Vers l’assemblée des Évêques pour le Moyen-Orient. Le thème choisi désigne le problème fondamental de l’Église dans une région caractérisée par un conflit âpre et profond. D’un côté, les divisions, de l’autre, l’émigration: la présence même des chrétiens dans leur patrie d’origine est en jeu

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:42:57

L'initiative d’un synode spécial pour le Moyen-Orient est venue de l’Évêque irakien de Kirkuk des Chaldéens, Louis Sako. C’est lui qui a contacté les autres Évêques de la régions en cherchant leur appui. En janvier 2009, Mgr. Sako a présenté la requête au Saint-Père. Le 19 septembre 2009, le Pape Benoît XVI a rencontré les Patriarches catholiques à Castel Gandolfo et a fait l’annonce suivante : « Je saisis l’occasion pour donner l’annonce de l’Assemblée spéciale du synode des Évêques du Moyen-Orient, que j’ai convoquée et qui se tiendra du 10 au 24 octobre 2010 sur le thème “L’Église catholique au Moyen-Orient : communion et témoignage : ‘La multitude de ceux qui étaient devenus croyants avait un seul cœur et une seule âme’ [Ac 4,32]” ». Immédiatement après l’annonce, a été créé un Conseil pré-synodal. Sa deuxième réunion a eu lieu à Rome les 24 et 25 novembre 2009, rendez-vous après lequel a été préparée la rédaction en vue de la version finale des lineamenta. Le communiqué du Bureau de presse du Saint-Siège émis à cette occasion disait : « Les participants ont notamment approfondi la notion de communion dans l’Église catholique et en particulier entre les Églises patriarcales et le Patriarcat latin de Jérusalem, ainsi que dans les conférences épiscopales des pays du Moyen-Orient. Il est extrêmement important de favoriser toujours davantage la communion réelle sinon déjà complète avec les autres Églises et communautés ecclésiales ». Finalement, les lineamenta ont été officiellement présentés le 19 janvier 2010 en arabe, en français, en anglais et en italien. Malgré le fait que la notion de « Moyen-Orient » n’a jamais été clairement définie, par ce terme nous faisons habituellement référence aux pays du « croissant fertile » (Palestine, Israël, Liban, Jordanie, Syrie, Irak), à ceux de la péninsule arabique (Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Yémen) ainsi qu’à l’Égypte, à Chypre et à l’Iran. On y inclut souvent aussi la Turquie. La complexité de l’Église catholique dans la région s’avère évidente si l’on observe la composition du conseil pré-synodal, composé de sept Patriarches, qui représentent les six Églises patriarcales et le Patriarcat latin de Jérusalem, et de deux Présidents de Conférences épiscopales. Les six Patriarcats (non latins) sont les Patriarcats Copte, Gréco-Melkite, Maronite, Syriaque, Arménien et Chaldéen. Le thème du synode « Communion et témoignage » indique indirectement le problème fondamental de la région : la communion et le témoignage de l’Église sont mis à dure épreuve dans un milieu de profond conflit social, politique et religieux. En effet, le premier chapitre des lineamenta, intitulé « L’Église catholique au Moyen-Orient » parle ouvertement des problèmes que les chrétiens de la région doivent affronter, et dont ils ne peuvent pas juste rejeter la responsabilité sur d’autres. Les divisions et les conflits entre les chrétiens ont longtemps été tout sauf une preuve de « communion et témoignage » et peuvent être considérés comme l’une des raisons expliquant pourquoi l’Islam s’est si fortement répandu dans des régions qui étaient auparavant presque exclusivement chrétiennes. Plus récemment, pour des raisons liées à des problèmes économiques et à des discriminations politiques et religieuses, dans de nombreux pays du Moyen-Orient, les chrétiens ont eu tendance à émigrer. Cela signifie que ce qui est finalement en jeu est la présence même des chrétiens dans leur patrie d’origine. Évidemment, de tels développements concernent l’Église dans son ensemble et deviennent une authentique préoccupation pour les autorités de la région. Les lineamenta partent de la riche tradition du Christianisme au Moyen-Orient, exprimée dans une variété de traditions. Toutefois, l’« unité dans la diversité » a été et continue d’être davantage un vœu pieux qu’une réalité, et peu de personnes pourraient nier que la diversité prévaut souvent ouvertement sur l’unité. La jalouse insistance sur les qualités individuelles a eu, et continue d’avoir, un lourd coût : le tribalisme et une mentalité sectaire occultent trop souvent la lumière d’une compréhension authentiquement catholique de nos traditions. Que les Églises du Moyen-Orient aient survécu malgré les nombreuses divisions internes et la victoire de l’Islam est un miracle, et a certainement à voir avec la foi profonde et avec la souffrance de nombreux chrétiens inconnus mais qui représentent la continuité de l’authentique témoignage évangélique. Le document fournit un clair diagnostic de la situation actuelle où des chrétiens – pas seulement les catholiques – affrontent d’énormes défis. Il y a les conflits politiques bien connus de la région, qui comportent un mécontentement social et un climat de colère et de méfiance. Souvent, les chrétiens figurent parmi les premières victimes de représailles et de vengeances et sont pour cela enclins à quitter le pays si la pression devient insoutenable. L’émigration affaiblit leur présence et rend la vie de l’Église de plus en plus difficile. Par ailleurs, on constate une importante émigration depuis d’autres parties du monde en direction de la région, spécialement dans les pays où existe une forte demande de main d’œuvre de toute sorte. C’est particulièrement le cas du Golfe, où des millions d’étrangers provenant d’Asie, d’autres pays du Moyen-Orient et du reste du monde, travaillent dans presque tous les secteurs de l’économie. Parmi ces millions de personnes, on trouve de nombreux chrétiens provenant du monde entier et donc des catholiques de toutes les traditions (« rites »). À cause de l’émigration depuis des pays en situation d’insécurité politique et sociale, surtout pour les chrétiens, et de l’émigration de chrétiens du monde entier vers les pays du Golfe en rapide voie de développement, nous nous trouvons face à une situation paradoxale : d’une part, de nombreuses vieilles Églises traditionnelles – certaines en union avec l’Évêque de Rome, la majeure partie non – sur le même territoire le long de terres allant de l’Égypte à l’Irak, avec de moins en moins de fidèles mais avec de lourdes structures et, d’autre part, une Église jeune, palpitante, composée de fidèles de plus de cent nationalités avec leurs traditions respectives mais avec des structures faibles du fait de la liberté limitée de la majeure partie des pays du Golfe. Une Partie du Problème Il est compréhensible que les différentes Églises, affaiblies dans leurs pays d’origine, montrent un intérêt croissant pour leurs fidèles qui ont émigré pour toujours ou bien travaillent temporairement à l’étranger. Toutefois, le manque d’une pleine liberté de religion et de culte rend souvent très difficile, sinon impossible, la création de structures nécessaires pour toutes les traditions ecclésiastiques. Parmi les migrants, beaucoup portent dans leur chair les traumatismes de l’expérience de la guerre ou les signes de tensions tribales et religieuses de leurs pays d’origine. Trop souvent, même les Évêques catholiques des différentes traditions ecclésiales ne sont pas conscients du fait, ou bien le nient, que donner la priorité aux traditions au détriment de l’unité constitue une partie du problème et pas sa solution. C’est un fait : plus la voix et le visage de l’Église sont polyphoniques et polychromes, et plus s’affaiblissent son témoignage et sa position par rapport à la majorité musulmane dans laquelle elle est plongée et qui est détentrice du pouvoir politique, religieux, social et économique. Le thème du synode « Communion et témoignage » est vraiment un défi ! Sans le moindre doute, l’Église doit mieux apprendre que dans les différentes et anciennes traditions des Églises du Moyen-Orient se trouvent des trésors souvent négligés ou méconnus de la plupart des chrétiens des autres parties du monde. Le synode sera l’occasion de faire connaître à toute l’Église catholique les richesses des différentes Églises, avec leurs respectives histoires, théologies, spiritualités et traditions juridiques. Très souvent, la tradition de l’Église occidentale a été, et continue d’être, concentrée sur son histoire puissante et victorieuse, et inconsciente des valeurs particulières et des droits des Églises orientales sœurs. En plus de son originalité spirituelle et théologique, elle est aussi dépositaire d’une longue expérience avec l’Islam. Elle peut indubitablement être utile aux autres Églises du monde pour lesquelles ce défi est inédit. Les Églises du Moyen-Orient peuvent aider à dépasser les préjugés, mais aussi à empêcher que les autres soient trop naïfs, que ce soit en abordant l’Islam ou bien en idéalisant le caractère pluriforme des Églises dans un milieu très souvent hostile. Il est compréhensible que l’intérêt du synode, et de ceux qui l’observeront avec attention, se concentrera sur ces pays et ces Églises les plus engagées dans une lutte pour survivre : les chrétiens de Palestine, d’Irak, d’Égypte, et d’autres semblables endroits. L’Église catholique dans son ensemble ne peut pas rester indifférente en regardant le drame qui se produit dans ces régions, que les victimes soient catholiques ou qu’elles soient chrétiennes d’autres dénominations. Le baptême commun les réunit comme de vraies filles du même Père même si elles sont en désaccord partiel sur bien des aspects particuliers de l’enseignement et de la discipline des communautés d’appartenance respectives. « Communion et témoignage » sont des questions brulantes si le Christianisme veut survivre dans la région. Les lineamenta parlent, dans deux brefs paragraphes (28 et 29), de « l’immigration chrétienne internationale au Moyen-Orient ». Le texte semble surtout avoir à l’esprit la situation du Levant et moins celle de la péninsule arabique où je vis. En parcourant les divers textes et déclarations qui ont suivi l’annonce du synode pour le Moyen-Orient, il semble que les pays du Golfe (à l’exclusion de l’Irak, qui a une vieille tradition chrétienne) ne figureront pas au centre de la discussion. Toutefois, c’est un fait, dans le Golfe, il existe une très vitale « Église pérégrine » d’émigrés organisés en deux vicariats apostoliques (Arabie et Koweït). Il est possible que le nombre total de catholiques affleure ou même dépasse le nombre total de tous les autres pays du Moyen-Orient. Toutefois, à cause de l’absence d’une vraie liberté religieuse et d’une vraie liberté de culte, ou du fait de l’inexistence d’une communauté catholique locale, cette Église n’a pas davantage attiré l’attention que les autres Églises tant que ces dernières n’ont pas compris que les émigrés pouvaient devenir l’objet d’un intérêt pastoral et d’un intérêt – parfois plus important – économique pour les pays d’origine. Afin de maintenir l’unité des catholiques dans les pays des deux vicariats du Golfe (c’est-à-dire Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis et Yémen), le Saint-Siège a décidé que sur ce territoire le Vicariat apostolique est le seul titulaire de juridiction pour tous les catholiques, quelle que soit la tradition à laquelle ils appartiennent. Les vicaires apostoliques sont tenus d’assurer le personnel et les moyens pour que les fidèles des différentes Églises orientales puissent célébrer le Sacrement selon leurs traditions respectives dans la mesure où de sévères restrictions à la liberté religieuse ne l’empêchent pas. Le Rescriptum ex audientia approuvé par le Pape Jean-Paul II (6 mars 2003) et confirmé par Benoît XVI (8 avril 2006) a mis fin à certains conflits et au manque de clarté à ce propos. Malgré cela, le simple fait que les Patriarches aient à nouveau soulevé la question à l’occasion de l’Assemblée de Castel Gandolfo (septembre 2009) montre que la décision du Saint-Siège n’a pas encore trouvé l’acceptation de toutes les Églises catholiques orientales. Ce qui pourrait sembler, à un observateur externe, une lutte de pouvoir entre Évêques est, dans la réalité du Golfe, une question de survie. Si, dans cette région, l’Église catholique devait se fragmenter en six, sept ou davantage juridictions sur le même territoire, une compétition malsaine débuterait pour s’accaparer les quelques lieux de culte, générant ainsi de continuelles tensions, épuisantes pour les énergies des prêtres et des fidèles et capables de jeter un grave discrédit sur le témoignage d’unité et de communion dans un milieu plutôt hostile. Des Libertés Inconnues À la différence des pays du Levant et de l’Irak, les chrétiens du Golfe sont presque exclusivement des étrangers sans nationalité. C’est également valable pour les chrétiens arabophones provenant des pays avec d’anciennes Églises arabophones. Comme le montrent les lineamenta, la principale attention du synode sera tournée vers les Églises arabophones du Moyen-Orient et reflétera donc la variété des Églises catholiques orientales, du moment que l’Église latine est numériquement la plus modeste. Dans la péninsule arabique, de toutes façons, la grande majorité des catholiques sont de rite latin. Ne pouvant faire valoir une présence historique de longue date dans ce secteur, ils perçoivent encore davantage les conséquences de la situation décrite au numéro 84 des lineamenta : « Certains pays sont des États islamiques, où la charia est appliquée non seulement dans la vie privée, mais aussi dans la vie sociale, y compris pour les non musulmans. Cela est toujours discriminatoire et, par là, contraire aux droits de l’Homme. Quant à la liberté religieuse et à la liberté de conscience, elles sont inconnues dans la mentalité musulmane, laquelle reconnaît la liberté de culte, mais non pas celle de proclamer une autre religion que l’Islam et moins encore d’abandonner l’Islam. Avec la montée de l’intégrisme islamique, les incidents contre les chrétiens augmentent un peu partout ». Bien que le prochain synode fera principalement référence à une zone géographique limitée et avec un nombre relativement modeste de chrétiens, le défi est énorme. Il sera essentiel que le thème principal « Communion et témoignage » ne disparaisse pas à cause des intérêts particuliers des Évêques et des conflits permanents et non résolus de la région qui attirent l’attention des médias. Les numéros 87 et 88 des lineamenta offrent une bonne description de ces défis : « Notre situation actuelle, de présence assez réduite, est conséquence de l’histoire. Mais nous pouvons aussi, par notre comportement, améliorer notre présent et aussi le futur. D’une part, les politiques mondiales sont un facteur qui influera sur notre décision de rester dans nos pays ou d’en émigrer. D’autre part, l’acceptation de notre vocation de chrétiens dans et pour nos sociétés sera un facteur principal de notre présence et de notre témoignage dans nos pays. C’est en même temps une question de politique et une question de foi » (87). « Pour le moment, cette foi est vacillante et perplexe. Nos attitudes vont de la peur au découragement, y compris chez certains pasteurs eux-mêmes. Cette foi doit devenir plus adulte et plus confiante. Notre avenir doit être pris en mains par nous-mêmes. Il dépend de la manière dont nous saurons traiter et faire des alliances avec les hommes de bonne volonté de notre société. Nous avons besoin d’une foi engagée dans la vie de la société, qui rappelle aux chrétiens du Moyen-Orient cette parole toujours actuelle : “Ne crains pas petit troupeau” [Lc 12,32]. Tu as une mission, tu la porteras et tu aideras ton Église et ton pays à croître et à se développer dans la paix, la justice et l’égalité de tous ses citoyens » (88). Les Églises du Moyen-Orient ont besoin d’une solidarité fraternelle avec l’Église catholique tout entière pour sortir du cercle vicieux des luttes politiques, d’une part, et des jalousies, d’autre part. Cela les aidera à renouveler une mentalité et un style de vie authentiquement chrétiens et catholiques, qui constituent le meilleur soin aux blessures qui ont profondément frappé toute cette région. Ce sera un défi pour notre foi, une foi capable de déplacer les montagnes de haine et de laisser la place à la réconciliation et à la paix.