Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:38:48
« On pourrait parler d’une attitude chrétienne. À savoir une morale objective déterminée par les dix commandements ». Notre interlocuteur est un ex-officier de l’Armée italienne qui a servi à plusieurs reprises en Afghanistan et qui désire conserver l’anonymat. « Au pays des cerfs-volants il n’existe pas de chrétienté enracinée. Ni par tradition ni par importation coloniale » ajoute-t-il. « Ce n’est pas comme dans le monde arabe où les chrétiens sont une minorité originaire de la région. Ou comme au Pakistan et en Inde, où l’Évangile fut introduit par les Européens ».
Les estimations parlent d’une communauté chrétienne de 3 mille à 10 mille fidèles. Une communauté clandestine. En effet, la loi afghane ne reconnaît pas d’autres confessions que l’Islam. L’évangélisation, l’instruction scolaire d’inspiration chrétienne et la présence de n’importe quel lieu de culte non musulman sont interdites. Officiellement, les seules églises présentes en Afghanistan sont admises là où est reconnue l’extraterritorialité diplomatique, les ambassades et sièges consulaires. « Certains parlent d’un groupe de sœurs et d’un prêtre actifs à Kaboul » dit encore notre source. « Cependant, ce sont des informations difficiles à vérifier ».
Le cas de Deborah Rodriguez, travailleuse humanitaire américaine, protestante, est intéressant : elle arrive à Kaboul en 2001, immédiatement après la chute des talibans. Elle ouvre un salon de beauté en ville. Une initiative qui fait école et devient l’objet d’un livre : Kaboul beauté, justement. On se tromperait si l’on affirmait que Rodriguez est une femme qui a atterri en Afghanistan avec l’ambition de diffuser l’Évangile. Son engagement était et demeure encore aujourd’hui a-confessionnel.
Et pourtant l’Afghanistan n’est pas complètement étranger à l’histoire du Christianisme. Les annales rappellent les missions des apôtres Bartholomée et Thomas en Perse et l’Évangile apocryphe de ce dernier cite la province de Bactriane, à l’abri de la chaîne montagneuse de l’Hindou Kush qui se retrouve aujourd’hui en Afghanistan. Depuis lors, une présence de l’Église nestorienne, le passage des jésuites et aussi des Arméniens témoignent d’autant de tentatives d’introduire l’Évangile également en Afghanistan. « Rappelons-nous aussi que le pays a été impliqué dans les grandes expériences de syncrétisme religieux, parties du Caucase et qui se sont développées en Perse et au Turkménistan ». L’officier fait référence surtout au zoroastrisme, mais aussi aux courants mystiques strictement islamiques. Par exemple, le soufisme qui s’exprime avec des personnalités comme ‘Abdallâh al-Ansârî, originaire de Hérat au XI siècle, juriste rigoureux, mais aussi auteur de Cri du Cœur, un dialogue passionné avec Dieu. Des preuves d’un Afghanistan sensible à la rencontre entre les religions, mais plutôt au passé qu’au présent.
En effet, les chroniques récentes sont remplies d’épisodes qui ont compromis sérieusement le dialogue potentiel entre les tribus locales et les représentants – religieux aussi bien que laïcs – d’une religion indiscutablement éloignée des canons culturels locaux. Aujourd’hui, les Afghans associent le Christianisme à la présence militaire occidentale. Et en se rendant coupable d’actes profanateurs, certains soldats américains ont compromis l’image de leur pays mais aussi la culture qu’ils représentent. Par conséquent il est difficile pour les Afghans de distinguer le Christianisme de ceux qui brûlent le Coran.
C’est Terry Jones, un pasteur protestant extrémiste, qui instigua à ces comportements. Il a encouragé des manifestations de violence verbale explicites à l’égard de l’Islam et est l’auteur de gestes provocateurs. Les dangereux exploits de Jones ont été imités en Afghanistan. Pour trouver une explication à ces gestes insensés, on a eu recours à la psychologie de guerre : on a parlé de soldats victimes de chocs suite à des combats sans précédents. Des analyses qui peuvent être fondées pour la vision occidentale mais qui demeurent incompréhensibles pour la population locale.
Un exemple vertueux de dialogue interreligieux est au contraire proposé par Serge Laugier de Beaurecueil, frère dominicain et islamologue disparu en 2005. Ce n’est pas par hasard que de Beaurecueil, un des trois membres fondateurs de l’IDEO du Caire, fut conduit en Afghanistan précisément par ses études sur le mystique al-Ansari dont il publia une traduction française. Une fois installé à Kaboul et après avoir abandonné la carrière académique, il se consacra aux orphelins et aux enfants des rues. Ce n’est pas un hasard si Un chrétien en Afghanistan, imprimé en 1985 a été réédité en 2001. Malheureusement le cas de Beaurecueil est encore un cas isolé.