La déclaration signée au Maroc invite à un renouvellement de l’interprétation des textes sacrés pour combattre les distorsions de l’extrémisme

Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:28:00

Du 25 au 27 janvier 2016 a eu lieu à Marrakech un colloque international qui a regroupé quelque 300 personnalités venues de quelque 120 pays, principalement des pays musulmans, mais aussi d’Europe et des Etats-Unis. Il a été organisé conjointement par le Ministère marocain des Habous et des affaires islamiques et le Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes (fondation basée aux Emirats Arabes Unis et dirigée par Abdullah Bin Bayyah, mauritanien, professeur de sciences islamiques en Arabie Saoudite, qui est également membre du ‘Conseil européen de la Fatwa et de la recherche’ proche des Frères Musulmans). Le thème en était : « Les droits des minorités religieuses dans le monde islamique ». Au terme des débats, ces participants, oulémas et penseurs musulmans, « soutenus par leurs frères des autres religions » (effectivement, des personnalités religieuses chrétiennes, par exemple, y avaient été invitées, dont l’archevêque de Rabat et la présidente de l’Eglise évangélique au Maroc), ont fait une déclaration intitulée « Déclaration de Marrakech sur les Droits des Minorités Religieuses dans le Monde Islamique ». Comment se présente cette déclaration ? Il s’agit d’un argumentaire destiné à promouvoir une actualisation, voire une réforme des textes régissant le statut des minorités non-musulmanes dans les pays à majorité musulmane. Quels sont les points forts de cet argumentaire ? La première partie est « un rappel des principes universels et des valeurs fédératrices (ou consensuelles) prônées par l’Islam » :
1. Le document reconnaît d’emblée l’existence d’une même et unique humanité et affirme que cette unité a été voulue par Dieu. Tous les êtres humains sont bien enfants d’un même père Adam (§1-3) [et d’une même mère Eve !] 2. L’une des facultés qui caractérisent l’être humain est sa liberté, ce qui implique la faculté de choix, et tout particulièrement pour ce qui est de la religion (§2) 3. L’un des fondements de toute société est le principe de justice. C’est « une norme de conduite pour tous les humains afin de prévenir toute tentation de haine et de violence » (§4) 4. La paix est une valeur privilégiée en Islam, et doit être la finalité suprême de la Loi sacrée (Chari3a) (§5) 5. « L’islam incite à la charité et à la bienveillance envers autrui, sans distinction » (§7), et le prophète Muhammad a été envoyé par Dieu « comme une miséricorde aux mondes » (§6).
La seconde partie est une référence à la Charte de Médine comme « base de référence pour garantir les droits des minorités religieuses en terre d’Islam ». Déjà, dans la première partie, il avait été rappelé que « la Loi islamique tient au respect des contrats, des engagements et des traités » (§8). La Charte de Médine a été « rédigée par le prophète Muhammad pour être la constitution d’une société multiethnique et pluriconfessionnelle » (§9). Même si, historiquement, elle n’a été conclue qu’entre les juifs de Bani Ouaf d’un côté et les musulmans et leurs alliés de l’autre, on peut la considérer comme tout à fait exceptionnelle à son époque car :
- « sa vision universelle de l’Homme […] n’évoque ni minorité ni majorité, mais renvoie à l’idée d’une existence de diverses composantes au sein d’une seule nation (en d’autres termes de citoyens) » (§11a) - cette charte n’a pas été «la conséquence de guerres ou de luttes », mais «elle découle, plutôt, d’un contrat entre des communautés vivant initialement en bonne intelligence et dans la paix ». (§11b)
Cette charte pourrait donc aujourd’hui « fournir aux Musulmans une base de référence fondatrice de la citoyenneté. La troisième et dernière partie veut être un «exposé des fondements méthodologiques de la position canonique concernant les droits des minorités ». Il s’agit donc ni plus ni moins que de fournir des règles pour une bonne exégèse des textes fondateurs de l’islam. Enfin la conclusion se présente comme une multiple invitation :
- aux ouléma et aux penseurs musulmans à « s’investir dans la démarche visant à ancrer le principe de citoyenneté, qui englobe toutes les appartenances […]». - aux institutions académiques et aux magistères à « réaliser des révisions courageuses et responsables des manuels scolaires », pour « corriger les distorsions » incitant « à l’extrémisme et à l’agressivité » qui alimente[nt] les guerres et les dissensions et sape[nt] l’unité des sociétés ». - aux responsables politiques et aux décideurs à « prendre les mesures constitutionnelles, politiques et juridiques nécessaires pour donner corps à la citoyenneté contractuelle » et à « appuyer […] les initiatives visant à raffermir les liens d’entente et de coexistence entre les communautés religieuses vivant en terre d’islam » - aux intellectuels et aux différents acteurs de la société civile à « favoriser l’émergence d’un large courant faisant justice aux minorités religieuses dans les sociétés musulmanes et suscitant une prise de conscience quant aux droits de ces minorités ». - aux différentes communautés religieuses « unies par le même lien national » à « reconstruire le passé par la revivification du patrimoine commun et à tendre les passerelles de la confiance, loin des tentations d’excommunication et de violence ». - à la communauté internationale à « édicter des lois criminalisant les offenses aux religions, les atteintes aux valeurs sacrées et tous les discours d’incitation à la haine et au racisme ».
Que penser de cette déclaration ? Comme nous l’avons dit plus haut, elle ne fait qu’inviter à ouvrir un chantier. Le travail proprement dit n’a même pas encore été commencé. Il faut donc attendre pour voir si elle sera suivie d’effet dans les différentes sociétés musulmanes. Ceci dit, le texte de la déclaration est tout à la fois courageux et déterminé. Courageux, car il se place d’emblée dans une perspective contemporaine, en allant par-delà des siècles de luttes et d’incompréhensions, se placer sur le terrain d’un concept « moderne », celui de la citoyenneté contractuelle où les différents membres d’une même nation sont placés sur un même niveau d’égalité juridique, ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs, quelle que soit par ailleurs leur appartenance religieuse. Pour ce qui est du Maroc, il faut noter que, dans l’esprit de cette déclaration, le roi Mohammed VI, au cours du conseil des ministres tenu le 6 février à Laâyoune -donc juste une dizaine de jours après ce colloque - a demandé au gouvernement de mettre en place au plus tôt une réforme des programmes et des manuels d’instruction religieuse musulmane (Tarbiya islamiya), matière obligatoire dans le cursus scolaire dès la 1ère année de l’école primaire et jusqu’au baccalauréat inclus. C’est un signe fort qui augure bien de l’avenir.