Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:39:53

Le 23 janvier dernier, l’Observatoire pour les Droits de l’homme a adressé à l’Assemblée Nationale Constituante une lettre dans laquelle il demande que soient modifiées certaines parties du projet constitutionnel. Les articles incriminés concernent en particulier la liberté d’expression, les droits des femmes, le principe de non discrimination et la liberté de pensée et de conscience. À ceux-ci on doit ajouter les questions concernant l’immunité judiciaire du chef de l’État et les conventions nationales ratifiées dans le passé par l’État tunisien. Même si le nouveau projet constitutionnel défend de nombreuses valeurs et prévoit la création d’une Cour constitutionnelle chargée de garantir que les lois tunisiennes soient en harmonie avec la constitution, il contient encore de nombreux articles incompatibles avec les obligations assumées par la Tunisie pendant la ratification d’accords internationaux en ce qui concerne les droits de l’homme et la garantie de ceux-ci. Le nouveau projet constitutionnel n’est pas clair à propos du destin des traités internationaux sur les droits de l’homme ratifiés par la Tunisie, y compris les traités des Nations Unies et des Nations africaines, mais aussi les protocoles qui ont la suprématie sur les lois nationales. Une des questions les plus épineuses résulte être la discordance entre l’article 38 et l’article 17. Si dans le premier on lit que “les conventions internationales promulguées par le président de la République et ratifiées par le parlement ont la suprématie sur les lois nationales”, en revanche dans le second on affirme que “le respect pour les conventions internationales est obligatoire uniquement dans le cas où il n’y a pas de contradictions avec la Constitution”. Les enjeux concernant la liberté d’expression, la liberté de pensée et de religion, l’égalité entre l’homme et la femme et la non-discrimination attirent aussi l’attention de l’Observatoire. L’article 26 prévoit que ces droits soient garantis, mais l’article 3 menace la liberté d’expression lorsqu’il déclare que “l’État garantit la liberté de croyance et de pratique religieuse et stigmatise toutes les atteintes au sacré”, sans spécifier toutefois ce qui est “sacré” et ce qui peut le menacer. En plus de la stigmatisation du langage qui offense la religion, le projet de constitution contient un article ultérieur qui stigmatise n’importe quelle forme de “normalisation” avec le “Sionisme et l’État sioniste”. Mais l’article 3 omet toujours le concept plus large de liberté de pensée et de conscience qui rendrait implicite le droit de changer de religion ou d’embrasser l’athéisme comme cela est établi dans l’article 18 de la Convention internationale des Droits civils et politiques. En 1985, la Tunisie a ratifié la CEDAW (Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination against Women) qui dans l’article 2 stipule que “les États adhérents condamnent les discriminations contre les femmes quelle que soit la forme qu’elle prenne et conviennent de poursuivre avec tous les moyens appropriés et sans retard, une politique tendant à tel fin à éliminer la discrimination contre les femmes”. C’est pour cette raison que les observateurs internationaux considèrent craintivement l’article 28 du projet de constitution qui, même s’il stigmatise toute forme de violence contre les femmes, invoque le principe de complémentarité entre les genres en justifiant ainsi les pratiques qui se basent sur l’idée d’infériorité ou de supériorité d’un des deux sexes ou sur des rôles stéréotypés pour les hommes et pour les femmes. La Tunisie a émis des réserves par rapport au CEDAW en août 2011. Ainsi, les autorités ad interim de la Tunisie ont établi “ne pas prendre de décision à propos de l’organisation et des lois en conformité aux exigences de cette Convention si ce principe devient en contradiction avec les dispositions de l’art. 1 de la Constitution tunisienne”. L’article 28 a été présenté et approuvé par an-Nahda ; la figure de la femme semble y être “complémentaire” à l’homme, et donc dans une position secondaire. Avec les préoccupations formelles des Nations Unies et d’autres organisations internationales, et suite aux protestations des femmes tunisiennes descendues dans la rue, l’article a été modifié. Dernière chose mais non des moindres, la question qui concerne l’immunité du président de la République. Selon l’opinion de la majorité des observateurs et des membres des composantes de la société civile, elle représente une reprise pure et simple de l’article 41 de l’ancienne constitution. Le même argument a été repris par l’article 68 de l’ébauche de la nouvelle constitution qui étend l’immunité du Président de la République au-delà du terme de son mandat pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions présidentielles. Peut-être veut-on tenter un retour à la situation existant avant la Révolution ? En conclusion, nous pouvons affirmer que l’Assemblée Nationale Constituante a été plusieurs fois sollicitée pour inclure une note générale dans la nouvelle Constitution qui comprenne directement dans la loi tunisienne les droits de l’homme ainsi définis par les traités internationaux ratifiés par la Tunisie, et également une clause qui établisse que les juges interprètent la loi de sorte qu’elle soit dans la ligne du droit international des droits de l’homme. Un bon début pourrait se concrétiser à travers l’extension du concept de liberté religieuse, de pensée et de conscience, en y incluant la liberté de changer de religion ou de croyance et de pratiquer en public ou en privé n’importe quelle religion. Au-delà des lacunes identifiées, l’Observatoire des Droits de l’homme a déclaré qu’il y a eu de nombreuses améliorations dans la deuxième version de l’ébauche de la Constitution, spécialement en ce qui concerne le vocabulaire utilisé et l’abandon des articles qui menacent la liberté d’expression. Mais le texte actuel devra être rediscuté en session plénière de l’Assemblée Nationale Constituante avant d’être définitivement adopté et ratifié. Dans la troïka, les trois partis au gouvernement (an-Nahda, al-Mutamar, Ettakatol), il n’y a pas de cohésion : par exemple Ikbal Msadaa de al-Mu’tamarsi s’était exprimé en faveur d’une élection directe du Chef de l’État, tandis que ses alliés politiques ont approuvé son élection parlementaire. En attendant, l’attention de la part du peuple tunisien et des médias sur le processus constituant en cours demeure élevée, eux qui suivent constamment chaque étape du parcours de formation nationale.