On vote en Turquie le 1er novembre. Pour la première fois, le président sent la compétition de l’opposition, mais les partis rivaux sont encore divisés. Craintes de possibles violences

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:29:39

Le dimanche 1er novembre, les urnes des élections législatives seront ouvertes en Turquie. Pour le gouvernement sortant de l’Akp (le Parti Justice et Développement), il s’agit de la dernière occasion de reconquérir la majorité absolue au Parlement, perdue pour la première fois depuis 2002 lors des élections parlementaires de juin. Les analystes et les observateurs prévoient un scrutin peu transparent, des tensions violentes aux bureaux de vote et un affaiblissement ultérieur de l’Akp. La tension augmente dans la population, en particulier après le carnage du 10 octobre dernier à Ankara, où 97 personnes ont perdu la vie et autant d’autres ont été blessées alors qu’elles manifestaient pour la paix dans le conflit avec les séparatistes kurdes. « Les élections seront un test pour la maturité turque », a dit Marta Ottaviani, correspondante de La Stampa à Istanbul, « parce que l’électorat devra choisir entre le président Recep Tayyip Erdoğan, sur qui pèsent entre autres de lourdes accusations sur sa contribution » au climat de tension qui a conduit au récent massacre d’Ankara, « et les leaders des autres partis qui manquent de compétence pour gouverner ». Les formations Sur la balance électorale les poids sont indubitablement différents. Pour Hamit Bozarslan, professeur d’origine turque au CETOBaC de Paris, le cadre politique actuel est ambigu et extrêmement polarisé : « Difficile de prévoir un changement significatif après les élections ». D’un côté il y a l’Akp, prêt à tout pour reprendre l’avantage au Parlement et s’engager sur la voie du présidentialisme, qui verrait Erdoğan « prendre tout le pouvoir en transformant la Turquie en un régime absolu ». La question du présidentialisme est restée stratégiquement au second plan durant la campagne électorale. Mais cela ne fait aucun doute que l’objectif du président est de modifier la Constitution. Emre Öktem, professeur de Droit international, est très sceptique à ce propos, il nous explique qu’un système présidentiel est irréalisable en Turquie : « L’histoire nous enseigne qu’un tel système est possible seulement aux États-Unis, où il est né. Il n’existe pas d’autres systèmes présidentiels ‘réussis’, où le présidentialisme ne soit pas devenu une farce ». La seule possibilité de changement de perspective peut arriver au sein de l’Akp, mais il manque des figures assez fortes pour contrecarrer l’absolutisme d’Erdoğan. De l’autre côté, nous avons une opposition désunie, dit Ottaviani, où les objectifs sont contradic-toires et qui affaiblira difficilement le gouvernement actuel, même s’il pourrait le gêner. En effet, ces dernières semaines, le parti républicain Chp et le kurde Hdp se sont rencontrés pour essayer de créer un front commun contre Erdoğan. Ils ont le nombre requis, étant donné les 130 sièges républicains au Parlement et les 80 des kurdes, et pourtant atteindre un accord semble difficile. Même Öktem soutient qu’une coalition sera possible uniquement si les leaders des partis de l’opposition seront capables de collaborer, contrairement à ce qu’ils ont fait ces derniers mois. Le cas échéant, la situation pourrait même s’aggraver. Si ensuite la coalition anti-Erdoğan devait se réaliser, elle pour-rait cependant vite arriver à échéance. Aucun de ces partis n’est habitué à gouverner, et encore moins ensemble. Le fiasco du processus de conciliation avec la population kurde, introduit par l’Akp en 2012 mais qui s’est immédiatement révélé peu concluant, a en plus créé un sens d’isolement dans l’Hdp, auquel on peut difficilement remédier aujourd’hui. Le grand absent sur la scène politique précédant les élections est le mouvement religieux Hizmet, conduit par Fethullah Gülen, allié important d’Erdoğan jusqu’en 2013, aujourd’hui son ennemi im-placable. L’erreur de Gülen, toujours selon Bozarslan, a été de vouloir jouer un rôle politique en soutenant l’Akp et en obtenant plusieurs positions de pouvoir. « Mais une fois exclu de la scène po-litique et du parti, le mouvement s’est retrouvé sans un véritable bassin électoral sur lequel s’appuyer en dehors de sa propre communauté ». Où vont les voix des électeurs La réponse des électeurs reste imprévisible pour la première fois depuis des années. L’Akp a toujours bénéficié d’un soutien hétérogène, même de la part des kurdes jusqu’en 2007. Mais depuis 2011, la fiabilité de Erdoğan a commencé à vaciller, à cause également de son attitude à l’égard des pays impliqués dans les Printemps arabes. Jusqu’en juin 2015, lorsque le parti a perdu définitivement la majorité absolue. Le bassin de votes de l’opposition, tout comme l’opposition elle-même, est divisé. Le Chp a une capacité politique plus vaste en comparaison à celle du Hdp, mais le risque existe, comme cela s’est produit les années précédentes, que l’électorat ne se retrouve pas dans les programmes des partis et se fragmente en soutenant des candidats indépendants et en dispersant les votes. Cependant, on peut supposer que la campagne du gouvernement contre les kurdes, qui s’est intensifiée ces derniers mois, provoquera un sentiment de solidarité de la part de la population. Les tensions internes et externes augmentent la peur Dans ce contexte politique chaotique, en plus du poids de la guerre syrienne voisine, le pays s’enfonce dans une situation inquiétante. Le manque de confiance dans la politique est énorme. Les attentats terroristes récents, l’infiltration toujours plus suspecte de l’État Islamique dans le pays et l’action du gouvernement contre la liberté de la presse et la liberté d’expression augmentent la peur et la panique dans la population turque. Bozarslan nous présente un tableau de la Turquie qui n’est pas vraiment positif. « Erdoğan », explique-t-il, « appartient à la jeune génération de l’Akp. Il n’y a plus rien en commun avec les idéaux des débuts du parti, soutenus par l’ex-président de la Répu-blique Abdullah Gül. La population a peur et le risque de guerre civile augmente. De nombreux journalistes ont été arrêtés et manifester l’opinion personnelle est toujours plus dangereux ». Il est difficile d’établir si les infiltrations de l’État Islamique dans le tissu politique turc sont réelles. « Une partie de l’État a flirté avec l’EIIL », nous dit Bozarslan, « mais en ce moment pour le gou-vernement la menace principale pour la stabilité du pays ce sont les kurdes, parce qu’il s’agit des seuls joueurs capables d’empêcher la réalisation des projets à long terme d’Erdoğan ». Les raisons principales sont au nombre de deux. D’un côté, Ankara a peur du Kurdistan irakien con-trôlé par l’Hdp à la frontière sud orientale turque, spécialement maintenant que les États-Unis et la Russie ont saisi leur importance dans le combat contre l’EIIL et qu’ils les financent. De l’autre côté, la menace des kurdes vient aussi du consensus interne croissant. « Je ne peux pas dire s’il y aura un Kurdistan dans le futur dans la région », admet Bozarslan, « il pourrait y avoir un Kurdistan irakien. Cependant il en existe déjà un turc, qui pour le moment se trouve sur la carte électorale et est prêt à agir pour la démocratisation de la Turquie ».

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