Massimo Borghesi, Critica della teologia politica. Da Agostino a Peterson: la fine dell’era costantiniana, Marietti 1820, Genova-Milano 2013.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:38:21

En une époque où les religions font leur réapparition sur la scène publique, le Christianisme pourrait offrir la clé pour construire une articulation correcte du rapport entre politique et religion. Cette clé, résultat d’événements historiques et philosophiques complexes, se trouve synthétisée en un seul mot, une simple préposition. Dans la conception qui lui est propre en effet, la position de la foi chrétienne face à la politique « est une théologie de la politique, non une théologie politique. Ceci signifie qu’elle ne touche pas directement le politique, mais qu’elle y parvient à travers la médiation éthico-juridique. Elle ne réalise pas l’identité avec le politique. Ce qui l’en empêche, c’est la réserve eschatologique, l’écart entre la grâce et la nature. La théologie politique au contraire est “ dialectique ”. Pour elle, le moment théologique se réalise à travers le politique et le politique à travers le théologique » (p. 13). C’est ce que souligne Massimo Borghesi, professeur de philosophie morale à l’université de Pérouse, dans sa Critique de la théologie politique, qui reprend en profondeur, et avec une érudition qui n’est jamais fin à elle-même, les grandes étapes de la pensée politique chrétienne de Constantin à l’ère post-communiste. Itinéraire stimulant, au fil duquel Borghesi met en évidence tout ce que l’Église a gagné à surmonter le modèle du Sacrum Imperium, grâce à la récupération d’Augustin et à la valorisation des libertés modernes, qui culminent dans l’enseignement conciliaire de Dignitatis Humanae. Les grands protagonistes de cette époque furent les Allemands Peterson e Ratzinger et le Français Maritain, critiques rigoureux de la « transposition analogique des concepts théologiques en concepts politiques » (p. 119) que théorisaient autour de 1930 certains auteurs allemands comme Dempf et surtout Carl Schmitt. Après Schmitt, la théologie politique ne devait pas se tarir, mais changer de forme, abandonnant la nostalgie du modèle impérial médiéval pour devenir, avec Metz, tout d’abord une « une théologisation du modèle des Lumières » puis une « théologie critique de la société ». Que ce soit dans ses variantes de « droite » ou de « gauche », le résultat de la théologisation du politique ne change pas. En effet, l’installation du religieux à travers le politique, qui s’opère aujourd’hui à un niveau global, ne risque pas seulement de générer des doses massives d’intolérance, mais « devient une étape ultérieure du processus de sécularisation. Par une singulière “ hétérogenèse des fins ”, pour parler comme Vico, le monde hyper-religieux, “ saturé ”, ne peut qu’engendrer sa propre dissolution. Et cela aussi bien en raison de la dynamique immanente propre à la théologie politique, où l’adjectif absorbe le substantif, que du fait du contre-coup “ laïque ” que produit la saturation du religieux » (p. 281). De ce point de vue, la reconstruction précieuse élaborée par Borghesi n’est pas seulement un antidote contre des lectures déformées et du Christianisme et de la politique, mais elle peut interpeller profondément un monde islamique qui est encore à la recherche, après les Révolutions arabes, d’une configuration institutionnelle dans laquelle religion et politique puisse dialoguer sans se superposer, s’affronter ou s’annuler réciproquement. Car dans l’Islam également la théologie politique est destinée à la faillite : on en trouve la confirmation aussi bien sur le plan théorique dans ce qu’écrivait Olivier Roy il y a déjà vingt ans, que sur le plan pratique, dans la République islamique d’Iran et dans l’Égypte de Morsi. Tout cela toutefois ne suffit pas à résoudre la question théologique sur laquelle repose la différence entre théologie politique et théologie de la politique, à savoir la conception augustinienne de la grâce, qui marque la distinction des deux cités, et celle du péché, qui « impose la distinction entre théologie, éthique, droit, politique […] que le fondamentalisme théologico-politique ne reconnaît pas, et qui constitue l’essence de la démocratie libérale moderne » (p. 301). Par-delà es tentatives de prouver que l’Islam est déjà laïque, et de tous les arrangements tactiques, allant de la formulation de « l’État civique à référence religieuse » à la distinction entre principes et normes de la sharî’a, c’est aussi sur ce point-là que les efforts de réforme devraient se confronter. Les réformistes affirment souvent que l’Islam attend encore son Luther. En réalité, c’est surtout d’Augustin qu’il aurait le plus besoin.