À Birmingham a été fondé le Women’s Muslim College, pensé pour fournir aux femmes musulmanes du Royaume Uni une préparation religieuse adéquate

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Dernière mise à jour: 22/04/2022 10:03:05

Après cinq années passées en Syrie pour approfondir la tradition islamique, cheikha Safia Shadid s’est lancée dans l’enseignement et l’accompagnement d’étudiantes dans leur parcours de connaissance de l’Islam. Cette expérience a donné naissance au Women’s Muslim College, un centre d’éducation conçu pour dispenser aux femmes de religion islamique du Royaume-Uni une préparation religieuse adéquate, qui leur permette d’affronter les défis qu’elles rencontrent en Europe.

 

Conversation avec cheikha Safia Shahid

 

Le Women’s Muslim College est l’une des rares structures éducatives islamiques du Royaume-Uni à s’adresser aux femmes. Comment est née l’idée de créer cet institut ?

 

J’ai commencé à enseigner et à accompagner d’aspirantes étudiantes après cinq ans en Syrie, où j’ai étudié la tradition islamique. Les résultats scolaires des femmes que je suivais étaient surprenants. Elles excellaient dans l’apprentissage des différentes disciplines islamiques et démontraient une application exceptionnelle dans les études. Ayant reconnu le potentiel de ces femmes, j’ai décidé de promouvoir des opportunités d’enseignement pour les plus qualifiées d’entre elles. Alors que le nombre d’étudiantes et d’enseignantes devenait plus important, l’idée s’est imposée de créer un institut qui puisse relancer le savoir féminin. C’était une conséquence logique de l’augmentation de la charge de travail. J’ai fondé le Women’s Muslim College avec l’aide et le soutien du cheikh Muhammad Al-Yaqoubi, en 2017.

 

L’instruction joue un rôle fondamental dans la tradition islamique, une position éminente attestée à la fois par le Coran, les hadîths et la littérature scientifique. On retrouve cette importance de l’apprentissage dans divers versets du Coran, comme « Mon Seigneur ! Augmente ma science ! » (Cor. 20,114). Cette centralité est mise en place dès le premier verset du Coran à être révélé : « Lis » (Cor. 96,1). Le Coran invite à la réflexion et à l’utilisation de l’esprit : « Dans la création des cieux et de la terre, dans la succession de la nuit et du jour, il y a vraiment des Signes pour ceux qui sont doués d’intelligence » (Cor. 3,190). Les hadîths développent davantage ce concept, à travers certains récits comme « La quête du savoir est une obligation pour tout musulman ». Vu l’importance de l’instruction dans les textes, satisfaire les besoins éducatifs et spirituels des femmes musulmanes et de la communauté en général est très gratifiant. Comme le dit un proverbe arabe « Une mère est une école. Renforce-la et tu renforceras toute la nation ».

 

Quels sont les cours proposés par le collège et quelles matières y sont enseignées ?

 

Notre cheval de bataille est le cursus en Sciences islamiques dans le contexte moderne, d’une durée de quatre ans. Il est conçu pour offrir un enseignement de haut niveau et pour former des étudiantes ancrées dans la tradition intellectuelle islamique, dotées des compétences et de la préparation requises pour jouer un rôle de guide au sein de la société moderne. Le Diplôme en Sciences islamiques est, quant à lui, un cours à temps partiel d’une durée d’une année académique, conçu pour fournir aux étudiantes les fondamentaux de la connaissance que chaque musulman doit connaître. Le College offre également une ample gamme de cours dans diverses matières relatives aux sciences islamiques. Les programmes et les cours s’adressent aux femmes de tous les âges et de divers niveaux d’instruction islamique. Parmi les matières, on trouve la récitation coranique (tajwîd), le dogme islamique (ʻaqîda), le droit islamique (fiqh), les portraits du Prophète (shamâʼil) et la spiritualité (tasawwuf).

 

La récitation coranique (tajwîd) fournit aux étudiantes les compétences pour réciter le Coran selon les règles de la psalmodie. Le cours de spiritualité (tasawwuf), qui est considéré comme l’essence de la religion islamique, introduit les étudiantes à des thématiques comme la purification du cœur, la vertu du repentir, le perfectionnement de l’âme et la proximité spirituelle avec Dieu. Le droit islamique (fiqh) prévoit l’étude des obligations religieuses relatives à la purification, à la prière et à d’autres questions liées à la science de la jurisprudence islamique. Le cours permet de pratiquer correctement les obligations religieuses. Le dogme islamique (ʻaqîda) tente de fournir une compréhension correcte du noyau de la doctrine islamique.

 

Parmi les aspects essentiels, on trouve les attributs divins, la prophétie et les questions qui concernent l’invisible, comme la résurrection et l’au-delà. Le cours sur les portraits du Prophète (shamâʼil) montre aux étudiantes le prophète Muhammad sous un angle nouveau. En décrivant ses nobles qualités, son caractère, ses habitudes alimentaires, son rire, sa façon de marcher, de s’habiller et d’autres aspects personnels, cette discipline présente les détails intimes de la vie du Prophète, et permet de dépasser la simple étude des événements de sa vie. Le programme en Sciences islamiques dans le contexte moderne va plus loin et comprend des matières comme l’exégèse coranique (tafsîr), la tradition prophétique (hadîth), les principes du droit islamique (usûl al-fiqh), la méthodologie des hadîths (mustalah al-hadîth), et d’autres encore.

 

Qui sont les femmes qui décident de s’inscrire au College et quel type d’opportunités de travail recherchent-elles après leur diplôme ?

 

Parmi les femmes qui s’inscrivent au College, on compte des jeunes ayant à peine terminé les études secondaires, des professionnelles, des mères et des épouses. Elles étudient aussi bien à un niveau académique de base qu’au niveau avancé. À chaque niveau, il y a le même désir d’acquérir la connaissance nécessaire pour la pratique de la foi islamique, d’atteindre une plus grande proximité avec le Seigneur et de devenir de meilleures musulmanes. Le College est fier d’aider les femmes musulmanes à atteindre leurs objectifs intellectuels et spirituels. L’instruction islamique est une vraie planche de salut pour les musulmans, un moyen de mener une vie spirituellement enrichissante. Pour le moment, comme le College a ouvert il y a peu de temps, aucune étudiante n’a encore obtenu son diplôme. Quoi qu’il en soit, les cours préparent à une carrière dans le domaine de l’instruction, afin de pouvoir enseigner dans des contextes variés.

 

Vous avez fréquenté les cours du cheikh Muhammad al-Yaqoubi. Parmi ses enseignements, lesquels ont été vos principales sources d’inspiration, en tant que femme savante ?

 

Tous les enseignements du cheikh ont été une précieuse source d’inspiration pour moi. Sa profonde sagesse, son érudition et sa connaissance sont impressionnants et s’appuient sur l’étude d’une bibliographie de plus de 500 livres dans les diverses matières islamiques, sous la conduite de son père. Il permet ainsi aux étudiants de fréquenter un solide cursus d’études traditionnelles dans un contexte académique et spirituel. Son engagement contre l’extrémisme, qu’il démontre dans son célèbre livre Refuting ISIS (« Contre l’ISIS ») mais aussi dans ses prises de position publiques dénonçant la barbarie des actes terroristes, est particulièrement inspirant. C’est une voie qui fait autorité et l’entendre dans une époque de confusion, orientant les masses sur les questions pertinentes de notre époque, c’est vraiment formidable. De plus, ses enseignements sur la spiritualité sont profonds, ils ont un effet transformateur dans le rapport avec le Seigneur, poussant à atteindre des niveaux de spiritualité plus élevés.

 

Quel rôle a joué le savoir islamique féminin dans l’histoire islamique ? Au sein de cette tradition, y-a-t-il une femme qui vous a particulièrement inspirée ?

 

L’une des caractéristiques extraordinaires de la tradition islamique est l’inclusion des femmes dans l’instruction et l’étude. Les femmes musulmanes ont atteint une position de premier rang dans le monde académique islamique. L’analyse de l’histoire islamique met en lumière un riche héritage de femmes qui se sont distinguées dans les disciplines islamiques comme la tradition prophétique (hadîth), le droit islamique (fiqh), la littérature (adab) et la spiritualité (tasawwuf). Des sommités comme Sayyida ʻÂʼisha, Zaynab bint al-Kamâl, Fâtima al-Fihrî et beaucoup d’autres ont eu un énorme impact sur la civilisation islamique. Ces femmes incroyables, d’une envergure intellectuelle et spirituelle impressionnante, sont aujourd’hui une grande source d’inspiration, tant pour les femmes que pour les hommes musulmans.

 

Sayyida ʻÂʼisha (une des épouses de Muhammad, NdlR) est une femme savante particulièrement stimulante. Abû Mûsâ al-Ashʻarî, l’un des principaux compagnons du Prophète, a dit : « À nous, compagnons du Prophète, jamais un hadîth ne nous a mis en difficulté, sauf celui sur lequel nous avons interrogé Sayyida ʻÂʼisha, quand nous avons découvert qu’elle en avait la connaissance ». Les plus illustres des compagnons venaient la consulter pour obtenir son avis. Ils témoignent de son intelligence et de son éloquence. Notre seigneur Mûsâ Ibn Talha a dit : « Je n’ai jamais vu personne plus éloquente que Sayyida ʻÂʼisha » et l’imam Zuhrî a déclaré : « Si la sagesse de Sayyida ʻÂʼisha était comparée à celle de toutes les femmes, la sagesse de Sayyida ʻÂʼisha serait supérieure ! ».

 

Sa culture s’étendait à divers sujets, comme le Coran, le droit, la poésie et la médecine. Les musulmans d’aujourd’hui, hommes et femmes, bénéficient encore, quatorze siècles plus tard, de la transmission et de la diffusion de son savoir, qui comprenait un grand nombre de narrations prophétiques. Certains événements importants pour l’histoire de l’Islam n’ont été racontés que par elle. De plus, Sayyida ʻÂʼisha est admirée pour sa dévotion et ses actions vertueuses, comme la pratique du jeune et de l’aumône qu’elles faisait aux pauvres. Elle était connue pour son altruisme. Un jour, elle reçut une grande somme d’argent, qu’elle dépensât entièrement pour aider les plus pauvres, oubliant ses propres besoins. Ce jour-là, alors qu’elle jeûnait, son assistant vint lui rappeler qu’ils n’avaient rien pour rompre le jeûne.

 

Pourquoi est-il si important de relancer l’étude de l’Islam au féminin en Europe ?

 

Un nombre important de femmes, à la fois européennes et d’identité musulmane, souhaite avoir un rôle actif pour pouvoir répondre de façon positive aux défis qu’affrontent actuellement les musulmans d’Europe. Il en résulte des communautés unies, qui partagent une même vision et des points communs, et qui sont capables de respecter les différences.

 

Les véritables enseignements de l’Islam se fondent sur les promesses sacrées de paix, miséricorde, modération et protection de la vie. Ceux qui ne partagent pas ces principes de base de la foi islamique, et qui au contraire interprètent mal ses enseignements, promeuvent des idéologies extrémistes qui ne trouvent aucun fondement dans aucun des enseignements de l’Islam. La meilleure façon de combattre l’extrémisme est de répandre la connaissance basée sur une interprétation correcte et de former de jeunes femmes savantes, enseignantes et mufti. Grâce à leur connaissance et à leur sagesse, elles sont en mesure de s’opposer aux interprétations erronées qui conduisent à l’extrémisme. La science sacrée, représentée par un patrimoine intellectuel islamique séculaire, est au cœur de l’enseignement du College. Dans le prolongement de cette glorieuse tradition, les femmes pourront contribuer fortement à la société, en parfaites ambassadrices d’un Islam modelé selon la caractéristique prophétique de la miséricorde.

 

Que pensez-vous du féminisme islamique moderne et de l’interprétation des textes sacrés selon une perspective de genre ?

 

Dans l’Arabie préislamique, les femmes étaient victimes de nombreuses maltraitances, elles subissaient de grandes injustices, elles étaient considérées comme un bien matériel et privées de leur droit d’héritage. L’infanticide des filles était une pratique endémique. Les arabes enterraient les bébés vivants, car la naissance d’une fille était considérée comme une honte. Dans ce contexte d’oppression, les enseignements et les commandements du Prophète Muhammad ont attribué des droits aux femmes, transformant leur statut, leur conférant respect et honneur au sein de la société. Il est important de souligner que, dans l’Islam, les femmes musulmanes font partie intégrante de la société.

 

Le Coran affirme : « Je ne laisse pas perdre l’action de celui qui, parmi vous, homme et femme, agit bien » (Cor. 3,195). Il y a mille quatre cents ans, les textes sacrés ont conféré aux femmes des droits inédits, révolutionnaires pour leur époque, et les femmes musulmanes d’aujourd’hui continuent à en jouir. Parmi les hadîths qui exhortent à traiter les femmes correctement, on cite : « Le meilleur d’entre vous est celui qui est le meilleur envers sa femme » et « le paradis est sous les pieds des mères ». Ce sont ces droits qui permirent à Fâtima al-Fihrî de fonder, au IXe siècle, l’une des universités et des mosquées les plus importantes au monde, la Qarawiyyîn, à Fès au Maroc. Ayant hérité d’une grande somme d’argent de son riche père, elle a choisi de la dépenser en donnant cette merveilleuse contribution à la civilisation islamique. Voilà un exemple important de la participation et de l’actions des femmes dans la société.

 

Les versets et les hadîths que j’ai cités constituent une démonstration valide de la condition positive des femmes musulmanes. Les positions du féminisme islamique et les interprétations de genre qui s’opposent aux interprétations de la tradition islamique (à cause d’une prétendue oppression patriarcale), sont discutables. Par exemple, le hidjab n’implique pas l’infériorité de la femme musulmane. C’est par leur dévotion que les fidèles se distinguent aux yeux de Dieu : « Le plus noble d’entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux d’entre vous » (Cor. 49,13).

 

En Occident, la situation des femmes musulmanes est généralement traitée à travers le filtre de questions controversées comme le voile ou les relations de genre. Les femmes musulmanes sont souvent décrites comme des victimes ou des opprimées. Quel est votre point de vue sur ce genre de débats ?

 

Dans certains contextes, la représentation contemporaine de l’Islam et des musulmans est décidément problématique. Malheureusement, la description de la femme musulmane opprimée et victime cache le fait que pour beaucoup de femmes, porter le hidjab est synonyme de joie et de dévotion religieuse. Je suis fière d’être l’une d’entre elles et les nombreuses femmes avec qui j’interagis régulièrement au niveau national ou international le sont également. Voilà pourquoi nous ne nous reconnaissons pas dans des récits qui supposent que nous sommes opprimées parce que nous portons un morceau de tissus sur la tête ou que nous adhérons à d’autres principes et pratiques religieuses.

 

Le récit de l’Islam du point de vue des pratiquants, dont la compréhension est fondée sur des interprétations correctes de la tradition islamique, contraste avec l’image des femmes musulmanes « opprimées » diffusées par les médias. Il serait bon d’aller au-delà de certaines sources d’information, qui mettent en avant une vision sensationnaliste de l’Islam. Une plus grande diffusion des récits positifs pourrait contrebalancer la déshumanisation des musulmans et déconstruire les discours erronés, pas seulement sur les femmes, mais sur l’Islam en général.

 

Il est intéressant (mais pas surprenant) de noter que l’idée de voiler la tête existe dans les autres religions abrahamiques, comme dans la tradition paléochrétienne, un phénomène qui aujourd’hui est peut-être plus évident chez les nonnes. Dans toutes les représentations traditionnelles que j’ai vues de la Vierge Marie, celle-ci porte le voile. La même pratique est également présente dans la tradition juive orthodoxe. Dans une époque de rhétorique qui divise et de narrations qui parlent de « choc des civilisations », il serait bon de se concentrer sur nos points communs et sur le désir, de la part des communautés, musulmanes ou non, de vivre ensemble de façon pacifique.

 

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Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que la responsabilité des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position de la Fondation Internationale Oasis

 

Pour citer cet article

 

Référence papier:

Safia Shahid, « Le collège où l’on devient de meilleures musulmanes », Oasis, année XV, n. 30, décembre 2019, pp. 45-51.

 

Référence électronique:

Safia Shahid, « Le collège où l’on devient de meilleures musulmanes », Oasis [En ligne], mis en ligne le 14 janvier 2020, URL: https://www.oasiscenter.eu/fr/womens-muslim-college-femmes-musulmanes-europe 

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