L’adoption en France d’une loi visant à lutter contre les formes de repli communautaire, notamment celles liées à l’islamisme, pose des choix difficiles pour les croyants musulmans. La mesure répond à un phénomène réel, mais risque de donner lieu à un ostracisme d’État

Dernière mise à jour: 03/03/2023 14:55:22

Le 24 août 2021 a été promulguée une nouvelle loi confortant le respect des principes de la République (CRPR). Dans le débat public, le projet de loi était nommé loi contre le « séparatisme ». Toutefois, lors de la promulgation, la loi a été renommée « CRPR » et le terme « séparatisme » a été rapidement retiré. Cependant, la lutte contre les séparatismes s’inscrit dans la suite du discours du président de la République prononcés aux Mureaux, dans les Yvelines, le 2 octobre 2020. Dans son discours Emmanuel Macron désigne deux formes de séparatisme : le séparatisme social et le séparatisme islamiste.

 

Pour ce qui concerne le séparatisme social, le chef de l’État admet la responsabilité morale des élites politiques dans le développement d’un phénomène séparatiste fondé sur des mécanismes de relégation spatiale. Les classes supérieures, en renonçant à côtoyer les classes populaires, se replient sur un monde clos, socialement et culturellement homogène. Par ailleurs, la question de l’image du « banlieusard » véhiculée par les médias est profondément inscrite dans la mémoire corporelle de chaque habitant de la cité. Cette circulation incessante participe aussi à la construction d’une séparation et désormais les jeunes n’habitent pas simplement le quartier, mais ils sont habités par lui. Quant au séparatisme islamiste, en revanche, il vise tout projet d’endoctrinement, politico-religieux, conscient et théorisé, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, se traduisant souvent par la constitution d’une contre-société.

 

Pour répondre à ces deux formes de séparatismes qui effectivement gangrènent le territoire, le président préconise plusieurs axes d’action au sein de la loi CRPR: concrétiser la promesse d’égalité des chances pour pouvoir ramener la République dans les territoires où l’isolement social et la mise à l’écart se traduit par une perception intériorisée de rejet ; lutter contre les attentes aux lois de la République, accompagner la restructuration du culte musulman contre toutes manifestations du séparatisme islamiste et du repli communautaire et freiner les influences étrangères dans les établissements privés hors contrat et dans les lieux de culte.

 

Un an après l’adoption de la loi CRPR, les nouveaux outils de la loi sont en cours de déploiement dans tous les départements, de façon progressive, sous l’impulsion des préfets. En particulier, en ce qui concerne le séparatisme social, il est observable une co-construction de la feuille de route gouvernementale pour la politique de la ville. Elle se traduit par des mesures concrètes politiques en faveur des quartiers prioritaires (QPV) : différents projets éducatifs territoriaux comme le projet « cités éducatives », le « plan devoirs faits », le « plan mercredi », et le déploiement d’une offre de stages de qualité pour les élèves des quartiers ou encore le renforcement du dispositif des médiateurs à l’école pour prévenir et gérer les conflits. Par ailleurs, il est observable une augmentation de la prime aux personnels de l’éducation nationale exerçant dans les zones d’éducation prioritaire renforcée (REP+) et une mise à jour des feuilles de route des associations, qui doivent désormais signer un contrat d’engagement républicain. Pour accompagner ces changements il a été réaffirmé le plan national de formation Valeurs de la République et Laïcité (VRL), et il a été institutionalisé le rôle des Référents Laïcité et Citoyenneté (RLC) dans les administrations d’État. Ces mesures pour endiguer le séparatisme social sont les moyens à disposition pour lutter contre le séparatisme islamiste et le repli communautaire. En effet, la loi CRPR vient donner une nouvelle dimension à la lutte contre les séparatismes, engagée sur tout le territoire depuis fin 2015, d’abord avec les plans de lutte contre la radicalisation dans les quartiers (PLR-Q), puis à travers des cellules de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR).

 

Les contenus de la loi

 

Les autres axes d’actions de la loi sont déclinés au sein d’une centaine d’articles dont les mesures essentielles concernent l’instruction en famille (IEF), qui passe d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation ; le nouveau délit de séparatisme, qui vient protéger les élus et les agents publics contre les menaces ou les violences pour obtenir une exemption ou une application différenciée des règles du service public. À la suite de la décapitation de Samuel Patty, la répression de la haine en ligne est devenue un sujet central et ainsi un nouveau délit condamne la mise en danger d’autrui par la diffusion d’informations sur sa vie privée, familiale ou professionnelle. Par ailleurs, pour assurer aux femmes l’égalité de droits, le texte renforce la lutte contre les mariages forcés ; la protection des héritiers réservataires sur les bien situés en France, lorsque la succession relève d’une loi étrangère qui ne reconnait pas l’égalité des enfants héritiers, ainsi que l’interdiction de délivrance de certificats de virginité. Enfin, les motifs de dissolution des associations en conseil des ministres ont été élargis avec une liste définie des raisons comme l’atteinte à la dignité de la personne ou de pressions psychologiques ou physiques.

 

Cette analyse rapide du cadre législatif est importante à souligner pour comprendre les divergences entre les ressentis d’une partie des Français et le contenu législatif. La loi a été objet de maintes querelles car les dispositions législatives semblent répondre à un phénomène dont la portée demeure indéfinie et floue. Au-delà du déni du phénomène, une deuxième complication est représentée par le fait que le phénomène reste exclusivement appréhendé en termes sécuritaires, alors qu’il recouvre également des enjeux politiques, sociales, économiques, sémantiques, épistémologiques et sémiologiques. Par ailleurs, la désinformation massive sur les réseaux sociaux et sur les articles de presse a engendré de grandes vitupérations contre le gouvernement accusé « d’islamophobie d’État », en laissant souvent certains musulmans dans une tenaille identitaire fondé sur un aut aut d’identification, entre le corps du citoyen et le corps du croyant.

 

En effet, certains jeunes Français de confession musulmane se sentent souvent tiraillé entre les revendications des islamistes et la réponse sécuritaire étatique, qui à leurs yeux semble viser l’islam. L’amalgame entre musulman (al-muslim) et islamiste (al-islâmî), croyance (‘aqîda) et foi (imân) les laisse sidérés dans ces débats polarisés et dépouillés de la valeur de leur maintes appartenances. Par ailleurs, ils sont régulièrement confrontés à la remise en question de leur appartenance nationale par la population majoritaire et ils sont réduit à leur appartenance religieuse par la population minoritaire. Dans ce contexte de conflits de loyauté, nous sommes ainsi confrontés à un enchevêtrement des plusieurs séparatismes.

 

Cet approfondissement a l’objectif de démontrer que le séparatisme est un phénomène qui s’amplifie depuis la décennie écoulée, et qu’il est un analyseur signifiant des mutations en cours dans la société française. La tendance séparatiste ne vise pas uniquement une communauté religieuse, mais c’est un processus qui peut résonner dans la société française dans sa globalité. Des multiples lignes de faille – géographique, éducative, sociale, politique, générationnelle, environnementale, religieuse et ethnoculturelle – peuvent s’entrecroiser engendrant des îlots identitaires. De cette façon, le séparatisme est un concept multiforme et l’aspiration est d’explorer la variété de tendances subjacents à ce phénomène. Cette fragmentation sociétale engendre une silencieuse et lente transformation de l’enveloppe corporelle et des conduites. La sémiologie corporelle, dans son sens littéral et métaphorique, se prête particulièrement à cette quête d’appartenance car la promotion de soi devient un moyen pour exprimer un besoin de différentiation sans limite. Plus clairement dit, la corporéité humaine est saisie comme matière de symboles, objet de représentations et d’imaginaires pour manifester sa propre altérité. Aucun individu n’est à l’abris de cette rhétorique d’exclusion, ainsi, consciemment ou inconsciemment, l’individu peut finir par adopter de différents paradigmes de différentiation (tamâyuz) identitaire – vestimentaires, alimentaires, sexuels, sociaux-économiques, linguistiques, migratoires jusqu’aux pratiques d’enterrement. Il s’agit de différentes manières d’appréhender l’espace sociale et le constat qui s’impose est donc bien celui d’un séparatisme progressif avec maintes configurations : légales ou illégales, pacifiques ou réfractaires, symboliques ou réelles, physiques ou morales, intériorisés ou visibles, passives ou actives.

 

Cette fluctuation entre différents modalités et degrés de désaveu oblige à questionner continuellement le moteur idéologique à la base de la démarche de différentiation identitaire (tamâyuz). Ce questionnement permettrait de déterminer les fondements des îlots identitaires, leurs paradigmes séparatistes et éventuellement leur portée idéologique. Il suffit de creuser la richesse sémantique des traductions arabes du terme séparatisme – ‘uzl (isolement), infisâl (séparation), ou barâ’ (désaveu) – pour comprendre les maints composants non linéaires de ce processus. Les trois termes semblent être synonymes, mais leur ancrage historique révèle des dissemblances au niveau de degrés et modalité de rupture. Ainsi, le séparatisme est un spectre avec des structures alambiquées où on joue librement avec le corps, le temps et l’espace : vivre dans le temps, mais dans un ailleurs spatiale, ou vivre dans l’espace mais dans un passé cristallisé qui n’existe plus.

 

Dans le contexte français actuel, certains musulmans expriment graduellement des paradigmes séparatistes. Des prémices de rupture passives, symboliques et intériorisées peuvent se manifester dans une forme d’émigration (hijra) infranationale : 1) la hijra intérieure (al-bâtiniyya) par la langue, le cœur, l’épiderme et l’éloignement des péchés ; 2) la volonté de séparation (infisâl) par le repli communautaire dans des réseaux uniquement islamiques structurés, en restant dans la société occidentale. Le projet s’exprime comme un déménagement en France d’un quartier non-musulman vers un quartier à majorité musulmane ; 3) La volonté d’isolement (i’tizâl) se manifeste dans un projet de hijra bucolique pour s’installer dans un petit village de province sans aucune contamination extérieure.

 

La rupture peut devenir plus active, visible et physique avec une réelle émigration à l’extérieur de la France. Elle ne s’inscrit pas uniquement dans une hijra vers une terre d’islam, mais les trajectoires sont variées, même vers un autre pays en Europe comme l’Angleterre où l’émigrant (muhâjir) ne perçoit pas son récit corporel religieux comme incompatible avec la société. Parmi les destinations proposées, on trouve au premier rang le Maroc et l’Algérie avec un nombre considérable de témoignages, ainsi que la Tunisie, le Maroc et l’Égypte ou encore la Turquie, la Malaisie et Zanzibar.

 

Pour prendre la mesure de cet engouement, une simple saisie du mot hijra sur un moteur de recherche fait apparaitre plusieurs forums consacrés au phénomène. De nombreux sites internet, un nombre consistant de groupes privés sur Facebook et sur Telegram proposent d’organiser la hijra pour les émigrés (muhâjirûn) désireux de « vivre sereinement leur islam ». Ces réseaux prodiguent des conseils à travers des témoignages, et des fiches pour chaque pays, un guide détaillé expliquant le budget à prévoir et comment trouver un emploi, un logement ou encore un premier contact. Des conseillers spécialisés (un pour les hommes, une autre pour les femmes) sont disponibles par Skype et se chargent de recueillir l’aumône (zakât), troisième pilier de l’islam, pour financer le voyage des candidats à la hijra. On note, par ailleurs, la présence majoritaire des groupes pour la hijra entre sœurs, destinés aux femmes désireuses d’émigrer (muhâjirât) seules sans l’accompagnement d’une personne de sexe masculin de proche parenté inépousable à vie (mahram).

 

L’analyse approfondie des principaux griefs de ces nouveaux émigrés fait ressortir une mobilité religieuse de privilège, avec des discours et des motifs variés. En premier lieu, la mobilité de ces individus est structurée avec une attention particulière à la visibilité de l’identité religieuse dans le pays de départ et le pays de destination. Cette mobilité est signifiante pour fuir une perception d’un environnement socioculturel qui semble entraver la mise en œuvre des aspirations éthiques et existentielles. Certains individus s’engagent dans cette forme physique de mobilité pour différentes motivations enchevêtrées : un ressenti d’une islamophobie répandue, la polarisation du débat politique en France, la pandémie et le passe sanitaire. La situation économique, environnementale, économique et social actuelle sont des facteurs à associer pour comprendre la réalité de cette mobilité complexe. Certains de ces émigrés décident de se séparer et de s’éloigner du corps politique car ils ne reconnaissent plus la légitimité de l’autorité politique, et contestent le système en vigueur en France sur la base des facteurs politiques ou éducatifs, notamment les restrictions légiférées par la loi CRPR sur l’instruction en famille (IEF). D’autres individus perçoivent leur hijra comme une opportunité d’écorcher l’étiquette « racisé » imprégnée dans leur corps en redécouvrant avec surprise leur identité française à l’étranger.

 

La hijra a une forte légitimité dans l’histoire islamique, mais elle fait l’objet d’une réactualisation particulière dans le monde contemporain. La réactualisation des exodes à nos jours se retrouve aussi dans le Judaïsme. À titre d’exemple, il est intéressant une mise en parallèle entre la hijra et l’immigration en Terre sainte (alyah). Un nombre croissant de Français juifs font leur alyah pour des raisons variées. À différence de la hijra, la migration juive est très structurée au niveau étatique par un Ministère de l’alyah e de l’intégration qui met à disposition des adeptes (olim) des services spéciaux dans le domaine du logement, de l’emploi, de la fiscalité ainsi que les cadres éducatives pour les différents âges. Cette sensibilisation est faite dans le pays de destination, ainsi qu’en France avec l’organisation des différents salons dédiés à l’’alyah où un réseau d’expert de l’Agence juive de Paris qui aide les juifs à accomplir cette « élévation spirituelle ». Cette mise en parallèle est nécessaire pour souligner que le séparatisme est un phénomène courant et parfois institutionnalisé. Par ailleurs, la réactualisation de la hijra du Prophète n’a pas l’unanimité et la même signification dans les communautés islamiques. Pour cette raison, il est essentiel de saisir les nombreuses controverses, les similitudes et les divergences d’opinion vis-à-vis de la définition et de la licéité de la hijra au sein des communautés musulmanes en France, ainsi que son instrumentalisation dans les divers collectifs islamistes en Europe.

 

Ce phénomène migratoire est une pratique de réactualisation multiforme, pacifique ou violente, piétiste ou radicale, mais il reste appréhendé exclusivement en termes sécuritaires en réduisant sa polysémie sémantique aux départs des Français vers les territoires de Daesh ou l’émigration définitive des salafistes dans les pays du Golfe. Les récits des muhâjirûn révèlent une crise sociétale plus profonde : une lente et silencieuse transformation de l’écosystème français et une véritable fuite des cerveaux des Français musulmans entre l’Europe, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. L’accès à des opportunités de haut niveau dans un nouveau marché du travail leur permet d’aboutir à un capital économique, social et culturel majeur. Ainsi, se séparer n’est pas une hérésie en soi : il est inévitable, voire bénéfique pour l’individu et la société. La séparation pose des problèmes quand elle est porteuse d’une idéologie. Le séparatisme est un enchaînement progressif de faits, de comportements ou d’attitudes corporelles, répondant à un certain schéma de pensée. Plus la posture idéologique d’un schéma de pensée est incapable d’accueillir l’Autre, plus le dégrée de rupture seront ostensibles et les frontières, réelles ou imaginées, seront infranchissables.

 

D’une manière effective, la France a un environnement propice à des formes de séparatisme idéologique : définir et exclure l’autre pour qu’un nous prenne corps. En effet, dans les dernières trente années, les collectifs islamistes se sont efforcés de reconfigurer les identités des jeunes musulmans en France selon des dynamiques idéologiques. Plus précisément, les islamistes instrumentalisent le corps comme emblème d’une logique de différenciation (tamâyuz) entre pur et impur et entre un corps social purifié de toute impiété et un corps social considéré honni. L’islamiste sent le besoin de purifier son corps et son âme et il se croit responsable des plusieurs missions : une mission de défense du corps de la communauté musulmane (umma), du corps du Prophète en honneur d’un aniconisme, du corps de la femme, emblème du fantasme de la pureté (tahâra) et du corps linguistique, en s’emparant de la langue arabe. Dans ce type d’identitarisme, les adeptes s’engagent dans un combat de préservation de l’islam contre les tentatives de sécularisation et laïcisation de la communauté. La quête identitaire dans leur discours passe par un refus de traduire le Texte sacré. Traduire, à leurs yeux, signifie trahir l’écoute dévote et passive d’une sacralité hypostasiée. En honneur d’une logique de restitution de l’âge d’or de la Révélation (wahy), ils manifestent une sorte de dissidence via un récit corporel par l’imitation de la vie du Prophète.

 

De toute évidence, certaines formes de séparatisme sont porteuses d’une fragmentation de la société où les identitaires se fondent en miroir de corps de résistance. Dans cette multiplication infinie de signes corporels se déterminent de nouvelles formes d’allégeance et d’identification qui visent à créer des ruptures : d’une part, la purification du corps religieux distinctif des discours islamistes et de l’autre la purification du corps national typique des énoncés politiques d’extrême droite. Ce schéma de pensée connait son paroxysme dans la vidéo emblématique publiée en 2022 par Éric Zemmour pour officialiser sa candidature présidentielle, où il définit les Français comme « exilés de l’intérieur » à cause de la présence des musulmans. Dans la sémantique de son discours il est identifiable une accumulation d’énoncés et images exprimant une vision binaire du monde entre victorieux ou conquis, dominant et dominé, exilés de l’intérieur et étrangers colonisateurs. Par ailleurs, la notion d’exil de l’intérieur renvoie à une dynamique de dépossession et de séparation qui n’atteint pas seulement le physique (le corps) mais aussi le psychique (la conscience).

 

Dans ces mouvements d’excommunication de l’Autre se construit un discours haineux entre un « nous » à protéger et un « eux » à combattre. Les deux mécanismes enracinent un sentiment de non-appartenance à la société et ils procèdent d’une gémellité mentale intéressant à prendre en considération, surtout à lumière du débat autour l’expulsion de l’imam Iquouissen. Hassan Iquioussen est né en France et y réside régulièrement depuis sa naissance avec son épouse et ses cinq enfants de nationalité française. Les motifs retenus par le Conseil d’État pour valider l’expulsion de l’imam se fondent sur ses propos antisémites et promouvant l’infériorité de la femme. Certainement, Iquioussen a une forte hostilité à l’égard des valeurs constitutives d’une société démocratique, encourageant son auditoire à un séparatisme réfractaire, idéologique voire violent. Toutefois, cette expulsion relève d’une forme d’identitarisme étatique qui se purifie à son tour en expulsant les corps étrangers perçus comme inassimilables.

 

Le patriarcat, l’antisémitisme et l’appel à la haine ne sont pas des virus étrangers à la France, éradicables par l’exclusion du territoire national. À mon sens, la logique à la base de l’expulsion illustre une modalité de mise à distance physique d’un corps car l’idée, dont il est porteur, s’oppose aux principes de l’État en question. Cette logique peut être mise en prospective avec les procédures d’ostracisme dans la Grèce Antique ou les accusations d’apostasie (en grec ancien signifie « se tenir loin de ») qui gangrènent de nos jours certains pays. Il s’agit des formes de bannissement publique d’une personne, par décision étatique, pour renier et tenir loin celui qui est perçu comme incompatible aux valeurs prônées dans un carré géographique particulier de la planète. Déplacer le problème ailleurs n’endiguera pas la pollinisation des idées défendues par la personne ostracisée, apostasiée ou expulsée. Les flux idéologiques et les nœuds de communication se transportent avec les liens familiaux, sociaux, commerciaux dans le contexte d’origine, ainsi que le lieu d’expulsion.

 

En conclusion, à mon sens, lutter contre le séparatisme islamiste en fabriquant d’autres formes d’excommunication pourrait créer un cycle vicieux de violence. L’état de droit contre la barbarie, dont la France a fait preuve lors des procès contre les djihadistes, est la seule réponse efficace pour lutter contre toute forme de discours haineux, toute acte de séparatisme prônant une idéologie violente, réelle ou symbolique.

 

 

© tous droits réservés

 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis