Les terroristes ont frappé la France, car elle milite pour que la Syrie ne soit pas condamnée à l’alternative entre « Califat » et Assad

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:29:34

Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et dans sa banlieue doivent être analysés comme une frappe sans précédent au cœur de l’Europe, dont l’impact va bien au-delà de la France proprement dite. Il s’agit en effet pour Daech, le bien mal nommé « Etat Islamique », d’infliger une violence maximale au sein du dernier pays occidental à militer pour que la Syrie ne soit pas condamnée à la sinistre alternative entre la dictature de Bachar al-Assad et le « califat » auto-proclamé d’Abou Bakr al-Baghdadi. C’est cette possibilité d’une troisième voie pour la Syrie, pour le monde arabe et le monde musulman, et donc d’une Europe en paix durable avec la rive sud de la Méditerranée, que les commandos terroristes ont voulu détruire ce soir là. Abou Moussab al-Zarqaoui, quand il devient en 2004 le chef (en arabe « émir ») de la branche irakienne d’Al-Qaida, sait qu’il peut compter sur le soutien multiforme de Bachar al-Assad et de ses services de renseignement. La dictature syrienne mise alors sur l’insurrection anti-américaine en Irak pour y fixer les troupes occidentales et les détourner de son propre pays. En outre, les différentes officines de la police politique de Damas engrangent des profits considérables dans le parrainage de la guérilla infiltrée au travers de la frontière syro-irakienne. C’est ainsi que la « filière des Buttes Chaumont », qui envoie des « volontaires » français en Irak via la Syrie, a pu se développer. Cette filière est démantelée en 2005 par la justice française, mais de nombreux djihadistes de l’Hexagone ont ainsi pu nouer des liens durables avec Zarqaoui et son groupe. C’est le cas de Boubaker al-Hakim, emprisonné en France durant six ans, qui s’installe à sa libération en Tunisie en 2011 et y fonde la branche armée du groupe djihadiste Ansar al-Sharia (les Partisans de la Sharia). C’est le cas aussi des frères Cherif et Saïd Kouachi, qui collaborent ponctuellement avec la branche yéménite d’al-Qaida. Tous ces extrémistes suivent de près la transformation d’al-Qaida en Irak, après la mort de Zarqaoui en 2006, en « Etat islamique ». Abou Bakr al-Baghdadi prend la tête de cet « État islamique en Irak » en 2010. Le territoire alors contrôlé par les djihadistes en Irak se réduit à une peau de chagrin et il faut tout le soutien de l’appareil de sécurité dans la Syrie voisine pour que « l’État islamique en Irak » ne soit pas éliminé. L’éclatement du soulèvement démocratique en Syrie au printemps 2011 offre une opportunité historique aux djihadistes irakiens : Assad décide en effet de libérer massivement des détenus djihadistes qui vont grossir les rangs des partisans de Baghdadi. C’est ainsi qu’émerge en avril 2013 « l’État islamique en Irak et en Syrie », connu sous son acronyme arabe de Daech. Basé dans la ville de Raqqa, sur le cours de l’Euphrate, Daech profite grandement de la reculade américaine d’août 2013 : l’administration Obama, après avoir proclamé que l’emploi d’armes chimiques par le régime Assad représenterait une « ligne rouge », décide de rester passive malgré le gazage systématique de la banlieue de Damas. La France, à la pointe du soutien occidental à la révolution syrienne, est ainsi abandonnée à l’heure de vérité par les Etats-Unis. Ce lâchage américain entraîne une envolée des montées au djihad dans le monde entier, car Daech se pose en seul défenseur authentique des Musulmans face à une communauté internationale qui les a abandonnés aux mains du bourreau de Damas. Baghdadi et Assad se renforcent déjà l’un l’autre et d’ailleurs se ménagent ostensiblement : tous les territoires conquis par les djihadistes le sont contre les forces révolutionnaires, jamais contre le régime baasiste. Cette « troisième voie » que défend la France entre Bachar al-Assad et Abou Bakr al-Baghdadi va l’exposer d’abord à des prises d’otages par Daech en Syrie. Un des geôliers, le Français Mehdi Nemmouche, est dépêché par Daech en Belgique en mai 2014. Après avoir tué quatre personnes au Musée juif de Bruxelles, il est interpellé à Marseille avec un arsenal de guerre. Mais ce n’est qu’une première alerte, suivie en janvier 2015 par trois attentats à Paris et dans sa banlieue, qui font 17 morts (contre Charlie Hebdo, un supermarché cacher et une policière). Le choix des cibles importe moins que la volonté de susciter des représailles aveugles à l’encontre des Musulmans de France. Pour Daech, il s’agit ainsi de démontrer non seulement l’inanité de la « troisième voie » défendue en Syrie par Paris, mais aussi de briser le modèle de coexistence républicaine, avec en France les plus importantes communautés musulmane et juive d’Europe. Cette stratégie de la terreur est mise en échec par la mobilisation citoyenne du 11 janvier 2015, avec des millions de Française et de Français dans les rues de Paris et de province. C’est ce contre-modèle offert par la France à l’Europe que les terroristes ont voulu frapper une nouvelle fois le 13 novembre 2015. C’est cette « troisième voie » pour la Syrie qu’ils ont aussi voulu enterrer. Bachar al-Assad ne s’y est pas trompé en affichant sa satisfaction au lendemain des attentats de Paris, dont il a rendu responsable les autorités françaises. Cette convergence entre le bourreau de Damas et les assassins de Daech doit être méditée pour tirer toutes les leçons de la tragédie de Paris.