Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:39:13

Alors qu’une constitution devrait reposer sur le consensus des forces de la nation, la déclaration constitutionnelle provisoire adoptée par le président égyptien par intérim Adly Mansour le 8 juillet 2013 reflète certes un accord unanime, mais en faveur de son rejet. Ce texte de 33 articles organise la gestion du pouvoir pendant la période de transition après la suspension de la constitution de 2012, prévoit un processus de révision constitutionnelle et établit le calendrier électoral pour les législatives puis les présidentielles. La coalition Tamarrod, à l’origine de la pétition anti-Morsi et de la manifestation du 30 juin, de même que plusieurs partis libéraux et de gauche, regrettent de ne pas avoir été associés à l’élaboration de ce texte, dont on ignore la provenance. Ils critiquent également la concentration des pouvoirs exécutif et législatif entre les mains du président et la position subordonnée qu’occupe le premier ministre. D’autres formations politiques soutenant la transition demandent la révision de l’article 1, selon lequel l’Islam est la religion de l’Etat et les principes de la shari’a islamique la source principale de la législation et qui reprend la définition des « principes de la shari’a islamique » adoptée par la constitution de 2012. Cet article, qui mobilise des notions techniques et complexes du fiqh classique, avait fait l’objet de critiques particulièrement virulentes de la part de l’opposition de l’époque, qui craignait qu’il ne vienne renforcer la place de la loi islamique. Sa présence est une concession envers les partis salafistes et permet de présenter la déclaration constitutionnelle comme un texte de compromis rassemblant au-delà du seul camp des mouvements révolutionnaires. La disposition qui garantit la liberté de croyance ainsi que la liberté de l'exercice du culte mais la limite aux seules religions du Livre, reprise elle-aussi de la constitution de 2012, vise également à donner satisfaction aux partis islamistes. Quant au groupe « No Military Trials », il reproche à la déclaration d’autoriser le jugement de civils par la justice militaire, comme le faisait là encore la constitution de 2012. On note également que l’armée est présente à travers l’invocation du discours du 3 juillet du général Sissi comme fondement de la légitimité de cette déclaration. Les Frères musulmans, de leur côté, rejettent le texte en affirmant qu’il émane d’un président illégitime. Les salafistes, quant à eux, critiquent le processus de révision constitutionnelle prévu par ce texte. Un comité de 10 juristes (6 juges et 4 professeurs de droit constitutionnel), nommés par leurs corps respectifs, se voit ainsi donner 30 jours pour préparer un projet de révision de la constitution de 2012. Or, les salafistes estiment que la révision aurait du être confiée à une assemblée élue et non à des experts nommés. Le projet d’amendement devra ensuite être soumis à une commission de 50 représentants des différentes composantes de la société, qui disposera de 60 jours pour l’examiner et préparer un texte définitif, qui sera soumis à référendum. Cette procédure de révision est inédite dans l’histoire constitutionnelle égyptienne et est un peu surprenante : on aurait pu s’attendre à ce que les politiques se mettent d’accord sur les dispositions à amender avant de confier aux juristes le soin de mettre leurs recommandations en forme. Par ailleurs, la déclaration prévoit que les 50 membres seront désignés par leurs corps respectifs, sans préciser le nombre de représentants dont chacune de ces composantes disposera, ni la façon dont seront répartis les sièges en leur sein. Sa mise en œuvre risque donc de provoquer de nouvelles fractures au sein de la société et d’entraîner une désignation plus ou moins autoritaire de ces représentants. Par ailleurs, aucune directive n’est donnée aux experts quant aux articles à réviser et quant à la majorité à laquelle les révisions devront être adoptées. La feuille de route est différente de celle de 2011/2012 : les amendements constitutionnels précéderont l’organisation des législatives puis des présidentielles, alors qu’auparavant les législatives avaient précédé les présidentielles, avant que la constitution ne soit adoptée. Cela permet à la coalition anti-Morsi de garder le contrôle de la révision constitutionnelle. Le processus de révision devrait prendre au maximum 4 mois et demi et être suivi début 2014 par des élections législatives puis présidentielles. Mais le calendrier parait ambitieux et les délais peu réalistes laissent très peu de temps à la négociation et à la recherche de consensus (Zaid Al-Ali). Les divisions au sein de la coalition au pouvoir soulignent les difficultés qui attendent la nouvelle équipe au pouvoir lorsqu’il s’agira d’élaborer les amendements constitutionnels et d’organiser les élections législatives et présidentielles. Comment réussira-t-elle à élaborer une politique commune alors qu’elle ne parvient déjà pas à s’accorder sur les règles du jeu ? Par ailleurs, cette alliance est-t-elle vraiment prête à faire une place aux partis islamistes ? Comment réintégrer les Frères musulmans dans le processus, après la destitution de leur leader et la répression violente dont ils ont été la cible ? Comme le fait remarquer Nathan Brown, cette déclaration garantit que presque toutes les erreurs de 2011 se répéteront, mais cette fois-ci en l’absence des Frères musulmans.