Entretien avec Mgr Louis Sako, Patriarche de l’Église catholique chaldéenne, de Maria Laura Conte

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:38:43

« Je suis convaincu que l’unique solution est le dialogue : c’est le mécanisme nécessaire pour trouver une solution pacifique. L’alternative est la guerre qui produit l’isolement entre les groupes religieux ou politiques et des barrières. Mais le dialogue ne veut pas dire tout accepter : cela implique le courage de donner son avis de manière objective. Même sur des thèmes sensibles comme la tolérance et la citoyenneté ». À Amman, Oasis a rencontré Mgr. Louis Sako, Patriarche de Bagdad des Chaldéens. Fort de cette conviction, il ne craint pas de s’exprimer de manière critique sur la parole “tolérance”: « On parle habituellement de la nécessité de tolérer les chrétiens. Mais qu’est-ce que cela signifie tolérer quelqu’un qui est irakien ? Nous étions là avant l’Islam, nous sommes en Irak aussi aujourd’hui, nous sommes des citoyens. Nous ne demandons pas qu’ils nous “permettent” de vivre dans notre pays. En revanche, en expliquant les termes de la question le dialogue s’approfondit. Ils parlent de droits de l’homme : mais il n’y a pas de droits de l’homme chrétiens ou musulmans, il y a une base humaine pour tous. Donc, si les musulmans arrivent à reconnaître cela, nous pouvons vivre ensemble. Parce que la religion restera une expérience personnelle entre moi, mon Dieu et les autres croyants, et ne sera pas utilisée pour des objectifs politiques. Je suis vraiment certain qu’il peut y avoir ce type de dialogue. Si les chrétiens comprennent bien l’Islam, ils peuvent aider les musulmans à s’ouvrir, à faire une lecture plus large du texte, par exemple en l’insérant dans le contexte historique comme nous le faisons pour la Bible ». Et donc le nœud de la question est dans l’espace qu’il y a entre tolérance et citoyenneté ? Le seul critère pour une cohabitation est la citoyenneté : je suis un citoyen, abstraction faite de ma religion, chrétienne ou musulmane. Pour cela il faut séparer la religion de la politique. Si les musulmans accepteront par exemple d’éliminer toutes les références religieuses de la Constitution, dans la politique, et aussi dans l’organisation des rapports entre les citoyens, il n’y aura plus de problèmes. Sur le passeport aussi, sur les documents, il ne faut pas écrire chrétien ou musulman, parce que cela crée des problèmes. De la part des chrétiens, qui aujourd’hui sont une minorité, il y a une barrière psychologique : ils pensent ne pas être acceptés, d’être “tolérés”, d’être une catégorie de second rang. Il y a des règles qui limitent aussi le rôle politique, social, etc. Cela se produit lorsque on ne suit plus comme critère celui de la citoyenneté égale pour tous, mais que se pose en premier lieu l’appartenance religieuse. Quel est votre rapport avec vos voisins musulmans ? Lorsque le régime est tombé, chrétiens et musulmans se sont retrouvés pour protéger ensemble les églises et les mosquées. À Kirkouk certains imans ont adopté un discours favorable aux chrétiens dans leur prédication du vendredi et, si un imam dit dans une mosquée remplie que les chrétiens sont des citoyens bons et sincères, cela aide beaucoup. Cela je l’ai entendu et parfois je l’ai demandé. Parfois je perçois des signes montrant que la mentalité est en train de changer : à la télévision par exemple, lorsqu’il y a des débats entre un imam et un chef chrétien, on parle de dialogue, on présente le christianisme de manière compréhensible et non ambiguë, cela aide. Je pense que nous pouvons changer la mentalité si nous sommes unis et si nous avons des personnes compétentes. Et après les attaques contre les églises, comment sont les rapports contre les institutions ? Dans cette période, il n’y a pas d’attaques contre les chrétiens. Maintenant que j’habite à Bagdad, je visite toujours les églises et il y a la messe, j’encourage les gens à ne pas avoir peur. « N’ayez pas peur », le discours de Jésus, je le répète très souvent. Mais cela ne se fait pas seulement avec des mots : nous aidons les chrétiens à trouver une maison, un travail et nous avons de bons rapports avec le gouvernement et les autorités religieuses sunnites et shi‘ites. Nous avons une bonne relation avec le Premier ministre qui est venu à une de nos rencontres. J’ai organisé un dîner pour tout le gouvernement intitulé « le repas de l’agapé », nous avons utilisé le cantique sur la charité de saint Paul, qu’ils entendaient pour la première fois. Nous avons de bons rapports aussi avec les parlementaires, mais beaucoup dépend aussi de nous, nous avons un riche patrimoine d’histoire et de culture, nous avons eu pendant des siècles des écoles, des hôpitaux et des monastères, et nous pouvons offrir une contribution à ce pays. Nous ne devons pas faire marche arrière. Et comment cela va-t-il entre les chrétiens de rites différents ? Nous sommes unis, c’est-à-dire que l’œcuménisme est un véritable œcuménisme, et pas seulement formel. Nous sommes toujours ensemble, même quand je vais rendre visite chez le Premier ministre ou le Président de la République, tous les chefs qui résident à Bagdad viennent avec moi pour montrer que nous sommes vraiment unis. Comme priorité, donc, nous avons fait un synode, nous avons choisi de nouveaux Évêques forts et instruits. Et ensemble nous devons affronter le sujet de l’émigration et de la manière d’aider les gens à rester. J’ai visité quarante villages et villes ces derniers mois. Il y a cinq ou six ans ils étaient vides, maintenant certains sont remplis et les gens sont contents. Ils sont allés en Turquie ou dans d’autres régions du pays, maintenant ils sont revenus, il y a toute une vie dynamique, mais ils ont besoin d’aide et nous essayons de le faire. Comment regardez-vous la Syrie depuis votre pays ? Tout est abîmé, maintenant la confusion et la corruption règnent, la sécurité a disparu, le pays court vers la division. Si la diplomatie internationale est sincère et veut le bien de la Syrie et de l’Irak, elle doit chercher avec les Irakiens et les Syriens une solution politique. Ils parlent de démocratie et de liberté, mais ce ne sont que des mots, des slogans. On ne peut pas appliquer ou réaliser une démocratie comme par magie. Les Syriens peuvent y arriver seuls, ils ne veulent pas être aidés, parce qu’il y a trop d’influences à l’intérieur : il y a les Américains, les Russes, l’Iran, la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar. Je crois qu’il est possible de mettre les opposants ensemble, de faire des réformes et de trouver une solution pour intégrer tout le monde dans le jeu politique, cela est possible s’il y a un groupe neutre, peut-être aussi un groupe religieux, ou chrétien ou musulman, qui n’a pas d’intérêts, qui recherche vraiment la réconciliation. Cela vaut aussi pour l’Irak qui continue de connaître les morts et la violence. Lorsque je suis allé rencontrer le Premier ministre irakien et que je lui ai dit « nous devons favoriser la réconciliation », il a accepté et a dit « je vous encourage » parce que nous sommes indépendants, nous sommes désintéressés.