Les enfants abandonnés lors de la retraite de l’État Islamique sont des milliers. À Alep, un projet qui implique catholiques et musulmans veut leur donner un avenir

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:54:29

Pendant quatre ans, Alep, la ville syrienne la plus peuplée et la capitale économique du pays avant la guerre, a été divisée en deux : la partie occidentale, contrôlée par les forces du gouvernement et les milices alliées de Damas, et la partie orientale, sous le contrôle de la galaxie des forces qui s’opposent au président Bachar el-Assad.

 

Avec l’apport déterminant et controversé des forces russes et iraniennes, la bataille d’Alep s’est terminée à la fin 2016 par l’abandon de la zone orientale par les rebelles et les milices djihadistes.

 

Plus de 2000 orphelins

Dans cette région de la Syrie, une ville détruite par les bombardements et des milliers de morts ne sont pas le seul héritage du conflit. Durant les années d’occupation d’une partie du centre urbain, les miliciens de Jabhat al-Nusra, groupe djihadiste lié initialement à al-Qaïda, et de l’État Islamique ont été rejoints par leurs femmes, ils se sont mariés avec des femmes du pays et ont enlevé des jeunes filles provenant souvent des minorités religieuses pour en faire des esclaves sexuelles.

 

De ces unions sont nés des milliers d’enfants qui, maintenant que leurs pères sont morts ou ont fui, sont orphelins et ne sont pas reconnus par l’État. Certains ont six ou sept ans : « C’est une partie de la société que personne ne veut regarder, un problème qui est souvent caché pour ne pas provoquer de scandale », peut-on lire dans un document de l’Association pro Terra Sancta.

 

Et c’est pour faire face à cette urgence, comme l’expliquent à Oasis monseigneur Abou Khazen, vicaire apostolique d’Alep des Latins, et frère Firas Lutfi, que de concert avec les autorités religieuses d’Alep a été lancé le projet Un nom et un futur, entièrement consacré à ces enfants, à leurs sœurs et mères.

 

Le projet

Actuellement, les destinataires de l’initiative représentent environ 2000 enfants de parents inconnus. Si on les abandonne, ils risquent d’être exploités par des réseaux criminels et terroristes nous affirment les deux prêtres. Sans oublier qu'ils ont déjà subi les traumatismes de la guerre et des bombardements. Ces enfants ne figurent pas dans les registres de l’État civil, par conséquent ils ne reçoivent aucune assistance. Au contraire, on les « regarde souvent de manière hostile parce qu’ils sont considérés comme les enfants du péché ».

 

La première étape du projet est de modifier la législation syrienne, en promouvant l’approbation d’une norme qui permette de « recenser » ces enfants, sans qu’ils doivent être accusés des fautes de leur pères. Actuellement, la loi est discutée au Parlement.

 

Parallèlement à cette première phase, grâce à la structure organisationnelle mise à disposition par l’Association pro Terra Sancta, qui s’occupe aussi de la collecte de fonds, on veut répondre aux besoins fondamentaux de 500 de ces familles, en termes de nourriture, vêtements et autres biens de première nécessité.

Les enfants risquent d’être exploités par des réseaux criminels et terroristes 

Le projet mené conjointement par les communautés catholiques locales – qui selon monseigneur Abou Khazen jouent un rôle « de pont » – et par les autorités musulmanes va au-delà de la première assistance. Par le soutien au niveau psychologique, pédagogique et la participation à des projets éducatifs spécifiques, l’initiative veut permettre à chaque enfant de s’insérer complètement dans la société, en favorisant le dépassement des traumatismes de la guerre.

 

L’accès au système scolaire est un problème ultérieur. Lorsque les enfants seront enregistrés, ils devraient pouvoir aller à l’école mais, le plus souvent, les effets des situations traumatisantes qu’ils ont vécues compliquent l’apprentissage et creusent un fossé entre eux et leurs camarades du même âge qui ont vécu des situations relativement plus simples.

 

C’est pour cette raison que l’étape successive, après l’inscription à l’état civil et l’assistance légale, est le lancement de cours intensifs qui permettront aux enfants des régions les plus touchées par les combats et les bombardements de rejoindre le niveau de leurs camarades et pouvoir ainsi commencer avec eux le parcours scolaire officiel.

L’espérance pour la paix vient de la population qui est fatiguée 

Le projet Un nom et un futur est le premier qui s’occupe de cette urgence à 360 degrés. Il doit donc prendre en considération la situation des mères de ces enfants qui, expliquent monseigneur Abou Khazen et frère Firas, par peur cachent fréquemment leur condition de mère, en faisant semblant qu’elles sont leurs sœurs. Des activités spécifiques leur seront aussi consacrées : assistance sanitaire, juridique et psychologique, cours d’alphabétisation et des programmes adaptés d’éducation professionnelle qui leur permettent, selon les habilités et préférences de chacune, d’obtenir un travail légal pour élever leurs enfants.

 

L’espérance pour la paix

Tandis que les turcs continuent leur avancée dans les zones contrôlées par les kurdes, le régime et les russes alliés du régime bombardent la région de la Ghouta orientale, d’où proviennent souvent des attaques vers la capitale Damas, la guerre en Syrie semble ne pas pouvoir s’arrêter. « L’espérance pour la paix – affirme monseigneur Abou Khazen – vient de la population qui est fatiguée » du conflit.

 

Voilà pourquoi réaliser le projet avec les autorités islamiques d’Alep, dit le Vicaire apostolique, prouve la valeur « d’une forme pratique de dialogue interreligieux qui vise à construire une société meilleure pour tous ». Les relations nées durant la période de la guerre, explique frère Firas, sont nécessairement authentiques : « Au moment où nous sommes tous deux devant un besoin concret, chacun doit retirer son masque et répondre. Pour cette raison, dans l’équipe du projet, il y aura des chrétiens et des musulmans ».

 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis