de leurs maisons et de leurs villages. « Depuis, je n’ai plus jamais entendu parler de chrétiens à Mossoul ». L’armée irakienne et une coalition internationale combattent depuis plusieurs jours pour libérer certains villages de la Plaine de Ninive, et pour se diriger vers Mossoul. La ville natale du père Jaje, Qaraqosh, a aussi été reconquise, même si ses habitants ne peuvent pas encore y retourner. « La cathédrale Notre-Dame, la plus grande église de la Plaine de Ninive, a été complètement brûlée. Celles de Mar Yuhanna et de Mar Zena ont également été incendiées, profanées et transformées en salle de tire pour les soldats du ‘Califat’. D’autres lieux qui nous sont chers ont été utilisés comme lieux d’entraînement militaire. Pour nous les chrétiens, la perte des églises est plus douloureuse que la perte de nos effets personnels parce que détruire nos lieux de prière signifie détruire notre espérance. Malgré l’offensive, certains décident de quitter l’Irak maintenant. Nous sommes une église martyre dans ce pays, mais l’espérance reste, malgré tout ». Même dans les villages libérés après deux ans et demi d’occupation de Daech, le danger demeure. « Il se peut qu’il y ait des tunnels sous la ville où se cachent les soldats et des mines dans les maisons. Il faudra encore beaucoup de temps avant de pouvoir rentrer chez nous ». Quel avenir pour la Plaine de Ninive Avant que les habitants des villages libérés ne puissent rentrer, il faut reconstruire les infrastructures, éliminer les mines et mettre les bâtiments en sécurité. « Mais le véritable problème commencera après et sera plus grave et plus profond – avertit le père Jaje. Le conflit le plus important sera le conflit intercommunautaire entre kurdes, sunnites et chiites, entre les minorités et aussi avec la Turquie : chacun des protagonistes des combats actuels veut revendiquer la propriété de ces régions et s’attribuer le mérite de sa reconquête. Ensuite se posera le problème de ceux qui ont collaboré avec Daech à Mossoul, qui risquent de subir une vengeance impitoyable ». Le dialogue et les rapports avec les autres communautés demeurent centraux pour le prêtre. « Nous devons reconnaître réciproquement que l’autre est différent et respecter sa diversité, encore plus lorsque nous croyons au même dieu ». Le père Jaje, islamologue expert d’Islam chiite, est membre du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux. Dans cette fonction, il rencontre souvent des autorités religieuses d’autres religions et d’autres croyances. À Najaf, au début octobre, il a parlé avec les oulémas chiites de la Hawza ‘ilmiyya (institution chiite où se forment les imams). Avec eux, il a discuté du pluralisme irakien. Les imams se seraient montrés sensibles au problème de la fuite des chrétiens, « parce que l’Irak, né dans la diversité, risque de perdre son originalité ». À cette occasion, une proposition partagée aurait émergé : modifier les programmes scolaires qui enseignent l’exclusion et remplacer l’heure d’Islam par une heure d’histoire des religions. Les musulmans modérés, explique le père Jaje, sont la garantie de la présence chrétienne en Irak « et nous avons la responsabilité de maintenir l’espérance allumée ». [Traduction de l'original italien]