Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:38:15

Aujourd’hui, dans les différents domaines de la foi, l’interprète du texte règne en souverain absolu. Tout texte révélé a besoin d’interprétation. Les ambigüités apparentes requièrent une exégèse attentive ; la mise en contexte historique apporte des connaissances de base pour la révélation. Au Moyen-Age par exemple le monde islamique déploya beaucoup d’énergie intellectuelle pour tenter de comprendre les versets du Coran d’apparence anthropomorphique : fallait-il prendre les références à la face de Dieu ou à la main de Dieu au sens littéral, ou étaient-ce des métaphores pour exprimer une autre réalité ? Ou bien fallait-il les accepter simplement sans se poser de question sur leur modalité (bilā kayf) ? Autre question qui en découlait : qui avait l’autorité pour interpréter ? Qui avait l’autorité pour proclamer le texte ? Aujourd’hui, l’Islam doit affronter le même genre de défis, encore que ceux-ci ne se présentent pas toujours sur le mode de la théologie. Il affronte le triple défi d’interpréter son idéologie sur une base textuelle, de réagir au sécularisme, et d’adopter, intégrer ou rejeter la modernité. Et il y a de nombreuses articulations de l’Islam, beaucoup d’aspects –et parfois différents- de l’idéologie qui se trouvent confrontés à une pléthore immense de sécularismes et de modernités. Comment une religion mondiale comme l’Islam affronte-t-elle de tels défis, en donnant une interprétation d’elle-même au monde, et du monde à elle-même ? Ce numéro d’Oasis nous offre le contexte, la discussion et quelques réponses. Nous avons parcouru une longue route depuis l’aube de la Renaissance, alors que –comme l’a suggéré le cardinal Scola- il était presque impossible de ne pas croire en Dieu. Mais aujourd’hui, c’est Richard Dawkins plutôt que le théiste qui attire les feux de la rampe ! Pourtant, comme Son Éminence le suggère, il faut focaliser l’attention sur ce mot à la mode par lequel j’ai commencé, interprétation. Le Cardinal le souligne lorsqu’il dit : »De là vient, et c’est notre tâche spécifique de chrétiens, la nécessité d’une nouvelle interprétation culturelle de la foi, et de façon plus générale, des religions » (cf. p. 8). Il souligne aussi que cette volonté ne se traduira pas par de « nouvelles théories ni mots d’ordre » mais en vivant la plénitude de la foi chrétienne en chrétiens. Le pape François nous en offre un exemple remarquable. Ce numéro d’Oasis illustre à la fois les méthodes pour interpréter et dialoguer, et la manière dont nous pouvons articuler une telle interprétation culturelle de la foi. Rémi Brague insiste sur le point suivant : « La questionn’est donc plus de savoir si nous pouvons nous passer de Dieu. La question est désormais de savoir …. quel genre de Dieu il nous faut » (p. 16). On voit ce qu’il veut dire. L’homme est toujours en train de modeler Dieu à sa ressemblance intellectuelle et émotionnelle, mais l’accent ici est mis sans aucun doute sur le mot « besoin ». Augustin –célèbre est sa méditation- observait que nos cœurs ont été faits pour Dieu, et qu’ils ne connaîtront jamais le repos tant qu’ils ne reposeront pas en Lui. Besoin et foi s’entrecroisent sans aucun doute, et peuvent servir come réfutation à cette sécularisation dominante qui requiert, comme l’affirme Francesco Botturi, de toutes façons une clarification adéquate (p. 17). Le Professeur Olivier Roy, au début de son article, nous ramène au vieil adage selon lequel l’Islam est un, une Voie de Vie, et que, techniquement, il ne devrait pas y avoir de séparation entre la politique et la religion (p. 31). Nous voici de nouveau dans le domaine –théologique, dogmatique, linguistique- de la manière dont on interprète un seul mot vital comme Islam, dont les différentes modulations et interprétations ont eu des conséquences différentes pour l’humanité, de ses origines jusqu’au XXIème siècle. L’Islam affronte ce que nombre de ses adeptes considèrent comme des spectres, c’est-à-dire la démocratie, la modernité et le sécularisme. Choisit-il les sentiers de la violence et une interprétation étroite du Petit Jihād ? Ou choisit-il la voie de la diversité, de la tolérance et de la coexistence, en gardant toujours bien à l’esprit l’injonction du Coran, selon laquelle il ne saurait y avoir de constriction en religion (lā ikrāha fî’l din : Q.2 :256) ? (cf. p. 36) Il s’ensuit que les interprétations des textes devraient s’efforcer d’être pacifiques, et observer avec une juste considération les circonstances de leur révélation (asbāb al-nuzūl). Mettre l’accent sur notre humanité commune devrait suffire (cf. p. 37). La foi peut donner l’essor à la compréhension (voir la citation du pape François, Lumen Fidei, p. 64) sur le plan théologique et exégétique, et cette compréhension peut faire naître le dialogue sous toutes ses différentes formes. Ce peut être un dialogue avec un témoin en exil, de loin, d’une ville à grande distance comme Paris (cf.p. 81) ou le dialogue d’une simple présence telle que l’ont admirablement réalisé les sept moines cisterciens martyrs de Tibhirine (p. 91). Ils ont choisi « de rester dans une Algérie tourmentée par la violence, témoignant ainsi qu’il est possible d’instaurer un dialogue existentiel avec les musulmans, un dialogue capable de remplir le quotidien et l’éternel » (p.91). Quel que soit le mode du dialogue, l’interprétation en restera la clé. Ce numéro d’Oasis offre le témoignage d’une grande variété de rencontres et de dialogues, il révèle et interprète les histoires vécues par plusieurs de ceux qui se sont engagés dans cette voie. Il les met en opposition, et le souligne, face à certains extrêmes de violence et de fanatisme assumés par ceux qui sont, de toute évidence, des interprètes textuels sélectifs.