Pour l’archevêque de Milan et président d’Oasis, il y a quatre niveaux d’interventions possibles pour résoudre la situation dramatique que le Moyen-Orient connaît aujourd’hui, en particulier en Syrie et en Irak : les niveaux humanitaire, militaire, politique et éducatif.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:33:42

C’était le premier jour de Ramadan de l’an dernier (29 juin): l’EIIL proclamait le califat. Le vendredi suivant, al-Baghdadi apparaissait en public dans la grande mosquée de Mossoul; les mois suivants, ce furent les chrétiens chassés de leurs villages dans la plaine de Ninive, les yézidis massacrés, l’expansion djihadiste en Irak et en Syrie. Par une coïncidence, ce premier vendredi de Ramadan, donc juste un an jour pour jour (selon le calendrier islamique) après la première apparition en public du « néo-calife », je me trouvais visiter rapidement les camps de réfugiés à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, à l’invitation des Patriarches libanais Bechara Raï, et irakien Louis Sako. Les sentiments qui animaient les prêtres et les opérateurs oscillaient entre la colère et l’exaspération. Les priorités de la guerre se sont déplacées ailleurs, et la reconquête de Mossoul et de la plaine de Ninive a été ajournée à une date non définie. Entretemps, il y a 125 000 réfugiés chrétiens au Kurdistan – qui constituent une partie seulement de l’immense foule des déplacés –, et même si l’on a fait quelques progrès, telle la réduction des villages de tentes de 26 ò 7, les conditions, dans les différents camps de réfugiés restent tragiques, en particulier avec l’arrivée de la canicule estivale. Mais ce sont surtout les perspectives d’avenir qui manquent. Les rencontres à Erbil ont été, littéralement, un coup de poing dans l’estomac. Aucune carte géographique, aucune analyse géopolitique, ne peut tenir devant le témoignage des victimes. Impossible d’éluder leur demande pressante : « Que faites-vous pour nous ? ». Le premier niveau de la réponse doit être, ce me semble, humanitaire. On a fait de grands efforts, mais les besoins sont immenses. Voilà pourquoi un élan de solidarité encore plus grand est nécessaire. Ne laissons plus personne dans les villages de tentes ! Montons des écoles pour permettre aux enfants et aux jeunes de ne pas passer la journée dans l’oisiveté ! Restituons aux réfugiés des lieux où ils puissent socialiser, avoir une occupation, un travail ! Il y a ensuite un deuxième niveau. Beaucoup de réfugiés voudraient revenir dans leurs villages, actuellement contrôlés par l’État Islamique, mais cela n’est pas possible sans une intervention militaire. Dans ce cas, je crois qu’il faut faire valoir le principe de l’ingérence humanitaire, de la protection des victimes – et aussi de leurs bourreaux car, comme l’a rappelé le pape François, « arrêter l’agresseur injuste est un droit de l’humanité, mais aussi un droit de l’agresseur, d’être arrêté pour ne pas faire du mal ». Comme l’a rappelé le Patriarche Sako, une telle intervention, sous l’égide de l’ONU, devra s’appuyer sur les forces locales, surmontant la stagnation d’une coalition internationale inefficace qui s’effiloche. Le niveau politique est d’une aussi grande importance. Dans les discussions sur les équilibres futurs du Moyen-Orient, beaucoup ont souligné combien il était nécessaire de sortir du discours sur la protection des minorités pour s’engager avec décision sur la voie de la citoyenneté et des droits pour tous. Il ne s’agit pas seulement d’une cause chrétienne : c’est la cause de tous ceux qui ont à cœur un Moyen-Orient moderne et pacifié. À cette fin, il sera fondamental de réaliser une action pédagogique, une éducation qui requerra des décennies pour éradiquer, comme le disait le Patriarche Sako, les germes du djihadisme dès leur origine même. Dimension humanitaire, militaire, politique, pédagogique : l’Irak et la Syrie voisine – où se consume le martyre d’Alep, nouvelle Sarajevo – requièrent une action coordonnée sur plusieurs niveaux, exigeante et difficile. Mais une certitude s’impose pour l’Europe repliée sur elle-même : il faut sortir du narcissisme myope qui nous emprisonne en des calculs souvent vides. Il faut agir, et agir tout de suite, tout simplement parce que l’on ne peut accepter qu’aujourd’hui encore, des centaines de milliers de personnes soient chassées de leurs maisons ou tuées pour des motifs religieux. Ceci doit suffire pour susciter un engagement digne de l’histoire la plus haute de notre continent. * Editorial publié sur le Corriere della Sera, vendredi 26 juin 2015.