Des forces étatiques et non étatiques menacent les frontières et la région du Sinaï, un fait sans précédent dans l’histoire du pays. Le gouvernement penche pour une solution « sécuritaire » avant que politique, de plus en plus lointain. Mais les mesures toujours plus sévères ne résolvent pas la menace de l’EIIL, et le rôle de la Confrérie continue d’alarmer.

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:33:59

L’Égypte a plusieurs défis sécuritaires à relever, même si l’on a recours à une définition très étroite du terme « sécuritaire ». Pour la première fois dans l’histoire du pays, des forces étatiques ou non étatiques menacent la totalité de ses frontières, sa périphérie (le Sinaï), sans mentionner la spécificité du défi éthiopien, qui pose la question des ressources hydrauliques vitales du pays. Si la situation, sur les bords du Nil, s’est améliorée, elle demeure dangereuse, avec la présence d’une force politique minoritaire, les Frères musulmans, dont les adhérents se chiffrent en centaines de milliers, qui ne pardonne pas à des secteurs importants de la population égyptienne d’avoir accordé à l’armée une « délégation de pouvoirs pour lutter contre le terrorisme » et d’avoir, ce faisant, préparé/cautionné la répression sanglante de Rab‘a (14 août 2013, des centaines de morts). La Confrérie est déterminée à faire échouer le nouveau régime par tous les moyens, y compris la violence terroriste et les actes de sabotages. Cette force, de plus en plus minoritaire dans le pays, dispose cependant de certains fiefs et bastions, dont certains dans la banlieue de la capitale. Une solution politique n’est pas en vue et la solution sécuritaire, malgré une efficacité croissante voire impressionnante, montre ses limites. Malgré cela, il est possible d’affirmer que pour l’instant, le régime a gagné la bataille dans la vallée et que les agissements des frères accroissent le rejet dont ils sont l’objet. Les djihadistes menacent le Sinaï et la frontière libyenne. Au Sinaï, leurs formations étaient plurielles, s’opposaient sur des questions de doctrine et de tactique politique, mais la sévérité des coups les a incitées à se regrouper, sous la bannière Ansar bayt al-maqdis, formation qui était affiliée à al-Qaida mais qui a ensuite rallié Daesh. Elle n’occupe que la moitié est du littoral nord, soit le tronçon al-Arish/Rafah, plus une petite partie du territoire nord est, notamment dans la région de la montagne al-Hallal et de la bourgade du Shaykh Zuwayd. Elle est un mixte de combattants étrangers, de djihadistes de la vallée et de fils de certaines tribus Sinaïotes. Elle compte plusieurs milliers de combattants – les estimations oscillent entre cinq mille et vingt deux mille. Ses pertes sont lourdes, plus d’un millier de morts, ses lignes de communication et d’approvisionnement sont régulièrement coupées, mais elle a pour le moment réussi à renaître périodiquement et même à « projeter » ses forces pour organiser des opérations ponctuelles très meurtrières loin de son fief. Il est certain qu’elle dispose d’appuis à Gaza, et au minimum de la neutralité « positive » des brigades al-Qassam. Qu’elle a réussi à acquérir le « silence », consentant ou non (selon les cas), des tribus – en exécutant brutalement tous ceux qui sont accusés de « collaboration ». Le défi sécuritaire est compliqué, dans la région, par la difficulté de recruter des informateurs – les milieux tribaux sont « fermés ». Le manque d’informations incite souvent les autorités à recourir à la répression brutale voire aux sanctions collectives, qui sont contre productives. Par contre, il ne faut pas croire que toutes les tribus du Sinaï sont acquises à la cause djihadiste, c’est très loin d’être le cas et il faut reconnaître que l’armée a remporté quelques succès importants et a beaucoup progressé, même si la voie est longue voire interminable. Le défi libyen est différent. La Libye est devenue un gigantesque marché d’armes et les livraisons approvisionnent aussi bien l’Afrique Subsaharienne que Gaza ou le Sinaï. Daesh a pris position à Derna et à Syrte. Ses rangs comptent cinq mille combattants – avec un très petit contingent libyen, le gros des troupes étant yéménite. La solution « intervention militaire extérieure » est risquée et n’est souhaitée par personne en Égypte, mais il est impossible de l’exclure définitivement. L’idéal serait une solution politique permettant de construire une bureaucratie, de reconstruire une armée libyenne et de désarmer les milices. Sur ce, difficile en soi, tous les pays voisins sont d’accord, même si l’Égypte donne quelques fois l’impression de refuser cette idée et d’être tentée par la solution d’une zone tampon. Le problème des autorités cairotes semble plutôt être la place à accorder aux Frères musulmans libyens dans une éventuelle coalition nationale au pouvoir. Ces derniers réclament un statut qui est peut être conforme à leur puissance militaire, mais qui est de loin supérieur à leur poids électoral, tel que mis en évidence par les dernières consultations. Des inconnues irritantes sont aussi la capacité des frères à maintenir des canaux de transmission avec les milices djihadistes et leurs connexions avec l’organisation internationale de la mouvance. Le manque de confiance se traduit de plusieurs manières : par exemple, les frappes égyptiennes contre Daesh ont été coordonnées avec le pouvoir légitime (mais minoritaire) mais sans concertation aucune avec les Frères libyens, qui n’ont pas été informés. Ces derniers ont réagi en diffusant le mensonge abject attribuant la décapitation des coptes aux services égyptiens et en prétendant que ce crime n’avait pas été commis en Libye. Il est trop tôt pour savoir si les prétentions contradictoires, les ambitions concurrentes, l’absence de véritables instances étatiques seront un obstacle incontournable. Les milices islamistes jouent aussi sur les dissensions entre pays voisins (la Tunisie n’a pas d’armée et cela la rend plus encline à ménager les islamistes).