Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:38:36
La moitié sont des enfants : c’est l’élément principal qui émerge des statistiques par rapport aux réfugiés dont la présence est enregistrée au Liban et qui sont désormais 800 mille. Mais si l’on compte aussi ceux qui ne sont pas enregistrés officiellement, on arrive environ à un million de personnes.
Nous sommes face à un exode massif de femmes et d’enfants âgés de moins de 10 ans de la Syrie vers le Liban. En effet, ceux qui sont plus grands restent trop souvent en Syrie pour combattre.
Ces enfants ne vont plus à l’école depuis au moins deux ans, pour cette raison un des défis principaux que nous devons relever est celui de permettre au plus grand nombre possible de retourner à l’école. Pour deux raisons en particulier. La première est contingente, je veux dire : les aider à ne pas perdre l’année scolaire et un tronçon de leur parcours scolaire ; la seconde concerne un aspect de fond :
leur assurer une dimension minimum de normalité. Être réfugiés n’a rien de « normal », parce que tu vis loin de chez toi, souvent loin de ta famille, de ton village, sous une tente précaire. Tu t’es enfui d’un lieu violent et tu arrives dans un endroit où tu te rends très vite compte que la violence t’a quand même suivi. Parce que les camps de réfugiés aussi sont des lieux de violence. Et donc aller à l’école, avoir un enseignant et un cahier ou un stylo, sont toutes des facettes d’une normalité qui permet à ces enfants de récupérer, même seulement partiellement, un sens de stabilité.
Mais ce n’est pas si simple : les programmes scolaires libanais sont différents des syriens, les libanais étudient certaines matières, y compris les mathématiques et la géographie, en anglais ou en français, tandis que les syriens le font en arabe. Et donc l’insertion d’un enfant syrien dans une classe libanaise est plus compliquée.
C’est pour cela que nous organisons des cours propédeutiques ou de rattrapage pour les enfants syriens. Parce que nous tenons absolument à permettre aux enfants syriens d’être sur le même pied que ses compagnons, et en même temps c’est important de ne pas ralentir les programmes scolaires des enfants libanais. En effet, cela forcerait à considérer les syriens qui ont été accueillis comme un poids, un problème.
Mais dans chaque activité se croisent des difficultés différentes, y compris celle que nous appelons « du dernier kilomètre ». Dans le cas des enfants et de l’école cela signifie qu’il faut pouvoir les accompagner du camp jusqu’à la salle de classe. La distance n’est pas qu’un détail : nous devons organiser le transport avec le bus scolaire, chose qui n’est pas évidente parce qu’il y a de nombreux kilomètres à parcourir et parfois de la neige en hiver. Sans ce bus, tout simplement, les petits n’auraient pas la possibilité de rejoindre l’école. Et donc tout l’effort réalisé pour combiner l’intégration et leur fournir stylos et cahiers, resterait vain. Nous travaillons avec l’UNICEF, mais même l’UNICEF ne parvient pas à tout payer, il ne le fait qu’en partie. Les besoins sont toujours plus grands que ce que nous pouvons nous permettre.
Dans cette chaîne d’efforts organisationnels et d’implications pratiques, il y a aussi les extraordinaires inattendus « gagnés ». Je pense au travail que durant tout cet été nous avons débuté avec les familles et surtout avec les pères. Certains d’entre eux ne voulaient absolument pas que leurs enfants aillent à l’école. Ils disaient que le système scolaire n’est pas le syrien, que leurs enfants avaient déjà perdu une année scolaire et que c’était inutile de les faire commencer. De plus l’idée que les enfants travaillent ne leur déplaisait pas afin qu’ils puissent apporter un peu d’argent à la famille. Mais nous n’avons pas baissé les bras. Il y a eu un travail patient de relations, de sensibilisation et de rencontre avec les parents, pour écouter leurs exigences, pour échanger quelques idées. Puis la surprise :
il y a quelques semaines, cinq pères sont venus demander expressément de pouvoir envoyer leurs enfants à l’école. Chaque jour, on sème quelque chose dans la relation avec eux sans savoir si quelque chose fleurira et quand. Mais je sais que du camp de Marj El Khokh l’année dernière 25 enfants partaient pour aller l’école et cette année nous comptons plus de cent inscriptions.
C’est une belle étape, mais nous ne sommes pas encore satisfaits, parce que nous voudrions que tous les 250 enfants fréquentent l’école. Si 100 vont à l’école, avec les 150 autres qui restent au camp nous continuons à nous impliquer dans les cours de rattrapage sous des tentes improvisées. Les besoins sont immenses. On peut y perdre la tête : de l’essence pour chauffer les tentes et les écoles jusqu’à la nourriture. Des chaussures aux vêtements pour affronter un hiver qui ici sera sans pitié. Nous avons besoin de tout. Mais nous continuons, certains que l’aide ne nous manquera.