Entretien avec Mons. Maroun Lahham, Vicaire du Patriarche de Jérusalem des Latins pour la Jordanie, de Maria Laura Conte

Le Pape en Jordanie trouvera une communauté vivante de chrétiens qui peuvent pratiquer librement leur foi. Et il ne pourra certainement pas oublier la Syrie voisine, où, en revanche, les chrétiens ont payé, aux côtés de leurs concitoyens musulmans, de leur sang un prix très élevé à une guerre qui semble être maintenant à un tournant décisif.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:38:03

Un pèlerinage unique, mais avec des étapes dans des contextes différents. Quels sont les aspects importants? La visite se déroulera en trois étapes, en Jordanie, en Palestine et en Israël, qui se présentent comme autant de situations complètement différentes. Le pape en Jordanie rencontrera une communauté de chrétiens heureux, qui peuvent vivre et pratiquer librement leur foi, sans problèmes de persécutions. Nous prévoyons environ 40.000 personnes à la messe à Amman et nous voulons que tout se déroule à la perfection. En revanche, en Israël, des attaques se sont multipliées dernièrement contre les églises, couvents, mosquées de la part de plusieurs fondamentalistes juifs qui, presque tous les deux ou trois jours, défigurent des édifices chrétiens ou musulmans avec des slogans offensifs et menaçants. Ils écrivent plus particulièrement un slogan : « payer le prix », comme pour dire « vous nous avez persécuté dans le passé, maintenant vous devez payer ». Ce sont des attaques douloureuses, mais on ne peut pas parler de persécutions d’origine religieuse. Les autorités arrêtent certains de ces fanatiques, mais sans les empêcher de nuire définitivement. En Palestine, on souffre de la situation difficile des rapports irrésolus avec Israël, une souffrance qui se poursuit depuis des décennies. Qu’attendent les Jordaniens, en particulier, de la rencontre avec le Pape? Pour la Jordanie, nous attendons des paroles de foi et d’espérance, comme celles que lui seul peut donner. En Jordanie, tous, le roi et la reine, les princes et les princesses veulent voir ce pape qui a stupéfait le monde. Nous attendons de lui des paroles d’amitié, de dialogue, de cohabitation avec les citoyens musulmans. Et d’encouragement pour les malades qu’il rencontrera au site du baptême. À propos des rapports entre la Palestine et Israël, nous souhaitons qu’il prononce des paroles fortes de paix, de justice et de dialogue. Surtout maintenant que le processus de paix est bloqué, les américains se sont lavé les mains et la situation se trouve dans une impasse, nous avons un besoin urgent de paroles de réconciliation. Le pape François, grâce au travail constant des nonces, connaît bien la réalité ici. L’assemblée des ordinaires catholiques lui a préparé une documentation fouillée. Comment les musulmans voient-ils le pape François après cette première année? Le roi, les princes et les princesses veulent voir le Pape. En outre, nous avons reçu plus de 1300 demandes de la part des ambassades musulmanes. Autant de signes concrets du fait que tous veulent toucher ce pape, qui est perçu très, très, très bien. Jusqu’à aujourd’hui, François n’a pas encore eu la possibilité de parler de l’Islam, mais ce qui touche les personnes ce ne sont pas les paroles, ce sont les gestes. Les gens n’ont pas besoin de paroles, mais de gestes. Lorsque François a embrassé le malade défiguré à Rome, il a accompli un geste simple qui est arrivé à tous les cœurs. Tout le monde a été touché. Sa simplicité, ses gestes, son humilité touchent tout le monde, les musulmans aussi. Même s’il n’a pas encore écrit d’encyclique sur l’Islam. Même s’il ne fera pas d’étape en Syrie, ce pays si proche sera de fait présent... Le pape a pleuré quand il a vu les photos des chrétiens crucifiés en Syrie. Le Pape a parlé du conflit syrien comme aucun pape n’en avait parlé. Il a utilisé l’expression »ma Syrie bien-aimée «. Mais, même si les papes parlent, les politiciens restent sur leurs positions. Je me rappelle quand Jean-Paul II écrivit à Saddam et à Bush en les suppliant d’arrêter. Je me souviens que La Repubblica titra « Il Papa spera e Bush spara » (Le Pape espère et Bush tire). Et personne n’écouta le pape polonais. J’espère et je prie pour que cette crise cesse. Je ne crois pas que si François proposait un autre journée de prière et de jeûne, la situation changerait. Ce qui change maintenant c’est que l’armée d’Assad récupère du terrain, Homs a été libérée des milices. Dans deux mois, l’armée nationale récupérera les zones perdues et puis, il y aura les élections de juin, plus ou moins sérieuses. Je pense que la solution politique, dont certains parlent, n’est pas réalisable, parce que l’armée aura le dessus et les milices devront s’en aller. Je ne vois pas de solution politique, non, je vois seulement une solution militaire pour le moment. Le sujet des chrétiens orientaux et leur « protection » demeure un thème sensible. Comment l’interprétez-vous? Quand tu es une minorité, tu vas chez la majorité pour lui demander une protection. Cela s’appelle la psychologie de la minorité. Les chrétiens vivaient sereinement en Syrie et en Irak. Après l’Irak, l’alternative proposée pour la Syrie, celle d’Al Qaeda qui joue au ballon avec les têtes des chrétiens tués, se pose comme une alternative terrible. Je pense que les chrétiens en Syrie ont deux alternatives devant eux : ou Assad comme il est, ou les fanatiques. Celui qui sera élu président devra avoir compris ce qui s’est produit en Syrie, et donc il devra ouvrir les portes et les fenêtres, avoir à cœur la liberté, la justice et le travail. On ne peut pas faire comme si de rien n’était. Mais celui qui gagne la guerre sur le terrain, ne devient-il pas encore plus autoritaire ? Le gagnant à la fin doit avoir un peu de cœur. Savoir qu’il y a eu 150.000 morts dans cette crise, doit pousser celui qui gouverne à réfléchir. Je pense. Du moins, moi, je prie pour cela. C’est mon opinion personnelle. Comment ce pape peut-il s’adresser aux musulmans pour instaurer un rapport réel? En Terre Sainte, tout est compliqué. Il faut faire attention à beaucoup de nuances. Mais je pense que l’Islam fanatique, avec l’échec politique de l’Égypte et de la Tunisie, doit maintenant être plus raisonnable. Je pense que l’Islam modéré, comme le sont l’Islam jordanien et tunisien, s’entend bien avec le pape François, parce qu’il n’a pas besoin de tant de discours. Nous, les orientaux, nous sommes davantage touchés par les sentiments que par les raisonnements scolastiques. Pour nous, un geste, une accolade, un sourire, suffisent. On parle d’une visite historique. Qu’en pensez-vous? Ce sera une grande fête du peuple en Jordanie.