Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:58

Pendant longtemps, l’institution éducative islamique par excellence, la madrasa, fut considérée comme un reliquat du passé, destiné à disparaître au contact de la modernité occidentale. Puis, la montée des talibans en Afghanistan et le défi lancé par les madrasas au gouvernement pakistanais ont brusquement ramené ce sujet à l’actualité. Une actualité, qui, toutefois, n’est pas garante en soi-même d’une analyse précise. Qu’est ce qu’une madrasa aujourd’hui ? L’ouvrage présenté par Hefner et Zaman répond à cette question avec un examen tous azimuts dans le monde contemporain, précédé d’un brève contextualisation historique de l’institution qui puise ses racines dans la période intermédiaire de la civilisation islamique (1000-1500 environ). De cette confrontation avec le passé émergent surtout des éléments de discontinuité. « Les nouvelles madrasas, plus que espace de préservation d’une culture vivante mais institutionnalisée [...], sont un lieu de jihâd, de “lutte” pour élaborer une forme localement acceptable de modernité islamique » (p. 55). Une série de chapitres, confiés à quelques uns des plus grands spécialistes du secteur, examinent avec grande clarté, lucidité et rigueur scientifique les modèles les plus significatifs d’éducation islamique. Le cas du sous-continent indien, qui a vu surgir deux types complètement différents de madrasa, est emblématique de l’énorme variété des solutions adoptées : inspirées du mouvement réformateur Deobandi et à tendance fondamentaliste au Pakistan, pluralistes en Inde et vouées à la préservation d’une identité en danger. La modernité a signifié également l’arrivée de deux nouveaux acteurs : l’État, qui s’est placé souvent en rival des uléma, et l’Occident, qui a amené avec lui des modèles éducatifs inédits. Dans de nombreux cas, les institutions traditionnelles musulmanes ont su relever le défi avec succès. En ce qui concerne les rapports avec l’État, l’histoire de al-Azhar en Égypte reste paradigmatique, mais en Turquie aussi, laïcité signifie aujourd’hui contrôle de l’expression religieuse, et non plus son exclusion de la sphère publique.  D’ailleurs, l’aspect le plus significatif de l’éducation musulmane en Turquie est certainement constitué par le mouvement Gülen, diffusé désormais également en Occident et inspiré des principes et surtout des pratiques de tolérance. À l’autre extrême du monde musulman, l’Indonésie aussi s’apprête à dépasser le dualisme entre l’éducation traditionnelle religieuse fournie par les madrasas (surnommées localement pesantren) et la formation moderne proposée par l’État, en intégrant les premières dans un système académique de haut niveau. Le cas du Maroc, caractérisé par le déclin de l’éducation traditionnelle à la suite de l’introduction du système français, reste isolé en de nombreux aspects ; dans d’autres pays comme le Mali, les madrasas ont su accueillir certaines instances de la modernité sans renoncer à leur spécificité. Un chapitre de non moindre intérêt est celui consacré aux institutions éducatives islamiques en Grande-Bretagne. Dans certains cas elles reproduisent les modèles Deobandi du sous-continent indien, tandis que dans d’autres tentent de jeter les bases d’un Islam européen. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que seuls 3 % des jeunes musulmans résidant en Grande-Bretagne reçoivent un quelconque type de formation islamique. La conclusion, confiée à Zaman, examine d’un côté la situation complexe des institutions chiites entre l’Iran et l’Irak et de l’autre l’histoire des universités islamiques en Arabie saoudite. Quelles conclusions tirer de cette vaste enquête ? Hefner observe : « Si une lutte est en cours dans le monde pour conquérir les cœurs et les esprits des musulmans, ce qui est certainement le cas, les madrasas et l’éducation religieuse sont en première ligne » (p. 2). « Pour un public occidental choqué par les images de violence terroriste et convaincu que les madrasas peuvent être une partie considérable du problème, l’idée que le noyau de la question pour l’éducation musulmane réside dans le choix entre l’unitarianisme scolastique et le pluralisme épistémologique peut sembler risible. Cependant, dans la pratique éducative musulmane il n’existe pas d’alternative plus décisive » (p. 35).