Le 7 juillet dernier, al-Qaradawi a émis une fatwa pro Morsi contre tous ceux qui en ont appuyé la destitution. Dont al-Azhar, qui n’a pas hésité à répondre.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:39:10

Il n’y a qu’un « i » de différence dans les derniers slogans des Frères, et on sait qu’en arabe, les voyelles ne comptent pas d’habitude. Mais cette fois-ci, le fait de passer des appels en faveur de la légalité (shar’iyya) à l’obligation prévue par la Loi (sharî’a) de soutenir le Président destitué Morsi, marque un tournant important. Sans abandonner les références aux procédures démocratiques, la position des Frères vire résolument au religieux. Le ton a été donné par le Shaykh al-Qaradâwi, prédicateur égyptien octogénaire transplanté au Qatar, référence absolue de al-Jazeera pour tout ce qui touche l’Islam. Figure de pointe parmi les Frères, il a renoncé à plusieurs reprises à en assumer la direction politique pour jouer un rôle de référence religieuse pour tous les musulmans sunnites. Mais en fait d’universalité, son avis juridique (fatwa) du 7 juillet dernier n’en a guère. Al-Qaradâwi affirme l’obligation légale de soutenir le Président Morsi, entremêlant sans aucun souci de cohérence interne des fragments de langage démocratique et des argumentations à coups de hadith. Tel ce passage, significatif : « Dieu ne veuille que l’Égypte agisse injustement envers sa Constitution et son président élu, et envers la Loi de Notre Seigneur, parce que cela ne peut mener qu’à la colère de Dieu et à Son châtiment : ‘Et ne crois pas que Dieu ne fait pas attention à ce que font les gens iniques’ (14,42) ». En lisant le texte, on ne peut s’empêcher de se demander : c’est cet hybride de hadith hors contexte, de concepts tirés du droit islamique classique, et de terminologie constitutionnelle, que l’on voudrait faire passer pour la voie islamique vers la démocratie ? Al-Qaradâwi, si l’on fait abstraction de ses concessions rhétoriques à la révolution et à la liberté, n’arrive pas au fond à aller au-delà de l’idéologie du sultanat (expression efficace du philosophe marocain Abed al-Jabrî) et de son quiétisme final. Dans sa vision, la volonté populaire et la volonté divine coïncident nécessairement (la juxtaposition de « Pacte de Dieu » et « Pacte du peuple » est significative) et la démocratie consiste dans le fait d’élire de temps en temps un souverain à demi absolu, dont il faut supporter « avec patience » le gouvernement jusqu’aux élections successives, en lui prodiguant tout au plus quelque conseil prudent, sauf toutefois s’il exhorte à la rébellion explicite contre Dieu. Pas la moindre allusion à quelque mécanisme de contrôle ou de protection des minorités. C’est justement cette faiblesse dans l’élaboration théorique qui a nui, plus que toute autre chose, à Morsi. Le décret constitutionnel de novembre 2012 a porté un coup très dur à sa légitimité démocratique. Mais si cette date –et non celle du 30 juin 2013- marque la fin de la première expérience démocratique en Égypte, il reste, aujourd’hui, la nécessité de ne pas répéter les erreurs de ce premier mandat, en impliquant dans le débat toutes les forces politiques qui acceptent de refuser l’usage de la violence. Sur ce point, les Frères sont aujourd’hui divisés, de même que, ces derniers mois, ils avaient oscillé entre les menaces explicites aux opposants et les ouvertures verbales. Enfin, il y a un autre élément qui vaut d’être souligné : dans sa fatwa, al-Qaradâwi prend à partie, outre le Pape Tawadros et al-Baradei, le Shaykh al-Azhar, faisant allusion à son passé avec le régime de Moubarak. La réponse du Shaykh –qui quelques jours à peine auparavant avait présenté avec le même al-Qaradâwi un document sur les droits de la femme dans l’Islam – ne s’est pas faite attendre. Le Shaykh accuse al-Qaradâwi d’incitation à la sédition et de partialité, tout en contestant la méthode qu’il emploie pour lire les textes religieux sans aucune considération pour la réalité actuelle. La polémique porte en particulier sur la vision en « blanc-noir » propre à al-Qaradâwi, à laquelle le Shaykh oppose la nécessité choisir, en politique, le moindre mal. Plusieurs azharistes, à leur tour, ont désavoué la réponse du Shaykh. La déflagration du 30 juin continue à produire ses effets déstabilisants, même au sein du camp religieux islamique.