Entretien avec Tewfik Aclimandos

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:37:48

La décision de prolonger la durée des élections soulève des doutes quant à la transparence et du vote. Il y a t-il eu des fraudes électorales ? La décision est particulièrement stupide mais elle prouve qu’il n’y a pas eu de fraudes. On voulait un taux de participation très élevé, au moins trente millions d’électeurs, objectif irréaliste vu le caractère prévisible de l’élection, lui même du à la popularité du maréchal (dans l’absolu et comparée avec celle du concurrent). S’il y avait eu fraude, si celle ci était possible, on aurait maintenu la durée initialement prévue et on aurait ensuite trafiqué le résultat. Qui à voté pour al-Sissi et pourquoi? A partir des indications à notre disposition : Tout le monde, sauf les militants frères, une proportion importante de la jeunesse issue des classes moyennes des grandes villes et titulaire de diplômes universitaires. Al Sissi est surtout populaire dans le monde de la fonction publique, de la petite bourgeoisie et dans le monde ouvrier. Il est un peu moins populaire dans la paysannerie, mais celle ci semble avoir voté pour lui, par raison plus que par amour. Ce qui n’est pas clair, c’est ce qu’ont fait les militants salafistes : nous avons des indications contradictoires Pourquoi ? cela est clair : la sécurité. Tout le monde prend conscience du fait que si la sécurité n’est pas rétablie le tourisme, moteur de l’économie, ne reprendra pas. Cela, ni les frères ni Hamdeen ne l’ont compris. Une partie de la population a sans doute voté al Sissi aussi par nationalisme (sur le mode : nous aimons l’armée et qu’on ne nous donne pas de leçons), ou par hostilité aux frères, rendus responsables du terrorisme, ou pour d’autres raisons. Ces élections ont-elles affaibli le projet politique d’Al-Sissi ? Je ne pense pas. Il a quand même disposé d’une extraordinaire majorité, inattendue. Il faut voir que certains de ses « clients » voulaient devenir des « alliés », et comptaient sur une marge étroite, pour pouvoir dicter des conditions ou au moins négocier. Je pense bien sûr aux réseaux PND. Là, il ne doit vraiment rien à aucune force politique. Ce n’est pas forcément rassurant, ni nécessairement inquiétant. Par contre, l’incurie des membres de sa campagne (on peut dire que ce score est en partie atteint malgré eux), certains faux pas lors de la campagne, permettent d’avoir des doutes sur le professionnalisme de son équipe, doutes peut être infondés – on verra bien. Par rapport aux élections de 2012 Sabbahi pourrait avoir perdu environ 4 millions de votes. Pourquoi ? J’ai voté Sabbahi en 2012 et 2014. Encore une fois, en l’absence de sondages, on est réduit à des spéculations. En 2012, il a bénéficié du fait qu’aucun des autres candidats n’était totalement crédible : beaucoup d’électeurs ne voulaient d’aucun des deux ténors, Morsi ou Shafiq. L’opinion était moins préoccupée par la sécurité qu’elle ne l’est aujourd’hui, et n’avait pas mesuré l’ampleur du danger représenté par sa détérioration. En 2012, une grosse partie de l’opinion pensait que l’État était le problème ; aujourd’hui elle pense que l’État est la solution. Cette fois ci, nous avons un candidat crédible, au discours sécuritaire rassurant… alors que Sabbahi a des problèmes de crédibilité (c’est injuste mais c’est ainsi) et son discours pro liberté publiques, pro droit à manifester, qui est à son honneur, a inquiété. Peut-on envisager un projet politique viable future sans réconciliation avec les Frères musulmans ? Très bonne question. On verra. Juste un point : c’est la confrérie qui ne veut pas de la réconciliation. Après, la question est complexe : demander à la confrérie de se restructurer pour respecter la loi, être transparente, démanteler ses milices, etc., c’est lui demander de prendre le risque de se suicider. A votre excellente question, je préfère dire : l’islam politique est en crise mais il ne disparaîtra pas. Les frères sont une force ancienne et elle ne disparaîtra pas elle non plus – mais peut elle changer ? J’ai des doutes, mais ce changement est nécessaire si la réconciliation doit être durable. Il y a deux ans, je vous aurai dit : il est impossible de faire quoi que ce soit avec eux, il est impossible de faire quoi que ce soit contre eux. Aujourd’hui, je ne sais pas ce qui est possible ou ce qui ne l’est pas.