En 1854, la première école du Patriarcat Latin de Jérusalem est créée. Aujourd’hui, entre Jordanie, Palestine et Israël, les écoles sont au nombre de quarante-cinq,avec plus de vingt mille élèves et un personnel de deux mille personnes. Il s’agit d’une réalité caractérisée par un engagement et un témoignage extraordinaires dans la dramatique situation de la région.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:57

Les 27 et 28 janvier 2010, le Forum des Écoles du Patriarcat Latin de Jérusalem a réuni à Amman les présidents et les administrateurs des presque cinquante écoles du Patriarcat. Cela a été le premier Forum jamais tenu, bien que la majeure partie de ces écoles existent depuis plus de cent cinquante ans. Cela représente pour cela une pierre miliaire dans l’histoire des écoles du Patriarcat Latin. L’une des principales causes d’une attente qui s’est si longtemps prolongée est évidemment la situation politique compliquée, avec ses répercussions, qui a longtemps empêché le cours ordinaire de la vie au Moyen-Orient en général et en Terre Sainte en particulier. Lorsque les écoles furent fondées dans le Patriarcat Latin, la Terre Sainte constituait, sous l’occupation ottomane, une seule unité politique. Aujourd’hui, nous avons, à dire peu, trois entités politiques et malheureusement il est possible qu’une quatrième soit en train de se fonder. « La mission des écoles du Patriarcat Latin en Terre Sainte » a été placée au centre de la réflexion du Forum. L’intention de la réunion était de réfléchir sur notre mission éducative et de trouver de nouvelles manières de les actualiser. Elle doit en effet prendre en compte de nombreux changements globaux. Nous ne voulons cependant pas confondre la mission avec ses méthodes. Notre mission ne change pas. Les méthodes changent si les circonstances l’exigent. Il est clair que la déconnexion entre les différentes écoles a comporté un prix à payer non seulement par rapport à leur capacité à travailler en réseau mais aussi par rapport à leur fonctionnement même. Malgré les différences, tout le monde était d’accord – et j’insiste sur cela – sur le fait que le Patriarcat Latin a une mission unique et particulière, et que celle-ci constitue la raison qui a rendu possibles non seulement ses nombreuses réalisations pratiques, mais aussi la survie même d’écoles qui ont affronté toutes sortes d’obstacles et de difficultés. Pour comprendre le caractère unique de cette mission, il faut revenir en 1854, lorsque fut fondée la première école du Patriarcat Latin. Sept ans auparavant, avec un pouvoir ottoman désormais sur le déclin, le Patriarcat Latin de Jérusalem avait été rétabli. Un demi million de palestiniens arabes, la majeure partie desquels étaient musulmans, vivaient alors sur cette terre. Les chrétiens étaient environ 60.000 (12%), tandis qu’environ 20.000 étaient juifs (4%). Une grande partie d’entre eux vivaient en régime autarcique dans des villages ruraux éparpillés dans les collines et les montagnes de la Palestine. Ils souffraient d’une extrême pauvreté, de l’ignorance et de conditions sanitaires précaires. Les écoles publiques n’existaient pas même si quelques rares écoles privées, majoritairement chrétiennes, avaient été fondées dans les villes les plus grandes et étaient accessibles aux seules élites. La majeure partie de la population était privée de la possibilité de recevoir une instruction formelle. Alarmé par ces conditions, Monseigneur Valerga, premier Patriarche Latin, ressentit le besoin urgent d’agir et exprima sa profonde préoccupation concernant cette urgence éducative. Il décida alors de démarrer un programme apostolique basé sur des écoles paroissiales pour promouvoir tant la foi que le développement humain, intellectuel et social de ces communautés en retard. Fidèle à cette intention, il fonda en 1854 la première école du Patriarcat à Beït Jala, près de Bethléem. Beaucoup d’autres suivirent, toutes parmi les villages et les communautés perdues de la Terre Sainte. Dans de nombreux cas, les écoles se trouvaient dans des locaux adjacents à l’église. Elles partageaient parfois les mêmes espaces avec l’église et les habitations des prêtres. Certaines paroisses avaient seulement une école de filles gérée par les sœurs. À l’origine de cette attention de l’Église pour l’institution de nouvelles écoles, il y a sans aucun doute le besoin urgent d’offrir aux enfants une éducation chrétienne. Mais à côté de cette raison, il y en avait une autre, certes non moins importante : le sens profond de l’appartenance à la Terre Sainte et à son peuple. Conscients de la Mission Le Christianisme – et c’était pour nous une source d’orgueil – était né sur cette Terre, la Terre Sainte. Jésus Christ en personne avait vécu et était mort ici. Il avait fondé Son Église, l’Église notre Mère sur cette terre en la confiant à Son peuple. Les chrétiens de Terre Sainte sont conscients tant de leur identité que de leur mission. En plus d’être chrétiens, ils sont arabes et part intégrante de cette communauté. C’est ici que le Seigneur a voulu qu’ils répandent Son message et qu’ils soient Ses témoins. C’est un sentiment religieux et patriotique en même temps. En 1866, le programme apostolique commença à se diffuser dans l’actuelle Jordanie avec l’institution de la première école du Patriarcat, à Salt. Quelques mois plus tard, fut fondée, plus au Nord, la première école dans la ville de Jaffa, en Galilée. Malgré le fait qu’elles étaient gratuites, ces écoles attiraient bien peu de familles. L’éducation n’était pas une priorité. La pauvreté causée par l’occupation ottomane obligeait de nombreux enfants à travailler pour assurer leur subsistance, pour eux-mêmes et leurs familles. Quant aux filles, les habitudes locales ne prévoyaient pas qu’elles apprennent à lire et à écrire, activités considérées comme des agréments dangereux étant donné que cela aurait pu les inciter à communiquer trop facilement avec les garçons. L’aide des sœurs permit de changer cette attitude, et leur enthousiasme à enseigner permit de recruter aussi des filles. Les premières années, le programme éducatif-apostolique avait des objectifs modestes. D’une part, celui de proposer le catéchisme aux chrétiens ; de l’autre, d’enseigner à lire, à écrire et à compter aux enfants, y compris aux musulmans. Au cours des années, ce modeste programme continua de grandir et aujourd’hui, le Patriarcat Latin possède un réseau de quarante-cinq écoles disséminées dans tous les villages et les villes de la Terre Sainte (Jordanie, Palestine et Israël) et qui accueillent plus de vingt mille élèves au service desquels se trouve un personnel de presque deux mille personnes. Les écoles ont pour la plupart des bases paroissiales. Les portes sont ouvertes à tous les enfants sans distinction de sexe, religion ou conditions économiques et sociales. Ils sont en grande partie chrétiens et musulmans, mais nous avons aussi des druses, des samaritains et des bahaïs. Les efforts prodigués par le Patriarcat Latin en vue de la création des écoles auraient été vains au cours des très difficiles premières années, si l’Ordre équestre des Chevaliers et des Dames du Saint Sépulcre n’était pas intervenu. Ce sont eux qui se sont faits les promoteurs dans les pays d’origine du Patriarcat en général et de ses écoles en particulier, pour faire connaître aux chrétiens du monde la réalité de leurs frères et sœurs dans la foi qui habitent la Terre Sainte. Cela a été fondamental, et ça l’est encore aujourd’hui, pour la survie de cette mission ambitieuse en faveur des écoles du Patriarcat Latin de Jérusalem, qui ne serait pas en mesure d’y faire face tout seul. Son caractère universel d’Église à laquelle a été confiée une tâche d’une vaste ampleur nous oblige à recourir constamment à l’aide d’autres Églises. En effet, malgré le fait que les gouvernements, tant jordanien que palestinien, reconnaissent le rôle des écoles du Patriarcat dans le processus éducatif national, le soutien des Ministères de l’éducation respectifs se limite à la fourniture des textes scolaires à travers des subventions et au financement de quelques programmes de formation. Les énormes besoins auxquels les deux ministères doivent faire face pour maintenir et développer leurs réseaux scolaires respectifs ne leur permettent pas de soutenir en même temps le développement des écoles privées de manière plus concrète. Et nous ne nous attendons pas à ce que la situation change dans le futur le plus immédiat. En Israël, les choses sont un peu différentes. Cinq de nos écoles reçoivent en effet un financement partiel. Mais il demeure de la responsabilité de la direction, dans notre cas le Patriarcat Latin, d’entreprendre ce qui est nécessaire pour la gestion de ces écoles y compris en terme de modernisation et de développement. Les résultats atteints ne permettent pas toujours de se rendre compte de tout notre travail. Les écoles du Patriarcat Latin, au-delà de leur apport éducatif, ont aussi fortement contribué au développement social et politique des communautés qui servent depuis plus d’un siècle et demi. Au fil des années, le nombre d’élèves n’a jamais diminué. Il n’y a pas de quoi être surpris, si nous considérons que nos écoles offrent une éducation intégrale à tous les enfants, garçons et filles, de toutes religions et de tous rites. Elle se fonde sur des valeurs religieuses, morales et éthiques. En ce sens, nos écoles jouent un rôle interreligieux et œcuménique très important. Voilà pourquoi un nombre croissant de familles envoient leurs enfants dans nos écoles en sachant que chacun d’eux est traité avec un même amour et un même soin. Outre les écoles, on construit actuellement à Madaba une université catholique qui devrait commencer à accueillir des étudiants pour l’année académique 2010/2011. Il s’agit d’un autre programme pastoral extrêmement important mis en œuvre par le Patriarcat Latin et d’une preuve ultérieure du succès de sa proposition éducative. « Cette initiative – a dit Sa Sainteté Benoît XVI – répond à la requête de nombreuses familles qui, heureuses de la formation donnée dans les écoles tenues par les autorités religieuses, souhaitent qu’une option analogue sur le plan universitaire soit offerte. » [1] Cet « apostolat de l’éducation », pour employer encore les paroles du Pape, est urgent et l’Église est appelée à se charger d’une mission très grande et très utile. En plus d’améliorer la qualité de la vie des étudiants en les aidant à trouver une place dans la société, grâce aux connaissances acquises, à leurs compétences et à leur foi, elle promeut la tolérance et la compréhension de l’autre. Je voudrais aussi souligner le fait que le Patriarcat Latin est engagé, à travers ses institutions éducatives, dans la protection du patrimoine national et à la préparation des générations à venir à porter notre culture à des niveaux de plus en plus élevés. Tout cela sur la base d’un cursus rigoureux offert à nos enfants et à nos jeunes qui vise à dépasser les standards requis par les ministères respectifs en fournissant des cours supplémentaires dans différentes disciplines. En tant que réseau d’écoles catholiques, nous croyons que l’éducation religieuse est un pilier du processus éducatif. En outre, dans notre culture – celle des arabes moyen-orientaux – on voit bien, plus qu’ailleurs, le rôle décisif de la religion dans la vie quotidienne. Elle peut être source de paix et/ou de tensions sociales et politiques. Notre but premier est d’aider les étudiants à mûrir chacun dans leur foi et à les guider à Dieu selon notre devise ut cognoscant te. L’enseignement de la religion selon la foi d’appartenance est garanti à tous les étudiants. Il y a, en outre, des cours de religions comparées, dispensés par des spécialistes, à tous les étudiants pour les aider à apprécier les différentes croyances et à les ouvrir aux autres. Plus que la simple tolérance, nous tentons de leur montrer l’existence des différences en les acceptant comme des éléments enrichissants plus que comme des séparations. Travail Pastoral Les écoles du Patriarcat Latin, présentes dans les villes et les villages de la Terre Sainte, sont par définition un témoignage du travail pastoral du Patriarcat Latin et les arrhes de son futur. Sans l’éducation catholique et le catéchisme enseigné dans les écoles et l’aliment des paroisses, les générations de prêtres d’aujourd’hui et de demain encourraient un risque. Le Patriarcat Latin est actuellement servi par environ 85 prêtres formés dans nos écoles. Le séminaire de Beït Jala, continuation idéale de nos écoles, est une confirmation de la complémentarité, au sein de l’unique Église, entre le travail de l’école, des paroisses et du Patriarcat. Les écoles du Patriarcat Latin en Terre Sainte constituent le cœur de la pastorale du diocèse et de son engagement social. Une éducation intégrale, saine et appropriée contribue à donner un soutien à une génération cultivée et instruite dotée des outils pour préserver et témoigner des traditions reçues. Milieu idéal pour les enfants, nos écoles sont le reflet immédiat de la communauté et de la paroisse où elles opèrent. Ce ne sont pas des îlots séparés de leur contexte mais, au contraire, des parties vivantes de l’Église et dont le rôle est également reconnu par la société dans son ensemble. Certes, notre première préoccupation concerne les étudiants chrétiens, avec une particulière attention pour les plus nécessiteux, mais en offrant aussi des services de qualité aux autres, et particulièrement aux étudiants musulmans. Qu’est-ce qui nous pousse à accomplir les sacrifices que ces écoles impliquent ? Nous les considérons comme la condition sine qua non de notre survie. Elles sont l’instrument privilégié avant tout pour transmettre les valeurs chrétiennes à nos enfants et, en second lieu, pour témoigner nos valeurs chrétiennes aux non chrétiens. Étudier ensemble dans un climat tel que celui-là aide à jeter des ponts entre les différences, à dépasser les préjugés et les perceptions erronées et à promouvoir le respect pour les traditions et les religions respectives. Ce dont le monde souffre aujourd’hui, c’est le refus de « l’autre », mis en œuvre au nom de Dieu/Allah/Elohim. Dans nos écoles et à travers le long dialogue quotidien et des programmes spécifiques, nous sommes en mesure de dépasser ces obstacles. Tel est notre implication face à la société. À travers nos écoles, nous voulons construire des personnes saines, fortes et capables de montrer la contribution que les chrétiens peuvent offrir à toute la communauté nationale.
[1] Benoît XVI, Discours à l’occasion de la bénédiction de la première pierre de l’université de Madaba du Patriarcat Latin, samedi 9 mai 2009.