Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:06:17
Quand les Dominicains Français succédèrent à Mossoul en 1856, aux Dominicains Italiens, la pénurie de livres chrétiens était grande. Les luttes religieuses du passé avaient occasionné la destruction des livres chrétiens et de plus, dans bien des cas l’incurie et le laisser-aller avaient fait disparaitre beaucoup de précieux manuscrits. Mgr Addaï Scher [Archevêque de l’éparchie chaldéenne de Seert. D’origine assyrienne, en 1915 il a été tué par les Ottomans pendant le génocide, NdT] nous en cite un lamentable exemple, malheureusement pas unique, pour la bibliothèque du vieux couvent de S. Jacques le Reclus, à une heure au sud de Seert. « La bibliothèque était ouverte à tout le monde, dit-il, chacun prenait les manuscrits qui lui plaisaient, sans s’inquiéter de les rendre. Quelques-uns même des plus importants, employés comme livres de classe, ont été déchirés ou perdus par les écoliers ».
Ces différents causes suffisent à expliquer l’ignorance à laquelle les chrétiens étaient voués. Non seulement, nous dit le P. Chéry, la plupart ne savaient ni lire ni écrire, mais ils n’entendaient pas même leur langue nationale. Ils parlaient un arabe défiguré qui, dans certaines localités, n’avait à peu près plus aucune ressemblance avec l’arabe littéraire. Pas de livres de prières, pas de catéchisme, pas d’Évangiles. On en était réduit à se servir d’anciens manuscrits, usés par le temps, empruntés pour la plupart aux Nestoriens, et couverts de ratures sous lesquelles une plume malhabile avait cherché à faire disparaître les passages hérétiques… Le christianisme reposait donc à peu près entièrement sur la tradition orale ; la foi chrétienne se transmettait de bouche en bouche et ne s’inculquait plus guère que par les cérémonies et les rites sacrés. Les livres liturgiques eux-mêmes offraient souvent, d’un exemplaire à l’autre, des variations assez préjudiciables à l’unité du culte chaldéen ou syrien. Tout au plus trouvait-on, comme livre imprimé, quelques exemplaires d’un ouvrage édité par la Propagande :
l’Abrégé de la doctrine chrétienne, de S. Bellarmin.
Dès les premiers mois de son arrivée à Mossoul (30 novembre 1856), le premier supérieur français, le Père Besson, avait réorganisé les écoles fondées par les Pères italiens et complété le programme des études en y ajoutant l’étude des langues arabe, française, chaldéenne et syriaque. Comme il n’était pas question de faire payer les livres, pas plus que l’instruction, le P. Besson eut l’ambition d’avoir une imprimerie. Il y suppléa, en attendant, au moyen d’une presse lithographique et il lithographia lui-même des alphabets et des dessins qui servirent dans les écoles.
Ce régime provisoire dura près de quatre ans. En Octobre 1859 Mgr O.P. Amanton, Administrateur de Bagdad et Délégué du Saint Siège pour la Perse (depuis 1957) retourna en France, ayant fait sien le projet du Supérieur de la Mission : il reviendrait à Mossoul avec une presse d’imprimerie. La générosité de l’Œuvre d’Orient lui permit de réaliser son projet et, en fin avril 1860,
Mgr Amanton rentrait en Orient, rapportant de France une ‘Marinoni’ avec des caractères arabes et syriaques.
Mais ce n’est pas tout d’avoir la machine, il faut savoir s’en servir. N’ayant personne de compétent à Mossoul, le prélat repassa par Jérusalem pour demander de l’aide aux Franciscains qui y avaient une imprimerie florissante. Le Père Custode de Terre Sainte répondit généreusement à Mgr Amanton en lui offrant un de ses jeunes religieux, chaldéen de naissance, l’âme de son imprimerie, compositeur habitué aux langues orientales, graveur, pouvant faire sur place les caractères chaldéens, mettre immédiatement en train la presse pour l’arabe et former des jeunes gens comme compositeurs.
Sous sa direction quatre jeunes gens allaient bientôt travailler à mettre l’imprimerie en ordre de marche. Le frère établit une fonderie qui permettait de reproduire les quelques caractères apportés de Paris par Mgr Amanton et les caractères syriaques venant également de Paris. Les Lazaristes de Perse lui procurèrent des caractères chaldéens et il imita aussi les plus beaux caractères du temps, ceux de la riche imprimerie protestante d’Ourmiah.
Grace aux secours répétés de l’Œuvre d’Orient, qui aux premiers 6 000 francs en ajoutait encore 1 200, l’imprimerie pouvait se développer, sous la nouvelle direction à laquelle Mgr Amanton l’avait confiée en janvier 1862 : les Pères Dominicains de Mossoul, et en mars 1862 l’évêque pouvait écrire : « Déjà nous avons à offrir un livre de prières, un chemin de Croix (c’avait été la première publication), un abrégé de Géographie, et nous allons mettre sous presse un livre de lecture arabe ». […]
[Extrait de Jean-Maurice Fiey,
L’imprimerie des dominicains de Mossoul 1860-1914, «Aram» 5 (1993), pp. 163-165]