Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:43:55
Mon Père, à votre avis quel sens pourrait avoir le fait de parler de tradition au sein de sociétés toujours en plus rapide transformation et à l’intérieur d’un processus de rencontre, voire de choc, entre des peuples et des cultures comme celui actuel?
La tradition est toujours une valeur ajoutée. Transmise de génération en génération, elle constitue le patrimoine de chaque communauté garantissant ainsi la continuité. Il n’est pas possible de penser la vie d’une personne, ni celle d’une civilisation en dehors de ce lien avec l’histoire, avec le passé.
Vous vous intéressez depuis plusieurs années aux pays et sociétés asiatiques. Comment les traditions, en particulier celles religieuses, sont-elles vécues à travers ce continent?
Je pense pouvoir dire qu’au sein de nombreux peuples asiatiques les traditions se sont endurcies: cela se produit dans certaines sociétés islamiques, mais également dans d’autres religions. Par exemple il existe des modalités de transmettre les croyances bouddhistes ou celles indu, qui se sont un peu ankylosées. Ce qui est transmis sont des choses à faire ou des valeurs morales, séparées de la vie de ces communautés religieuses. En général cela très souvent pousse les jeunes à les assumer de manière critique et à les considérer comme un lest plutôt que comme une ressource. En Iran par exemple, beaucoup de jeunes, justement parce qu’ils se voient proposer une tradition affirmée de manière schématique, acritique, deviennent en fait athés. De même il se produit que, par exemple, même en Inde avec l’indouisme, pesamment entamées par l’influence du sécularisme. Ici les traditions sont reniées pour laisser lieu et place de d’autres valeurs : la carrière, la vie dans les villes, l’individualisme. Au fond le problème irrésolu est celui du rapport entre la religion et la modernité. D’autre part la laïcisation, le sécularisme mine toutes les traditions, celles chrétiennes également. De nombreux chrétiens qui vivent dans les villages et déménagent dans les grandes dans les villes, surtout dans les grandes villes chinoises, indiennes ou moyen orientales trouvent des difficultés à vivre leurs propres traditions. Cependant si la tradition n’est plus la transmission, communication d’une vie, alors il devient tout aussi difficile de rencontrer les autres religions.
Dans ce sens, peut-on tracer un parallèle entre les sociétés laïques européennes et certains pays du continent asiatique?
Toutes les traditions religieuses se voient obligées de faire leurs comptes avec le rapide processus de laïcisation, avec une culture et un type de vie, par principe hostile à la foi et à la religion. Voilà pourquoi les jeunes surtout vivent une scission qui leur est transmise et les valeurs vers lesquelles ils se voient attirées : la carrière, le pragmatisme, l’argent ou une vie individualiste. Très souvent ils choisissent ces dernières au lieu de chercher de vivre la tradition religieuse au sein même de la ville, au sein même de la modernité.
Le risque opposé est celui d’embrasser une tradition dans son ensemble même quand elle est proposée à nouveau dans une manière quasi sclérotique, comme il advient dans le cas du fondamentalisme. Quels sont les pays de la région asiatique les plus exposés à ce risque de dérive?
Je pense que ce risque est présent dans de nombreuses sociétés. Un pays symbole est l'Arabie Saoudite, où les religions diverses de celle islamique sunnite sont sujettes à une interdiction radicale de s’exprimer publiquement, empêche les populations de se mesurer avec d’autres communautés. Un autre exemple est constitué par quelques états de l’Inde, par exemple l’Orissie, dans lequel on a assisté à de terribles violences contre les chrétiens à l’œuvre de communautés indu qui refusent a priori le témoignage des chrétiens. Ils n’acceptent pas ce que l’on pourrait définir le caractère transformant que le Christianisme assume à l’égard de la société moderne
Durant la rencontre Comité scientifique d’ Oasis, il a été sujet d’interprétation culturelle de la tradition, en d’autres termes la capacité de lire cette dernière à la lumière des circonstances historiques dans lesquelles l’on se situe. A votre avis cela pourrait constituer une voie praticable pour les pays asiatiques également ?
Je pense que cela est nécessaire. Il est impossible de transmettre sa propre tradition, sa propre foi sans passer à travers la culture. Le problème est qu’une approche fondamentaliste finit par “congeler” les valeurs de la tradition et de la culture en un schéma rigide au lieu de le proposer telle un parangon, comparaison continue avec ce que la personne désire.
Quelles sont, à votre avis, les issues de sortie de cette situation ?
Je pense qu’il est nécessaire de travailler sur deux aspects : le premier est la valorisation de l’éducation et la promotion de l’école libre. Et l’école libre pour les musulmans en Europe ou en Amérique et pour les chrétiens dans les pays islamiques. Sur cela chrétiens et musulmans devront faire un travail commun.
L’autre aspect est le défi que la laïcisation impose aux croyants de toutes les religions: Il y’à de nombreuses thématiques, par exemple la valeur de la famille ou la valeur de la vie sur lesquelles chrétiens, musulmans et d’autres religions pourraient trouver un accord très fort. Mais pour pouvoir travailler ensemble chrétiens et musulmans doivent avant tout renoncer à la violence
* Entrevue réalisée aux soins de Michele Cisco