Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:35:04

La couverture d’un hebdomadaire paru une semaine avant les élections législatives du 25 novembre 2011 au Maroc portait comme titre : « Le Maroc sera islamiste », et, en sous titre, « sauf miracle … ou petit tour de passe-passe du palais » (Tel Quel n°497). Eh bien, nous y voilà ! Après l’adoption de la nouvelle constitution approuvée par referendum début juillet 2011, les marocains se sont donc rendus aux urnes pour élire leurs députés et le grand vainqueur est le PJD (Parti de la Justice et du Développement) qualifié d’« islamiste » : il a récolté 107 sièges, loin devant le Parti de l’Istiqlal arrivé en 2ème position, avec 60. Le taux de participation (45,40%) a été supérieur aux dernières élections de 2007 (37%). Il faut noter cependant que sur 21 millions d’électeurs en âge de voter, seuls 13,5 millions sont inscrits sur les listes électorales. D’autre part les marocains de l’étranger ont très peu voté, car le vote par procuration ne leur convient pas. Il y a donc eu une assez forte abstention de fait. Il semble que ces élections aient été transparentes, même si le Conseil National des Droits de l’Homme a noté quelques irrégularités, qui restent négligeables. Les observateurs internationaux vont dans le même sens. Comment rendre compte de cette étiquette de parti « islamiste » ? En français nous trouvons les adjectifs islamiste, islamique (souvent associé au mot terrorisme), musulman, … Le PJD ne représente pas tous les « islamistes » du Maroc puisqu’un autre parti de cette mouvance (le Parti de la Renaissance et de la Vertu) n’a eu aucun député, et que le mouvement « Al Adl wal Ihssane » ‒ Justice et Bienfaisance ‒ (qui n’a jamais été reconnu comme parti politique) était partisan du boycott. Nous pourrions peut-être oser une comparaison ! En Europe, plusieurs pays ont connu des partis portant l’étiquette « chrétienne », (la Démocratie Chrétienne), et il est sûr que les valeurs chrétiennes sont bien présentes aux racines de l’Europe. Au Maghreb, les valeurs musulmanes sont bien présentes aux racines de son histoire (en tout cas depuis le VIIe siècle) et l’Islam représente la référence privilégiée pour ses peuples, sans que l’on puisse bien distinguer d’ailleurs entre l’islam-culture et l’islam-religion (ainsi, un sondage paru cet été au Maroc montre que, si les jeunes considèrent l’islam comme l’élément central de leur identité, ils sont en même temps peu pratiquants au niveau de la prière – seuls 34% y sont assidus alors que tous jeûnent pendant le Ramadan ‒ et n’ont aucun complexe à vivre leur sexualité avant le mariage !). Le PJD ne serait-il donc pas mutatis mutandis l’équivalent d’un parti « démocrate chrétien» musulman ? Comment expliquer sa large victoire ? Nous avons assisté à une ascension progressive du PJD: 42 députés en 2002, 47 en 2007 et 107 en 2011. Il faut dire que lors des précédentes élections législatives, il s’était en quelque sorte « autocensuré » en ne présentant pas de candidats dans toutes les circonscriptions, alors que cette fois-ci il en a couvert 91 sur 92. Sa victoire est très nette dans les grandes villes: Casablanca, Tanger, Rabat, Fès et Marrakech. C’est là où sa réussite est spectaculaire ; elle l’est beaucoup moins dans le monde rural. Mais sa victoire est due aussi au fait que la majorité du précédent parlement (la « koutla » ‒ le bloc ‒ composé du Parti de l’Istiqlal, de l’Union Socialiste des Forces Populaires et du Parti pour le Progrès et le Socialisme) a subi un vote-sanction. Si le PI tire à peu près son épingle du jeu (52 élus en 2007, 60 en 2011), l’USFP est en perte de vitesse : 50 sièges en 2002, 38 en 2007, 39 en 2011, ainsi que le PPS (18 sièges en 2011). L’usure du pouvoir les a marqués inévitablement car plusieurs de leurs membres ont été ministres à maintes reprises; de plus ce sont toujours les mêmes élites qui se retrouvent à leur tête avec donc des personnalités passablement « vieillies ». Au contraire le PJD a su dès sa fondation mobiliser des militants et renouveler ses cadres et c’est aussi un des rares partis qui pratique une véritable démocratie interne, contrairement aux autres (certains n’organisent même pas de congrès pourtant prévu dans leurs statuts !) Que va-t-il se passer maintenant ? Conformément à la nouvelle constitution, le roi vient de nommer M. Abdelilah Benkirane, jusqu’alors secrétaire général du PJD, au poste de premier ministre. Notons d’ailleurs que dans la précédente législature le roi avait également nommé comme premier ministre M. Abbas El Fassi, secrétaire général du PI qui était arrivé en tête, alors que ce n’était pas obligatoire selon la constitution de l’époque! La majorité absolue au parlement étant de 198 sièges, le PJD ne peut pas gouverner seul ; il doit chercher des alliances. De quel côté ? Le PI a fait savoir qu’il y était prêt et ce serait somme toute assez « naturel » puisque ils ont en commun des référents assez proches. L’USFP hésite beaucoup car certains de ses militants préféreraient passer dans l’opposition « pour se refaire une virginité », le PPS également (mais dans certaines municipalités le PPS collabore déjà avec le PJD). Le PJD pourrait donc aussi se tourner vers 2 partis jusqu’alors dans l’opposition, à savoir le Mouvement Populaire (MP), parti plutôt bien présent dans le monde rural et proche du monde berbère, ou l’Union Constitutionnelle (UC), parti de notables. Les tractations sont en cours… Dans l’opposition, nous aurons les 8 partis qui se sont rassemblés pour la campagne électorale sous l’étiquette « Alliance pour la Démocratie », mais certains (dont le MP) seront peut-être tentés de se rapprocher du PJD. Il restera le PAM (Parti pour l’Authenticité et la Modernité, qualifié de « parti du roi » car fondé par un de ses amis, M. Fouad Ali el Himma) fort de ses 47 députés, et le RNI (Rassemblement National des Indépendants, dont le chef était ministre des finances dans le précédent gouvernement ) avec 52 députés. Quel est le programme du PJD ? Il s’engage à réduire de moitié la pauvreté, à diminuer le taux d’analphabétisme et le taux de chômage (réduction de 2%, instauration d’une allocation-chômage), à une meilleure répartition des richesses (avec un SMIG à 3000 dirhams, soit 275 € par mois), à atteindre un taux de croissance de 7%. Sur le plan des libertés individuelles, il se montre rassurant : pas d’interdiction de consommation d’alcool ni d’obligation du port du voile … un islam « light » en somme! Simples promesses électorales ? L’avenir ? De toute façon le prochain parlement a du pain sur la planche ! Il devra produire 17 lois organiques induites par la nouvelle constitution … Les plus importantes portent sur l’élargissement des prérogatives du premier ministre et du gouvernement, ainsi que celles du parlement. Il faudra aussi mettre en place une régionalisation plus étendue avec une démocratie locale plus avancée : ainsi le pouvoir exécutif des conseils provinciaux et régionaux devra être exercé non plus par les gouverneurs ou les walis, mais par un président de province ou de région élu. M. Benkirane, qui vient d’être nommé premier ministre, n’a cessé de déclarer tout au long de la campagne électorale: « Il est temps que le peuple reprenne sa place, qu’il gouverne au lieu d’être gouverné ». Le PJD est réputé plutôt jaloux de son autonomie et M. Benkirane est connu pour sa forte personnalité, tout en montrant une certaine déférence vis-à-vis du roi. Il ne devrait donc pas y avoir de « clash » entre le roi et son nouveau premier ministre ; par contre les conseillers du roi auront peut-être plus de mal à s’interposer entre les deux. Peut-on comparer les élections du Maroc avec celles de Tunisie ou d’Egypte ? C’est la « révolution des œillets » tunisienne qui a inspiré le « Mouvement du 20 février » regroupant des jeunes de divers courants de gauche et des jeunes « islamistes » du mouvement Al Adl wal Ihssane ; ils ont organisé des manifestations dans les principales villes du Maroc, chaque semaine pendant près de 5 mois jusqu’au referendum, et encore avant les élections du 25 novembre. Cependant comparaison n’est pas raison : chaque pays a sa propre histoire et ses propres institutions ! On se réfère aussi souvent à la Turquie, et certes, le AKP a bien des aspects communs avec le PJD marocain ; mais la Turquie est un pays laïc (l’armée y est garante de la laïcité) alors que le Maroc est une monarchie dont le roi est « commandeur des croyants » et exerce un double pouvoir religieux et politique. Même si la nouvelle constitution accorde plus de pouvoirs au premier ministre, le roi reste un acteur majeur – sinon le premier ‒ de la vie politique marocaine.