Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:56
Louange à Dieu, Maître des Mondes ; Fin heureuse à ceux qui Le révèrent ; Bénédiction et Paix sur le Prophète Muhammad ainsi que sur toute sa Famille.
Sache, lecteur, qu’un ancien étudiant qui avait été au service assidu du Cheikh, l’Imam, Ornement de la religion, Preuve de l’Islam, Abû Hâmid Muhammad al-Ghazâlî ; qui avait étudié les sciences religieuses auprès de ce maître, réuni les détails des sciences et poussé à la perfection les vertus de l’âme, méditant un jour sur son état, eut l’idée suivante : « J’ai étudié, dit-il, diverses sciences et j’ai passé la fleur de mon âge à les apprendre et à les recueillir ; maintenant, il me faut savoir laquelle d’entre elles sera utile demain pour m’assister dans la tombe ; quant à celles qui me seront inutiles je les abandonnerai comme a dit le Messager de Dieu : « Mon Dieu, protège-moi contre toute science inutile ».
Cette idée l’obséda et le détermina à écrire à son excellence le Cheikh, Preuve de l’Islam Muhammad al Ghazâlî ; il lui demanda conseil pour se diriger, lui posa certaines questions et le supplia de lui écrire une prière à des heures déterminées et il ajouta : « Les ouvrages du Cheikh, l’Imam, tel
La Résurrection des sciences religieuses et autres renferment les réponses à mes sollicitations, cependant, je souhaite vivement que le Cheikh résume ce dont j’ai besoin en quelques feuillets qui m’accompagneront ma vie durant et dont j’observerai les conseils tant que je serai en vie, si Dieu très Haut le veut ».
Le Cheikh écrivit la lettre suivante en guise de réponse. Sache, ô jeune homme qui m’aimes et que j’aime – que Dieu prolonge ta vie pour la soumission que tu lui témoignes et qu’il te conduise dans la voie de ses bien-aimés – que le préceptes les meilleurs se tirent de la mission même du Prophète. Si déjà tu en as tiré une leçon, quel intérêt prendras-tu à la mienne ? Mais si, au contraire, tu n’en as rien tiré, qu’as-tu donc -appris, dis-le moi, durant tant d’années ?
Jeune homme ! Parmi les conseils donnés par le Prophète de Dieu à sa Communauté, on trouve cette sentence : « Lorsqu’un homme a l’esprit préoccupé de soucis sans importance pour lui, c’est le signe que le Très Haut abandonne son serviteur. Celui qui perd une heure de son existence en des recherches pour lesquelles il n’a pas été créé mérite que Dieu prolonge ses regrets au jour de la résurrection. Celui qui dépasse la quarantaine sans que ses bonnes actions ne l’emportent sur les mauvaises, celui-là doit attendre le feu de l’Enfer. A bon entendeur salut ! »
Jeune homme ! Le conseil est aisé à donner mais difficile à suivre : il est amer au goût de ceux qui suivent leurs caprices ; car les choses défendues sont douces à leur cœur. Je vise en particulier, ceux d’entre eux qui aspirent à l’étude de la science formelle et qui passent leur temps à connaître, théoriquement, les vertus de l’âme et les voies qui conduisent aux postes élevés en ce monde. Ces gens croient que le savoir théorique est, pour eux, un moyen d’arriver à ce qu’ils convoitent et que leur salut éternel en dépendra ; et qu’ils peuvent négliger la mise en pratique de ce qu’ils apprennent théoriquement. C’est là l’opinion des philosophes. Gloire au Tout Puissant : ces esprits légers ignorent que, s’ils ne mettent pas cette science en pratique, elle sera sans aucun doute invoquée contre eux, comme l’a dit le Prophète : « Il souffrira le plus au jour de la résurrection le savant à qui Dieu n’aura pas permis de profiter de sa science ».
On raconte que Junayd [
1] après sa mort, apparut en songe à quelqu’un. On lui dit : « Quelle nouvelle, ô Abû al-Qâsim ? » Il répondit : « Les belles phrases ont été vaines et les formules mystérieuses se sont avérées stériles ; rien ne nous a été utile que les quelques génuflexions accomplies au sein même de la nuit ».
Jeune homme! Ne sois pas avare d’actes vertueux ni d’états mystiques, et sois sûr que la science théorique n’apporte aucune aide. En voici un exemple : Qu’un homme au désert porte dix sabres hindous et d’autres armes encore, qu’il soit brave et combattif, qu’un lion redoutable vienne à l’attaquer, crois-tu que ces armes écarteraient le danger s’il ne s’en sert pour frapper le lion ? Et, bien sûr, elles ne repousseront pas le danger si l’homme ne les saisit et ne le brandit pour frapper. Ainsi l’intellectuel qui lit cent mille problèmes scientifiques et les apprend par cœur, sans les mettre en pratique ! Il n’en tire de profit que par l’exercice. Autre exemple : le malade atteint de fièvre et de jaunisse ; son traitement doit se faire par l’oxymel et par l’infusion d’orge. La guérison ne s’obtient qu’en employant ces deux médicaments.
En effet : « Il ne suffit pas d’avoir beaucoup de vin chez soi pour devenir ivre ; mais il faut en boire ! »
Si donc tu t’appliquais à la science cent ans durant et si tu réunissais mille livres tu ne serais prêt à mériter la miséricorde de Dieu que par l’action car Lui le Très Grand a dit : « Qu’on ne comptera à l’homme que ses propres actes ». « Celui qui espère se rencontrer avec son Seigneur, qu’il fasse œuvre pie ». « En punition de leurs actes ». « Les Croyants qui pratiquent le bien auront le paradis pour séjour. Séjour éternel qu’ils ne voudront échanger contre aucun autre ». « D’autres générations les suivirent. Elles délaissèrent la prière pour s’abandonner à leurs penchants. Un triste destin leur est réservé. Exception sera faite pour ceux qui se repentiront, croiront et pratiqueront les bonnes œuvres. Pour ceux-là, ils entreront en paradis et ne seront frustrés d’aucun de leurs mérites ».
Que dis-tu de cette tradition : l’Islam est bâti sur cinq fondements : attester qu’il n’y a pas d’autres divinités que Dieu et que Muhammad est le prophète de Dieu, prier, faire l’aumône, jeûner le mois de Ramadan, accomplir le pèlerinage de la Mecque pour ceux qui en ont la possibilité.
La Foi est un aveu de la bouche, une croyance du cœur et une observance des préceptes. Les preuves de l’importance des œuvres sont innombrables. L’homme atteint, sans doute, le paradis par la grâce et la générosité de Dieu, mais il l’atteint aussi après s’être préparé par son obéissance et son adoration, car « la miséricorde de Dieu est proche de ceux qui font le bien ». Si l’on dit : « L’homme arrive aussi au paradis par la foi seule », nous répondons : « Oui, mais quand ? Le premier de ces obstacles est celui de la foi elle-même ; arrivera-t-il au paradis avec cette foi ? Ne lui sera-t-elle pas ravie avant qu’il n’y entre ? Et s’il est conduit au paradis, il sera un élu déçu et pauvre ». Al-Hasan al-Basrî [
2] dit : « Dieu dit à ses serviteurs au jour de la résurrection : ô mes serviteurs, entrez au paradis par la grâce de ma miséricorde et partagez-en les degrés entre vous, selon vos actions ».
Jeune homme, tant que tu ne pratiqueras pas le bien, tu ne trouveras pas de récompense. On raconte qu’un Israélite adora Dieu durant soixante-dix ans. Dieu voulut faire connaître ce cas aux anges. Il lui en envoya un pour lui dire qu’il ne méritait pas le paradis malgré cette longue adoration. Le message transmis, -l’adorateur répondit : « Nous avons été créés pour l’adoration ; il nous faut adorer ». L’ange, de retour dit : « Mon Dieu, tu connais mieux que moi sa réponse ». Et Dieu alors : « S’il ne cesse pas de nous adorer, nous ne cesserons non plus de le combler de nos grâces. Je lui ai déjà pardonné ses fautes, vous en êtes témoins, ô mes anges! »
Le Prophète de Dieu dit : « Demandez-vous des comptes à vous-même avant qu’on ne vous en demande et pesez vos actions avant qu’on ne vous les pèse ». ‘Alî [
3] dit : «Celui qui croit arriver au paradis sans efforts, est un home qui vainement espère ; et celui qui croit pouvoir y arriver grâce uniquement à l’effort, est un homme qui présume trop de soi. Al-Hasan [
4] dit : « Aspirer au paradis sans accomplir de bonnes actions est un péché ».
Il dit aussi : « Le signe distinctif de la vérité, c’est d’oublier la récompense promise aux bonnes actions, sans en abandonner la pratique ». Le Prophète dit : « L’homme intelligent se juge sévèrement et travaille pour l’autre vie ; le sot suit les caprices de sa fantaisie et compte sur Dieu pour réaliser ses espoirs ! »
Jeune homme ! Que de nuits tu as passées en études, te privant de sommeil ; je ne sais quel était ton but. Si c’était pour ce bas monde, pour ses biens, pour ses dignités et pour t’en vanter devant tes égaux et tes semblables, alors malheur à toi ! Si, par contre, ton intention était de vivifier la loi du Prophète, de former ton caractère, de soumettre ton âme portée au mal, tu es alors bienheureux, oui, tu es bienheureux ! Il a dit vrai celui qui a écrit : « Vaine, la veille des yeux si elle vise un autre que Toi. Inutiles, leurs larmes si elles se répandent pour autre chose que ta perte ».
Jeune homme, vis aussi longtemps que tu le veux, tu n’en mourras pas moins ; aime ce que tu veux, tu t’en sépareras ; fais ce que tu désires, tu en recevras la rétribution. Jeune homme! Que retireras-tu de tant d’études, théologie, logique, médicine, rhétorique, poésie, astronomie, prosodie, syntaxe, morphologie sinon la perte d’un temps passé à désobéir au Très-Haut ?
J’ai trouvé ceci dans l’Évangile de Jésus : « Entre l’instant où le mort est mis dans le cercueil et celui où on le dépose sur le bord de la tombe, Dieu, par sa Grandeur, lui pose quarante questions dont la première est celle-ci : « Tu t’es montré, ô mon serviteur, très pur aux yeux des créature durant bien des années. Mais cette pureté, tu ne me l’as pas montrée, non, pas même une heure » ; et, pourtant, chaque jour Dieu regarde dans ton cœur et dit : « Que de soucis tu te donnes pour les autres, quand tu es comblé de mes bienfaits! Mais toi, tu es sourd et tu n’entends pas »!
Jeune homme! Connaissance sans pratique est folie! Pratique sans connaissance, inutilité.
[Texte extrait de Abû Hâmid al Ghazâli, O jieune homme, traduit par Toufic Sabbagh, Commission libanaise pour la traduction des chefs-d'oeuvre - UNESCO, Beyrouth, 1951, 4-18].
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1] Abû al-Qâsim al-Junayd, juriste et célèbre mystique. Sa famille était d’origine perse mais il naquit et vécut en Irak. En mystique, il fut l’élève de son oncle Sarî as-Saqatî, lui aussi célèbre ; à Bagdad il se lia avec al-Muhâsibî. Un cercle d’élèves se forma autour de lui. Il construisit un système de théosophie mystique qui fut le point de départ de spéculations ultérieures. Des opuscules et des lettres sont parvenus jusqu’à nous.
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2] Al-Hasan al Basrî, grand maître (m. 728) dont la personnalité domina son époque dans tous les aspects de la culture religieuse.
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3] ‘Alî, cousin et gendre du Prophète, quatrième calife, mort assassiné en 40/661. Al-Ghazâlî fait souvent référence à ses paroles (ou celles qui lui sont attribuées ?).
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4] Il doit s’agir d’al-Hasan al-Basrî ; voir la note 2 à son sujet.