Entretien avec Mgr. Joseph Coutts, Archevêque de Karachi et Président de la Conférence épiscopale du Pakistan, de Claudio Fontana

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:38:47

Après le carnage de Peshawar, Paul Bhatti a montré du doigt les « forces étrangères » qui veulent déstabiliser le pays et il a accusé le gouvernement de ne pas protéger suffisamment les minorités. Croyez-vous que Bhatti a raison lorsqu’il accuse des forces extérieures au pays d’être responsables des attentats contre les chrétiens au Pakistan ou bien considérez-vous que c’est un problème complètement interne au Pakistan ? Depuis l’élection de Nawaz Sharif l’attitude du gouvernement à l’égard des minorités pakistanaises a-t-elle évolué ou bien est-elle restée semblable à celle de Gilani ? C’est une question très politique, à laquelle il est difficile de répondre. Vous devez cependant garder à l’esprit que le groupe extrémiste qui a attaqué l’église de Peshawar a lui-même diffusé un communiqué dans lequel il revendique cette attaque et affirme qu’il continuera à perpétrer des attaques pour faire cesser les raids des drones américains au Pakistan. Savez-vous ce qu’est une attaque avec des drones ? Ce groupe extrémiste a dit clairement que tant que les attaques des drones ne cesseront pas, ils continueront à attaquer toujours plus d’églises. Et donc, le point important n’est pas ce qu’a dit Paul Bhatti, mais ce qu’ont dit ceux qui ont perpétré l’attaque. Il est encore trop tôt pour savoir si avec Nawaz Sharif le comportement du gouvernement changera, mais il est certain que le problème des groupes religieux extrémistes et des talibans est un problème énorme pour le gouvernement lui-même. Vous devez savoir que si avant ce n’était qu’un problème afghan, maintenant nous avons aussi des talibans pakistanais qui combattent ouvertement notre gouvernement. Le gouvernement parle de dialogue, mais certains considèrent que le dialogue ne peut pas fonctionner avec ce type de groupes extrémistes. Choisir comment avancer, que faire, est une décision très problématique, et il n’y a aucune réponse facile à la menace des talibans pakistanais qui disent ouvertement qu’ils n’acceptent pas la démocratie, alors qu’au Pakistan nous avons un gouvernement démocratique. Les talibans sont un véritable élément anti-état. Où considérez-vous que se cultive la haine contre les chrétiens au Pakistan ? Croyez-vous que les nombreuses madrasas qui se trouvent dans votre pays jouent un rôle ? C’est une histoire très complexe. Toutes les madrasas ne posent pas de problèmes, certaines sont actives depuis des siècles. C’est seulement quand l’URSS a envahi l’Afghanistan en 1979 que la situation a empiré : nous étions dans une situation où le monde occidental avait peur, il y avait la guerre froide, le communisme, il y avait encore le mur de Berlin en Europe, l’URSS était une superpuissance et on courrait le danger que l’Afghanistan ne devienne communiste, permettant ainsi l’entrée soviétique dans le Golfe. La stratégie occidentale fut donc d’arrêter les communistes avec l’aide de l’Arabie Saoudite. Des personnes et des groupes ont été constitués au nom du jihad, la guerre sainte, et certains d’entre eux ont subi un lavage de cerveau dans plusieurs madrasas avec cette idée de guerre sainte : va et combats les athées communistes. C’est ici que naît l’histoire de Osama bin Laden, qui ne venait pas d’Afghanistan mais d’Arabie Saoudite et il était avec l’Amérique. Donc, comme vous le voyez, tout cela est le résultat de la politique américaine. Et, actuellement, nous en souffrons au Pakistan, où la guerre continue sous une autre forme. Des forces de l’OTAN sont en Afghanistan et ceux qui auparavant étaient les combattants pour la liberté contre l’Union soviétique sont maintenant appelés terroristes. Mais les talibans disent : « Vous nous appelez terroristes ? Les États-Unis sont les terroristes, ce sont eux qui nous bombardent avec les drones, en tuant des femmes et des enfants ». Lorsque vous lisez dans les journaux que cinq terroristes ont été assassinés, vous ne voyez pas combien d’autres personnes sont mortes dans cette attaque, parce qu’il s’agit d’une guérilla, ce n’est pas une guerre conventionnelle. Les USA font voler les drones en Afghanistan, mais de là ils lancent des missiles au Pakistan. Et parfois 25 femmes et enfants meurent aussi avec cinq terroristes. Il y a beaucoup de colère chez les musulmans, ou du moins chez les talibans. Que reste-t-il du témoignage de Shahbaz Bhatti pour la communauté chrétienne pakistanaise ? Nous le considérons comme un martyr, parce que lorsqu’il recevait des menaces des terroristes et que certains amis lui ont suggéré de partir à l’étranger, chez ses frères au Canada ou en Italie, il refusait en disant : « Je suis le ministre des minorités, je veux faire mon devoir, je n’ai rien fait de mal et donc pourquoi devrais-je avoir peur ? Je suis un chrétien, un catholique pratiquant ». Il avait le courage de dire la vérité et de rester ferme dans la responsabilité qui était la sienne. Un grand témoin de la foi. Et déjà avant sa mort les chrétiens pakistanais faisaient référence à sa personnalité, parce que ce n’était pas seulement un homme politique, mais plutôt un activiste des droits de l’homme. Tous le connaissaient et lorsqu’on l’a tué ce fut un grand choc. Ce n’est pas seulement les chrétiens qui ont souffert à cause de sa mort, parce qu’il était le Ministre de toutes les minorités et à notre douleur s’unirent aussi les hindous, les sikhs, les zoroastriens... Tous furent choqués par sa mort parce qu’il s’exprimait de manière authentique au nom des minorités religieuses.