Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:34:07

Les révoltes arabes commencées en Tunisie pour gagner ensuite tout le monde arabe, du Maroc à la Syrie, ne pouvaient pas se produire à un pire moment pour le leadership saoudien. Affaibli par des divisions internes, le vieux leadership s’est sérieusement préoccupé à cause des mouvements de protestation qui se sont concrétisés dans le pays, non seulement dans la Province Orientale où vit une minorité shiite, mais également dans de nombreuses villes saoudiennes. Le régime a répondu aux manifestations de trois manières. Tout d’abord, par l’intervention lourde des forces de sécurité, ensuite avec le déploiement de l’establishment religieux qui a condamné à maintes reprises la désobéissance civile comme étant contraire à l’Islam, tout en jouant en même temps la carte du sectarisme, surtout contre la communauté shiite. Et enfin, en distribuant des benefit économiques pour acheter la fidélité des saoudiens. Ces tensions internes ont dicté la manière dont l’Arabie Saoudite a répondu aux révoltes dans les pays limitrophes et dans le monde arabe en général. Trois stratégies ont été adoptées : contrôle, contre-révolutions et soutien de la révolution. En Tunisie et en Égypte, les médias saoudiens ont été initialement critiques envers les protestations et ils ont pris le parti de soutenir les régimes plutôt de manière évidente. Par exemple, on a affirmé à propos de Bouazizi, le jeune tunisien qui est mort en s’immolant par le feu, qu’il avait une foi faible et qu’il était incapable de supporter les difficultés, autrement il aurait évité de se suicider, un acte condamné par l’Islam. Malgré les relations étroites en matière de sécurité, en fin de compte, la Tunisie était marginale par rapport à la politique saoudienne et à la fin le régime a accepté le fait accompli. Cependant, ce n’est que récemment que l’Arabie Saoudite a félicité les tunisiens pour leur révolution, lorsque le nouveau Premier Ministre tunisien, Jibali, s’est rendu à Riyadh, principalement pour discuter du sort de l’ex-président Ben Ali, qui a trouvé refuge à Jeddah. En revanche, le cas de l’Égypte a été plus critique, mais il a représenté aussi une opportunité. Moubarak était un allié important contre l’Iran et le leadership saoudien a tenté de prolonger son pouvoir. Mais, dans ce cas aussi les tentatives saoudiennes ont échoué et un gouvernement de transition fut créé. Suite aux élections libres, en Égypte comme ailleurs, les islamistes sont arrivés au pouvoir. Mais, tout aussi surprenant que cela puisse paraître pour un État qui soutient que la Loi islamique est sa seule Constitution, l’Arabie Saoudite s’est montrée déçue de ce résultat. En effet, les Frères Musulmans représentent un véritable défi pour le régime de Riyadh, parce qu’ils constituent une alternative islamique au modèle saoudien fondée sur un mélange de démocratie et d’Islam. Jusqu’à présent, le régime saoudien a soutenu le Conseil militaire institué au Caire pour bloquer l’influence de la confrérie. À certaines occasions, la vieille ambition de guider tout le camp arabe sunnite s’est matérialisée à nouveau, même si on peut douter de la faisabilité de ce projet. C’est dans ce sens qu’on peut affirmer que la crise égyptienne a été perçue également comme une opportunité. La stratégie de contre-révolution a été adoptée principalement au Bahreïn et en partie au Yémen. Les médias saoudiens ont présenté le mouvement démocratique bahreïnien comme une conspiration schiite guidée secrètement par l’Iran : une hypothèse difficilement crédible étant donné que le Bahreïn se targue d’une longue tradition d’engagement politique et, même si les shiites, comme toute communauté religieuse, ont une dimension transnationale, la grande majorité des bahreïniens veulent rester arabes. La plus grande préoccupation du régime saoudien était la possible chute de la dynastie bahreïnienne, les al-Khalifa, ce qui aurait ouvert la porte à d’autres changements dans les pays du Golfe, sans exclure l’Arabie Saoudite elle aussi. C’est la raison pour laquelle les Saoudiens ont opté pour une intervention militaire directe en soutien aux al-Khalifa contre les rebelles, nouvelle qui n’a reçu aucune couverture médiatique significative en Occident. Cependant, cette manœuvre a conduit à une crise prolongée, où les compromis deviennent de plus en plus difficiles : une fois qu’un grand frère soutient un régime plus petit, ce dernier n’est plus responsable aux yeux de son peuple. Si contrôle et contre-révolution furent les deux principales stratégies adoptées par l’Arabie Saoudite durant les premiers mois des révoltes arabes, le soutien explicite que Riyadh a exprimé à la révolution syrienne peut surprendre, surtout s’il est comparé à la position adoptée au Bahreïn. Cette contradiction évidemment a été utilisée par le régime de Assad dont le représentant à l’ONU a récemment demandé l’envoi d’une force de paix au Bahreïn et à Qatif (la capitale de la Province Orientale) plutôt que dans son pays. La dictature ba’athiste opprime les syriens depuis 40 ans. Cependant, derrière le choix saoudite de s’y opposer, il y a des intérêts régionaux : l’objectif, en effet, semble être celui de vaincre l’Iran en Syrie plutôt que de soutenir les syriens. La Syrie est aussi une clé d’accès pour le Liban et pour les Saoudiens un succès en Syrie équilibrerait les récentes pertes d’influence qui se sont produites autant en Irak qu’en Palestine. De plus, on doit ajouter qu’au cours des mois, la question démocratique - à l’origine la force motrice des manifestations - a été court-circuitée par des tensions sectaires, au point que le conflit syrien risque maintenant de devenir une guerre régionale. Où pourrait déboucher cette crise ? Mon plus grand souci est que le Moyen-Orient se divise selon des lignes sectaires, avec des états alaouites, druzes, kurdes, peut-être chrétiens, sunnites et shiites. Je crains vraiment ce scénario parce que la tyrannie de la communauté est insupportable. En revanche je souhaite la naissance d’un État civil en Syrie comme dans le reste du monde arabe. * Conférence donnée à Londres le 20 mars 2012