Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:50:42
Quand nous parlons de droits fondamentaux, nous pensons spontanément aux droits de l'homme, tels qu'ils sont définis par les Déclarations des Nations Unies, à partir de 1948. Et c'est juste en grande partie, car ces Déclarations expriment bien ce que la majorité des sociétés humaines contemporaines considèrent comme les droits les plus importants pour l'homme en tant qu'homme, notamment le droit à la vie et à une vie digne, le droit à la justice, à la liberté de pensée et d'expression, etc. En même temps ces Déclarations ne coïncident pas forcément avec tout ce que tous les croyants chrétiens et musulmans placent sous le terme de « droits fondamentaux ». D'une part certains mettent des réserves devant certains droits mentionnés dans ces Déclarations, comme notamment le droit à la liberté religieuse (entendu comme le droit d'adopter la religion ou la conviction de son choix), le droit inconditionnel et illimité à la liberté du choix du partenaire pour le mariage. D'autre part certains voudraient voir ces droits élargis à d'autres types de droits, notamment ils voudraient y voir inclus aussi les droits des communautés.
Puis quand nous abordons ce domaine des droits de l'homme, chrétiens et aussi bien musulmans considèrent que leur religion est le fondement le plus profond pour les droits de l'homme. Cependant, en considérant l'histoire moderne, qui a un l'élaboration progressive des Déclarations diverses de droits de l'homme, on ne peut nier que l'acceptation de ces Déclarations n'ait pas été évidente pour la religion chrétienne, dans tous ses secteurs, ni pour la religion musulmane.
Tout cela n'empêche pas que pour la grande majorité de nos contemporains, les droits de l'homme sont l'expression privilégiée et croissante des droits fondamentaux, des exigences de la justice. Or pour nous tous, chrétiens et musulmans, il y a un lien fondamental entre la foi et la justice.
L'homme ne peut pas donner une vraie place à Dieu dans sa vie, s'il ne donne pas une place réelle et juste à autrui. Croire en Dieu suppose un sens profond de l'altérité. Cela est la conviction de l'Islam comme du Christianisme.
Ainsi pour les croyants chrétiens et musulmans, foi et justice sont intimement liées : pas de vraie foi en Dieu sans justice, sans le respect radical de l'être humain qui est pour eux tous le sommet des créatures de Dieu : cet être humain est appelé par le Coran « le lieutenant de Dieu sur terre » et déclaré par la Bible « créé à l'image et à la ressemblance de Dieu (ce qui est dit aussi par certains Hadîth's, certaines Traditions attribuées au Prophète de l'Islam).
Cette conviction propre aux croyants de l'Islam et du Christianisme a un lien profond avec ce qu'on appelle « la Règle d'or » de l'Evangile : « Tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux » [Mt. 7, 12]. Et cette « Règle d'or » en a une parallèle dans une des Traditions du Prophète de l'Islam (qui obligent dans la mesure où on les sait être authentiques) : il s'agit du Hadîth nº 13 dans la collection des Quarante Hadîth's de Nawawî : « Tu n'es pas vraiment croyant, tant que tu ne désires pas pour ton frère ce que tu désires pour toi-même ».
Il y a ensuite eu discussion pour savoir qui est ce « frère ». Ce qui est important, c'est que Nawawî - celui qui a fait cette collection de Hadîth's dit dans son explication de cette Tradition, que « le plus probable » est que le « frère » visé ici comprend aussi bien le non-musulman (littéralement « l'infidèle ») que le musulman (« le croyant »).
Pour l'Islam la confession de l'uni(ci)té de Dieu (tawhîd) inclut l'unité et la fraternité de tous les hommes, les créatures privilégiées de Dieu, comme reflet de la confession monothéiste. Dans le Christianisme, saint Jean nous dit qu'on ne peut prétendre aimer Dieu qu'on ne voit pas, si l'on n'aime pas son frère qu'on voit [1 Jn. 4,20-21].
Pour la foi chrétienne, nous pouvons dire que ces droits fondamentaux découlent des Dix Commandements et qu'ils sont par le fait même imprescriptibles, inconditionnels. Le commandement de la charité est inséparable du Premier Commandement de l'amour de Dieu. De même, la foi musulmane considère que ces droits de l'homme sont accordés par Dieu lui-même, et là encore la conséquence est qu'ils sont imprescriptibles, et non pas laissés au bon plaisir des hommes. Notamment le caractère sacré de la vie humaine est affirmé par le Coran lui-même, quand il dit que celui qui tue injustement un homme, c'est comme s'il avait tué l'humanité toute entière, ce qui veut dire que dans sa victime il n'a pas respecté l'être humain en tant que tel ; et de même, positivement : « .. celui qui sauve un seul homme, est considéré comme s'il avait sauvé tous les hommes » [S. V, 32].
Ainsi le respect dû à Dieu et le respect dû à l'homme, sommet des créatures de Dieu, sont pour tous intimement liés, même si la façon dont la théologie et la spiritualité chrétiennes et la façon dont la théologie et la spiritualité musulmanes comprennent et fondent le sens de l'altérité n'est pas la même. Mais malgré cela, il s'agit pour tous du caractère sacré de la relation à l'autre. C'est là que nous touchons de près combien la vie spirituelle, la vie de foi, est un terrain de rencontre entre musulmans et chrétiens. Je dis bien "terrain de rencontre" et non pas "identité, absence de différence", car dans chaque religion la vie spirituelle, la vie de foi a sa structure propre, ses sources ses bases spécifiques, mais il s'agit d'un terrain de rencontre, d'un terrain où chacun peut bouger, faire des pas : des pas vers Dieu, le Dieu vivant, et ainsi des pas les uns vers les autres. Il s'agit d'une réalité dynamique qui exclut toute attitude figée, toute fermeture sur soi.
Dans cette logique, le respect des droits fondamentaux est porté par la foi en Dieu, il est initié et finalisé par cette foi en Dieu. « Dieu » y est comme le point de différence.
Cela est très différent d'une « idéologie » commune. Dieu y est « point de référence », ce qui veut dire que Dieu est Celui vers qui nous tendons tous et que nous cherchons tous, en vivant nos relations avec les autres humains, comme Il est Celui que nous adorons tous [cf. Lumen Gentium, 16]. Dieu n'est pas une « idée » commune, Il n'est d'ailleurs nullement une « idée ». Pour nous tous, Dieu est Celui qui transcende et dépasse infiniment nos idées et nos paroles, le Tout Autre et ainsi le infiniment proche. Dans ce sens Il est l'Indicible : un certain « vide », lieu du silence le plus profond. Et c'est de cette façon mystérieuse Lui qui a l'initiative de nous mettre en relation les uns avec les autres, de nous mettre ensemble, non seulement malgré nos différences, mais même dans nos différences.
Dieu comme « point de référence », comme « lieu de silence » n'est pas un « moyen » commode pour se mettre d'accord sur les droits fondamentaux. Donc cela ne dispense pas des faire recherches approfondies sur les exigences précises de chaque situation, mais aussi sur le sens réel de nos patrimoines respectifs et divers, en n'oubliant jamais que nous ne sommes pas seuls, que, au contraire, nous avons à respecter et à réaliser ces droits fondamentaux avec l'ensemble de l'humanité, croyants dans toute leur diversité et non-croyants. Mais notre attitude de foi, à nous tous, chrétiens et musulmans, nous ammènera à toujours vivre la recherche dans le respect radical et dans une écoute profonde, en sachant que notre écoute des autres tous les autres - se fonde finalement dans notre écoute de Dieu, le Tout Autre, l'infiniment Proche.