Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:49:58
Auteur:
AMSELLE J.-L.
Titre:
Branchements, Anthropologie de l'universalité des cultures
Editeur:
Flammarion, Paris 2001
Trad. it.:
Antropologia dell'universalità delle culture, Bollati Boringhieri, Torino 2001
Logiques métisses, comme l'ouvrage précédent, Branchements, naît aussi d'un travail sur le terrain, effectué dans les capitales de trois pays africains : Bamako au Mali, Le Caire en Egypte et Conakry en Guinée. Le fil conducteur de ce nouveau travail, comme explique Amselle, « concerne les thèmes de la "connexion" : de cette façon on a voulu éloigner le thème précédent, celui du "métissage", qui nous semble marqué par la biologie » (p. 7). Cet éloignement, au dire d'Amselle, ne semble pas être seulement une question de vocabulaire : « en recourant à la métaphore électrique ou informatique de la connexion, c'est-à-dire à celle d'une dérivation de signifiés particularistes par rapport à un réseau de signifiés planétaires, on prend les distances de l'approche qui consiste à voir dans notre monde globalisé le produit d'un mélange de cultures vues à leur tour comme des univers fermés, et on arrive à mettre au centre de la réflexion l'idée de triangulation, c'est-à-dire de recours à un troisième élément pour fonder la propre identité » (p. 7). Le but de ce livre est donc d'essayer de soutenir le pari de l'interculturel d'une façon plus convaincante de ce qu'il serait possible en utilisant la métaphore du métissage : celle-ci, selon Amselle, courait le risque de s'approcher du mythe de Babel, selon lequel l'incommunicabilité entre les hommes naît précisément du mélange chaotique des langues, engendré par la juxtaposition des différentes communautés humaines. Au contraire, la métaphore de la connexion semble obéir à un schéma babélique renversé : « dans le schéma de la connexion, c'est justement l'interconnexion qui est la condition de l'existence de la communication interculturelle ».
L'idée d'Amselle n'a pas changé : il n'y a pas de culture sans cultures et cela vaut pour toutes les époques. La nouveauté par rapport à Logiques métisses se trouve dans la prudence particulière avec laquelle on agit pour ne pas tomber dans une dangereuse équivoque : en faisant du phénomène de mobilité généralisée des cultures (traveling cultures) un processus d'homogénéisation de segments épars, l'idée de métissage « trahit son appartenance à une problématique biologique qui représente l'équivalent de ce qui, sur le plan économique, constitue la théorie de la mondialisation » (p. 21) . L'idée que l'origine d'une culture est déjà en soi une connexion, c'est-à-dire quelque chose qu'il n'est pas possible de fixer et de cataloguer, représente pour Amselle les prémisses théoriques pour soutenir une anthropologie de l'universalité des cultures : les particularismes locaux, en effet, loin de rester isolés dans une incommensurabilité relativiste, « s'inscrivent toujours dans le cadre d'un système plus ample, qui leur donne un sens » (p. 46). On le comprend en étudiant, par exemple, les phénomènes de mondialisation religieuse et linguistique qui se sont produits en Afrique : « à une domination arabo-musulmane qui a induit la naturalisation et l'indigénisation des signifiants universels dans les langues locales, correspond une domination occidentale-chrétienne qui, à son tour, s'est manifestée au moyen de la traduction du signifiant planétaire chrétien dans les différents idiomes culturels africains » (p. 58).
C'est justement cette compénétration-connexion qui est la démonstration, selon Amselle, que les grandes religions sont « des univers particularisés » et que « l'universalisme, loin de contraster la manifestation des différences est, au contraire, le moyen privilégié de leur expression » (p. 46). Il reste seulement un doute : est-il tout à fait vrai - comme semble soutenir Amselle - que l'universel est seulement le "planétaire" ? Dans d'autres termes, si on donne certainement des "signifiants" universels dans le sens d'étendus à la globalité de la planète, il est possible d'affirmer qu'il existe aussi des "signifiés" universels dont la valeur ne dépend pas de leur déclination empirique pourtant nécessaire (historico- géographique), mais de la qualité anthropologique qu'ils sont en mesure de véhiculer ?