Genèse d'un mouvement de plus en plus présent, y compris en Europe

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:59:10

the-making-of-salafism.jpgCompte rendu de Henri Lauzière, The making of Salafism. Islamic Reform in the Twentieth Century, Columbia University Press, New York 2016

 

Henri Lauzière éclaire dans son ouvrage la genèse et le développement du salafisme, entendu comme un mouvement du XXe siècle visant à promouvoir une vision islamique uniforme en matière de loi et de théologie. La thèse fondamentale de l’auteur est qu’il faut distinguer clairement entre le salafisme actuel (salafiyya), ce que l’on appelle le « salafisme réformiste » – un terme qui en réalité ne fut jamais employé par les intéressés eux-mêmes – et les salafistes de l’époque médiévale. Ces derniers étaient à l’origine partisans d’un mouvement théologique fidéiste, le madhhab al-salafiyya, né au sein de l’école hanbalite, et qui se défiait de toute forme de raisonnement théologique appliqué aux Écritures, par crainte d’une dérive vers une négation ou une diminution de l’unicité et de la transcendance divine. À l’époque, le terme n’avait aucune connotation juridique.

 

Pour Lauzière, le salafisme contemporain ne peut être ramené à ce débat médiéval. Et il n’est pas non plus relié à ce que l’on appelle la Salafiyya réformiste, qui en réalité, en tant que terme, n’a jamais existé. Selon Lauzière, c’est Louis Massignon qui a appliqué de façon erronée l’étiquette de Salafiyya à certains réformistes modernes comme al-Afghânî, Muhammad ‘Abduh et Rashîd Ridâ, erreur qui s’est ensuite propagée à tout le monde universitaire occidental et aux chercheurs musulmans. De fait, selon Massignon, la Salafiyya serait née, dans l’Inde du XIXe siècle, du mouvement des Ahl al-Hadîth.

 

Lauzière fonde sa contre-argumentation sur le fait que les réformistes ne se sont jamais servi du terme Salafiyya pour se définir eux-mêmes. En outre, ils ont utilisé une épistémologie différente de celle des salafistes, tout en partageant avec eux les critères de la Sola Scriptura et du refus des écoles juridiques. Il n’en reste pas moins vrai que certains réformistes furent salafistes en théologie, car ils considéraient cette position comme un instrument adéquat pour la réforme. Selon Lauzière, du reste, cela aurait été un anachronisme lexical que de suggérer que

 

dans la période classique, les musulmans usaient le terme de Salafiyya comme un substantif abstrait dans le sens de Salafisme, et un anachronisme conceptuel que de l’appliquer à d’autres avant l’apparition du Salafisme moderne puriste vers 1920.

 

Après avoir exclu ces deux généalogies (des théologiens médiévaux et des penseurs réformistes), le livre retrace la formation du salafisme puriste en suivant le parcours intellectuel du savant marocain Taqî al-Dîn al-Hilâlî (1894-1987), qui voyagea de Rabat à la Mecque, de Calcutta à Berlin, pour promouvoir la réforme de la communauté musulmane. Son curriculum montre bien comment le salafisme contemporain s’est développé au cours du XXe siècle en se distinguant des activistes politiques comme les Frères musulmans. Les salafistes puristes soutiennent n’être rien d’autre que de véritables musulmans, et leur mouvement se caractérise par le primat de l’Écriture (Coran et hadîths authentiques) sur la preuve rationnelle, ainsi que par la lutte contre les innovations comme le culte des saints et la dimension mystique de l’Islam, et par la résistance aux influences « corruptrices » de l’Occident.

 

Dans sa période de formation (1920-1950), le salafisme puriste fut prêt à descendre à des compromis pour unir ses propres forces aux nationalistes islamiques. Mais la décolonisation transforma la situation, et tandis que les modernistes disparaissaient derrière les appareils d’État de leurs pays respectifs, les salafistes puristes trouvaient une place nouvelle dans les sociétés post-coloniales.

 

Ce livre apporte sans aucun doute une grande contribution à la compréhension de la pensée politique moderne au Moyen-Orient. Le débat qu’il a suscité, en particulier avec Frank Griffel, n’est qu’une preuve supplémentaire de son intérêt.

 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité les auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Rocio Daga Portillo, « Salafisme, histoire d'une équivoque», Oasis, année XIII, n. 25, juillet 2017, pp. 134-135.

 

Référence électronique:

Rocio Daga Portillo, « Salafisme, histoire d'une équivoque », Oasis [En ligne], mis en ligne le 29 août 2018, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/salafisme-histoire-d-une-equivoque.

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