Des fillettes transformées en bombes humaines, qui sont envoyées lâchement pour provoquer la mort, des villages entiers exterminés, Boko Haram continue à dévaster des régions de ce pays énorme qu’est le Nigeria, riche en ressources naturelles, mais divisé par des tensions, qui espère trouver un nouvel équilibre dans les élections imminentes. Interview de S.E. Mgr Matthew Kukah, évêque de Sokoto, Nigeria.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:34:00

Ces derniers mois, au Nigeria, on a assisté à des faits particulièrement violents perpétrés par les terroristes de Boko Haram. Des milliers de personnes innocentes trucidées, des fillettes et des adolescents qui, incités par leur parents, se font sauter en l’air, semant la mort... Comment le Nigeria vit-il cette violence que rien ne semble pouvoir arrêter ? Dans une situation comme celle que vit le Nigeria actuellement, ce sont les plus petits et les plus innocents, qui sont les plus vulnérables, en particulier ici, dans le Nord ; où il y a encore trop d’enfants que l’on envoie mendier dans les rues, les familles sont très nombreuses, et souvent les enfants sont abandonnés à eux-mêmes. Dans bien des cas, les fillettes sont données en mariage toutes jeunes, entre dix et seize ans. Une des petites filles qui n’a pas réussi à porter à terme sa mission suicide, une fois arrêtée par la police, a avoué qu’elle avait été remise à Boko Haram par son père. Bon nombre d’entre elles ont été victimes d’enlèvement et endoctrinées. Il ne faut donc jamais oublier que ces enfants sont avant tout les victimes innocentes d’un contexte marqué par de grandes difficultés familiales. Les terroristes opèrent hors de toute logique de moralité, et il n’est pas possible de trouver une explication rationnelle au mal qu’il commettent. Ils agissent en alimentant un climat de peur: ils exportent la terreur et cherchent à détruire qui n’est pas comme eux. Après les homicides de masse survenus dans certains villages, comment les gens vivent-ils ? Peut-on reprendre une vie normale sous la menace de la violence de ces fanatiques ? La peur, il y en a peut-être un peu moins à présent. Dans les états qui subissent continuellement des agressions violentes, la plupart des gens tentent de conserver leurs activités habituelles. La situation semble s’améliorer et j’espère qu’avec l’aide des forces internationales, nous pourrons voir une évolution significativement positive. Du moins c’est là notre espérance. Comment à votre avis les aides internationales pourront-elles résoudre la situation ? Ces dernières années Boko Haram a exploité la fragilité des frontières avec le Cameroun, le Niger et le Tchad. Ces états sont finalement disposés à participer aux opérations contre Boko Haram pour mieux protéger leurs frontières. Ils ont compris que nous avons un ennemi commun. À partir de cette collaboration, nous pouvons espérer raisonnablement que nous parviendrons bientôt à contenir l’action violente de Boko Haram. Notre espoir est soutenu par la conscience qu’il ne s’agit plus seulement d’une attaque contre les chrétiens ni d’un affrontement entre chrétiens et musulmans, mais de terroristes qui constituent un ennemi commun pour les chrétiens et pour les musulmans. Les gens sont tués indépendamment de leur appartenance religieuse. Lors de mes visites dans certaines zones du Nord, j’ai pu voir des cas de collaboration entre des personnes d’appartenance différente, confirmation que les nigérians sont en train de s’unir contre l’ennemi commun. Les shi‘ites eux aussi, par exemple, ne sont plus divisés du reste de la population, comme auparavant. Il y a trois mois, j’ai visité des zones de l’état de Yobé, dans le Nord-Est, où la population est extrêmement préoccupée par la possibilité d’une invasion de Boko Haram ; aujourd’hui, seule une ville de Yobé est contrôlée par les milices islamistes. Il en est de même dans d’autres États, mais les gens espèrent : non parce que l’on ne meurt plus ni parce que ce drame est en train de finir, mais parce que les forces internationales sont entrées en action, finalement, et qu’elles inspirent confiance. Quelle est la situation dans votre diocèse, à Sokoto ? La population est-elle terrorisée, sent-elle la menace de Boko Haram ? Sokoto est assez paisible, du moins en apparence. Les tensions ici sont dues essentiellement à l’idéologie. La population se compose d’une majorité sunnite et une minorité shi‘ite. Si les communautés non musulmanes ont vécu des expériences terribles dans la plupart des États du Nord, à Sokoto l’affaire a été très limitée. Les crises sont surtout internes à l’Islam, entre les populations sunnites et shi‘ites. Il y a aussi des tensions entre le parti majoritaire aujourd’hui au gouvernement, le Peoples Democratic Party, PDP, et l’All Peoples Congress, APC, parti d’opposition. Les non-musulmans craignent d’être de nouveau les victimes de l’explosion de n’importe quelle crise, comme ils l’ont été récemment alors que des magasins et des églises furent détruits. Toutefois le chef de l’armée, qui est rentré en service en janvier dernier, un catholique, m’a rendu visite et m’a rassuré sur le niveau de leur préparation. Les élections fixées initialement pour samedi 14 février, ont été renvoyées au mois de mars. Est-ce un bien pour la situation actuelle du Nigeria ? Cette décision a été accueillie par beaucoup avec soulagement. Il semble que ce renvoi soit dû à des motifs techniques : 60% seulement des ayant droit de vote ont reçu à temps leur carte d’électeur électronique, ce qui risquait d’augmenter la possibilité d’une basse affluence. À présent, dans un climat si tendu, celui qui finalement sera élu ne pourra conduire le pays hors du climat de désespoir actuel que s’il a un large consensus et est reconnu président légitime même par ses adversaires. Et il aura cinq ans à sa disposition pour contribuer significativement à la solution du problème du terrorisme.