Les extrémistes opèrent une lecture superficielle et sélective des sources islamiques. Les remèdes possibles
Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:04:28
L’extrémisme trouve son origine dans plusieurs causes, dont les suivantes : 1. Connaissance médiocre de la religion Il y a des gens qui osent proclamer des normes juridiques, surtout en matière de doctrine, en partant d’une analyse superficielle de certains versets coraniques et de dits du Prophète, sans avoir aucune connaissance des autres textes concernant le martyre et ses fondements : ils s’attachent aux passages allégoriques du Coran (mutashâbihât) et négligent les passages explicites (muhkamât), ou prennent des aspects particuliers au détriment des règles générales. Ceux qui émettent les fatwas, surtout si celles-ci touchent le domaine doctrinal, devraient posséder les connaissances scientifiques requises pour prêcher en présentant aux auditeurs la vision islamique de la vie. Ceci confirme l’importance de se consacrer avec zèle à l’étude de la religion et de posséder une préparation spécifique. Œuvrer sans la connaissance risque de faire plus de mal que de bien. 2. Imitation aveugle L’imitation (taqlîd) aveugle naît du fanatisme et de la confiance dans le guide que l’on prend pour modèle, dans sa méthodologie et dans son approche à l’interprétation. Néanmoins pour ce qui concerne les questions juridiques, le taqlîd est une nécessité légale, parce que nous ne pouvons prétendre que tous et chacun se forment une interprétation personnelle de la Loi (ijtihâd). Si l’on ouvrait la porte de l’interprétation (bâb al-ijtihâd) à qui ne possède pas une préparation scientifique, nous tomberions dans des erreurs infinies qui nous éloigneraient complètement de la religion. Comme l’a affirmé de manière admirable un docteur : « Ne pas suivre un madhhab [école juridique, NdlR] est la porte de l’irreligion ». […] 3. Repli sur soi Les fanatiques partent de leur compréhension particulière et de leur propre réflexion. Du fait de leur fanatisme, ils ne se laissent pas persuader par l’opinion d’autrui et ne parviennent pas à persuader les autres. Chacun d’eux estime que sa propre pensée et son propre point de vue est la religion, et que tous les autres points de vue sont des erreurs manifestes. Plus le temps passe, plus l’individu se replie sur lui-même, fermant la porte du dialogue et de la compréhension réciproque. […] La plupart des fanatiques se concentrent sur une seule idée et se limitent à lire quelque pages précises de livres déterminés, assurés qu’il n’y a rien au-delà de ces textes. Ceci, joint à de nombreux autres facteurs, porte au repliement sur soi et à l’isolement doctrinal, qui les empêche de bénéficier des fruits produits par des générations de juristes, d’intellectuels et de chercheurs. 4. Non-considération du lien de causalité Parmi les causes du fanatisme, il y a aussi l’absence d’une mentalité scientifique et méthodologiquement formée qui respecte les lois du mouvement historique, l’absence de l’idée de causalité (sababiyya), la destruction des critères nécessaires à la correction, à la critique et à la révision, l’élimination des finalités (maqâsid) de l’action de l’homme, et la proclamation de slogans déviants revêtus d’une patine religieuse selon lesquels nous sommes appelés à agir mais non à considérer les effets de nos actions. Tous ces facteurs portent à la confusion conceptuelle et à la régression, tout en alimentant l’isolement et l’immobilisme intellectuel touchant les lois qui règlent la vie. Les valeurs du noble Coran et de la Sunna du Prophète confirment le lien entre prémisses et conséquences, entre causes et effets, et font de celles-ci des équations sociales, dotées de précision et de rigueur quasiment égales aux équations mathématiques, au point d’en faire une philosophie de vie, un guide pour l’action, et une méthode pour aller de l’avant. […] Remèdes au fanatisme Parmi les remèdes, on peut indiquer les suivants […] Gérer la diversité Pour porter remède au fanatisme, sous toutes ses formes, il est nécessaire de savoir gérer la diversité. Nous devons éduquer les personnes à l’accepter et à reconnaître que cette diversité est un droit de l’homme, bien plus, un droit et un devoir islamique. Nous devons apprendre comment ne pas être d’accord, ce qui n’est pas moins important qu’apprendre à être d’accord ; nous devons apprendre comment arriver à la phase de reconnaissance de l’autre, un autre qui a tous les droits d’avoir sa propre opinion tout comme nous nous avons la nôtre. La diversité est l’une des lois (sunan) humaines les plus nobles, et le degré le plus élevé de l’éthique (akhlâq), tandis que la fermeture et le fanatisme correspondent à une phase d’adolescence et de jeunesse de l’humanité. Reconnaître l’autre et sa pensée comme une réalité ne signifie absolument pas confirmer sa position ni lui donner raison. Il suffit de rappeler qu’il s’agit d’un choix qui lui appartient, de son opinion à lui, de sa responsabilité à lui. Et cette opinion et ces convictions méritent d’être respectées. Si nous apprenons à bien gérer la diversité et ses règles, celle-ci se transformera en variété, complémentarité, collaboration réciproque et développement, elle deviendra un signe de santé et d’enrichissement. Il n’est pas exagéré d’affirmer que notre tradition juridique et intellectuelle, nos écoles d’interprétation, et nos interprétations historico-politiques, y compris au sein de chaque école de pensée – à commencer par les efforts d’interprétation des Compagnons [du Prophète] et par leurs divergences (et c’était la meilleure des générations), en passant par les écoles juridiques et doctrinales – constituent une preuve du degré de liberté de pensée établie par l’Islam, bien loin du terrorisme idéologique (irhâb fikrî) ou du fanatisme doctrinal (ta‘assub fiqhî), et des tentatives de mettre au ban l’opinion d’autrui. Et si l’on voyait se produire des cas d’extrémisme et de fanatisme, on peut dire qu’il s’agit d’exceptions qui confirment la règle. Al-Azhar a affirmé que la pluralité et la diversité entre les êtres humains sont un fait naturel reconnu par le noble Coran, et règlementé par la loi qui, dans l’Islam, discipline les relations internationales. Ce dont notre monde contemporain a besoin pour sortir des crises angoissantes qu’il traverse, c’est la connaissance réciproque (ta‘âruf), qui implique nécessairement le principe du dialogue : dialogue aussi bien avec ceux avec qui nous sommes d’accord, qu’avec ceux avec qui nous sommes en désaccord. Voilà pourquoi il est difficile pour un musulman d’imaginer que les personnes, les communautés et les peuples puissent converger en une religion unique et en une unique culture : car Dieu, dans sa volonté, a créé les êtres humains différents entre eux, et jusque dans leurs empreintes digitales. Le Coran dit: « Si ton Seigneur l’avait voulu, il aurait rassemblé tous les hommes en une seule communauté. Mais ils ne cessent pas de se dresser les uns contre les autres. » (11,118). […] * Extraits de l’intervention de Muhyi al-Dîn ‘Afîfî Ahmad, secrétaire général de l’Académie des recherches islamiques de al-Azhar, prononcée lors du séminaire du Comité conjoint pour le dialogue entre le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et al-Azhar. [Traduction de l'original en Italien]