Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:58

Des années durant, les chercheurs ont parié sur la disparition de Dieu de l’histoire humaine. La modernisation - soutenaient-ils - comporte un abandon progressif des croyances religieuses, inévitablement destinées à être supplantées par des explications plus scientifiques et rationnelles de la réalité. On a parlé alors de la mort de Dieu, de son éclipse, du désenchantement du monde et de désacralisation. La prévision avait une ambition universelle : le processus de sécularisation, initié dans l’Occident chrétien, aurait progressivement impliqué tout le globe. Et, là  où la permanence d’une certaine forme de  culte ou de sentiment religieux risquait de  démentir la théorie, on la liquidait en parlant de phénomènes résiduels. En réalité, le pronostique était correct dans une certaine mesure : si la foi n’a pas disparu, elle s’est certainement privatisée et la pratique religieuse a diminué. Mais ensuite est arrivé l’Islam, on a assisté à la grande diffusion des religions orientales et les formes de Christianisme évangélique se sont multipliées. Plus généralement, on a vu les religions apparaître à nouveau dans l’espace public et on a commencé à discuter du ré-enchantement du monde, du retour de Dieu, du réveil religieux. Dans ce débat intervient Olivier Roy qui, dans le sillon des enquêtes sur le rapport entre le Christianisme et la culture menées dans sa jeunesse et de ses études approfondies sur les différentes formes de radicalisme et de fondamentalisme islamique, offre au public une réflexion générale sur la nature des religions à l’époque post-séculaire. Mais il le fait avec une théorie qui refuse l’hypothèse du réveil religieux. Selon Roy, en effet, la sécularisation n’efface pas les religions, mais elle contribue au contraire à leur production même si avec une physionomie nouvelle. En expulsant le religieux de l’espace public et en le séparant de la culture, elle l’isolerait dans une forme « pure ». Par conséquent, on ne peut pas proprement parler de son retour, mais seulement de sa mutation. Le divorce entre religion et culture engendre ce que Roy définit la sainte ignorance : un refus de la part du religieux de s’exprimer culturellement qui, « s’il est poussé à l’extrême, se transforme en une méfiance envers le savoir religieux lui-même, à travers l’idée que la connaissance n’est pas nécessaire pour atteindre le salut et peut même se révéler dangereuse pour la foi ». Dans le sillage de la globalisation, un tel développement donne origine à un « formatage » des religions, qui, même dans leur variété, tendent à s’exprimer selon des schémas homogènes : déterritorialisation, séparation et recombinaison de « marqueurs religieux » et de « marqueurs culturels », refus de la médiation du savoir théologique au profit d’une inspiration directe, prévalence de la norme sur la culture, exaspération identitaire. Voilà pourquoi, selon Roy, cela n’a pas de sens de parler de multiculturalisme, étant donné que les cultures qu’on voudrait préserver sont déjà l’issue d’une standardisation. D’où le succès des religions -globales comme le Christianisme évangélique ou l’Islam salafiste, détachées de tout contexte culturel et privées de toute préoccupations d’inculturation. Pour expliquer ce processus, l’auteur a recours à une longue série d’exemples, à tout avantage d’un style captivant et de la solidité de la thèse de fond. Cependant, on a l’impression qu’en tentant de vouloir tout expliquer à travers une telle clé de lecture, Roy force un peu le trait. Par exemple, il est difficile  de vouloir faire rentrer à tout prix dans la grille de la « sainte ignorance » l’évolution du Catholicisme contemporain, quand à partir du Magistère plus récent, de Gaudium et Spes à Jean Paul II et Ratzinger-Benoît XVI, il y aurait matière à démontrer l’existence d’une attention tout  à fait particulière au rapport entre foi et culture. Mais son livre reste une lecture fondamentale pour qui voudrait se confronter à un des phénomènes les plus importants et intéressants des circonstances historiques actuelles.