Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:44:17
L’ouvrage recueille quelques-unes des interventions significatives du philosophe et théologien américain et canadien Novak, juif traditionaliste et ordonné rabbin qui est actuellement professeur à l’Université de Toronto. L’ouvrage montre de façon éloquente comment un homme extrêmement religieux peut être bien enraciné dans la société la plus avancée au monde. A travers une lecture tranchante aux traits vraiment géniaux de la théorie moderne de la démocratie, Novak montre avec une extrême rigueur méthodologique comment son identité personnelle juive peut être une ressource pour les systèmes politiques et juridiques contemporains.
Le fil rouge qui guide le lecteur des thèmes « éthiquement sensibles » à la théorie des droits humains et à la conception de la sphère publique naît pour l’auteur de la nature même de la liberté religieuse qu’il prend vraiment au sérieux. En fait, pour Novak, une telle liberté se compose de trois aspects : celui de pratiquer la propre religion à l’égard du pouvoir politique ; celui qu’on retire personnellement de la pratique religieuse (Novak ne l’approfondit pas, mais on devine combien cet aspect représente une véritable forme de satisfaction pour lui) ; et, enfin, celui d’être croyants jusqu’au bout, jusqu’à la sphère publique. C’est cet aspect que l’auteur met en évidence tout au long du livre.
Novak articule savamment les Ecritures et la pensée juive antique et moderne, en les faisant interagir avec certains des principaux
leitmotiv de la philosophie politique et juridique contemporaine et en montrant comment un croyant peut saisir dans sa tradition les éléments qui lui permettent d’être un citoyen à part entière, au lieu de renoncer à sa culture au nom d’une éthique démocratique.
En de nombreux passages, il illustre comment les Ecritures peuvent soutenir la vie associative et fonder la cohabitation politique parfois même mieux et plus profondément de la théorie volontariste et contractualiste : particulièrement formidable est le passage dans lequel il illustre la différence entre l’Alliance de Dieu avec le peuple juif et le contrat social. En fait, Novak met en lumière comment l’Alliance, nécessairement éternelle, constitue avant tout une promesse, que Dieu adresse en premier à Israël ; au contraire, la notion de contrat renvoie chez des auteurs éminents et, du moins implicitement, à la prévision d’une sanction pour celui qui le transgresse. L’Alliance surgit de la confiance dans un rapport qui ne disparaîtra jamais et qui suscite l’espérance pour chacun et pour tout le peuple ; au contraire, le contrat social donne vie à une société basée sur la menace à l’égard de celui qui la trahit. L’alternative est donc entre l’espérance engendrée par l’Alliance et la peur suscitée par le contrat.
Novak ne nous offre pas simplement un pamphlet, doté de verve polémique mais sans profondeur : le sérieux de la méthode et la solidité des argumentations constituent une référence très importante au débat actuel sur le rôle de la religion dans la vie publique. Il s’agit d’un livre honnête et clair, qui probablement divisera immédiatement le public entre partisans et détracteurs, tant ses affirmations sont limpides. Cependant, quelle que soit la position du lecteur, tous devront reconnaître à Novak au moins la noblesse de l’effort, le courage moral et le sérieux méthodologique avec lequel il a accepté le défi : recomposer l’homme religieux, écartelé entre sa qualité privée de fidèle et celle publique de citoyen. Une division qui, comme Habermas l’a explicitement admis, retombe dans les démocraties contemporaines uniquement sur les croyants.
Novak n’accepte pas l’hypothèse que le laïc serait un citoyen meilleur, au contraire il la renverse. Il fait remarquer que souvent celui qui théorise la cohabitation politique en termes neutres, en la fermant à la transcendance, raisonne en termes de droits et présente continuellement de nouvelles revendications. Le théologien canadien, en se demandant comment on peut penser vivre dans une société où prolifèrent les revendications, tandis que les responsabilités et les devoirs passent au second plan, montre comment le juif observant – éduqué depuis l’enfance à accomplir les propres devoirs à l’égard de Dieu et de la communauté – peut concevoir la démocratie de manière même plus compréhensive qu’un laïc.
Andrea Pin