Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:51:15
Le livre publié par Madame Tymieniecka, professeur, Présidente du World Phenomenology Institute assume une importance particulière, soit pour les essais publiés, soit parce qu'il constitue le premier volume de la collection Islamic Philosophy and Occidental Phenomenology in Dialogue. Ces essais sont dus en partie à des symposiums qui se sont tenus en 2000 et en 2001 au cours desquels on a tenté d'établir et d'analyser les bases pour un dialogue entre phénoménologie occidentale et philosophie islamique. « Il y a quelque chose de nouveau dans l'air, ou plutôt d'ancien », voudrait-on dire face à une initiative qui entreprend la voie du dialogue culturel avec l'islam à travers la philosophie. Si nous observons l'histoire de la culture européenne, nous pouvons remarquer par exemple qu'à la fin de la moitié du XIIe siècle à Tolède, qui devint le plus important centre de diffusion de la culture arabe et grecque, l'archevêque, le Français Raymond de Sauvetât, fit traduire en latin par un Collegium spécial, des œuvres d'al-Fârâbî, d'Avicenne, d'al-Ghazzâli (outre celles d'Aristote et d'Avicébron). Le Collegium de Tolède acheva ainsi la traduction intégrale de pas moins de quatre-vingt-deux œuvres arabes complètes grâce auxquelles les philosophes et les théologiens de la chrétienté médiévale purent se confronter avec les philosophes arabes. Avicenne offrit la première grande synthèse spéculative de la pensée d'Aristote, une synthèse où la pensée du Stagirite était imprégnée de néo-platonisme et d'enseignements tirés de la religion islamique. Ce dernier aspect, en particulier, constituait un élément important du point de vue culturel : la tentative
d'harmoniser la philosophie aristotélique avec la
religion (islamique) ne paraissait, en principe, pas impossible. Les philosophes médiévaux se confrontèrent aussi avec Averroès qui soutint deux thèses radicales jugées problématiques : l'éternité du monde et l'unicité de l'intellect possible (qui a eu une certaine importance dans la pensée philosophique et politique moderne européenne).
C'est sur ces thèmes et sur d'autres encore qu'on réfléchit dans les essais recueillis dans le volume divisé en quatre sections : The Soul and its Passions ; The Spheres of the Mind ; Flux and Stasis ; More about the Phenomenon and its Unveiling. Deux essais apparaissent particulièrement significatifs, celui de Tymie-
niecka au début du volume The Human Soul in the Metamorphosis of Life, et l'essai de la fin du volume The Shared Quest Between Islamic Philosophy and Modern Phenomenology, de Reza Davaro Ardkani. Dans son essai Tymieniecka pose les bases de cette confrontation en réfléchissant sur les concepts fondamentaux pour la connaissance (phénomène, apparence, intuition), et sur la position de l'homme, vu comme microcosme créatif, à l'intérieur du monde. La rencontre et le dialogue avec les autres, dans la foi, dans la religion, dans les institutions est l'autre face de l'enquête sur la rationalité et sur le principe de la vie humaine au sujet de laquelle la philosophie s'est toujours interrogée. Dans son essai, Reza Davari Ardekani, Président de l'Académie des sciences de la République islamique de l'Iran, présente cinq thèmes qui peuvent être assumés par les phénoménologues et par les philosophes islamiques comme point de départ pour un dialogue culturel profond et pour apporter une contribution au débat en cours dans la culture contemporaine. Le premier sujet de réflexion commune peut être constitué par l'intentionnalité (à laquelle la philosophe islamique n'a pas prêté jusqu'à maintenant l'attention voulue) ; le second argument est le lien entre deux formes du savoir : celui qui est propre à la vie quotidienne et celui qui est authentiquement philosophique. D'autres éléments de réflexion dont l'approfondissement peut être particulièrement fructueux, compte tenu aussi du fait que soit la phénoménologie soit la philosophie islamique s'interrogent en premier lieu sur les essences, sont la place de l'historicité dans le savoir philosophique et dans la connaissance humaine et la distinction entre perception et aperception, explorée par la phénoménologie et par l'important philosophe persan Mullâ Sadrâ (1571-1740), qui est pris comme terme de comparaison dans beaucoup d'essais. Enfin l'auteur invite à remettre au centre la question de la Sophia Perennis, thème classique, revenu à la surface dans la réflexion de Husserl sur la crise de la science et sur le destin de la philosophie, thème cher à la philosophie islamique.