Avec la montée de l’extrémisme islamiste, on cherche à identifier de nouveau la religion avec la violence et à chercher des solutions laïques et antireligieuses
Dernière mise à jour: 22/04/2022 09:04:28
C’est une chose différente de parler de « violence au nom de la religion » ou de « violence religieuse ». Personne ne peut en effet nier l’existence d’actes violents perpétrés au nom de la religion. Il est même évident que, au cours de notre histoire et de nos jours, parmi les actes de violence et de terrorisme les plus abominables, on trouve ceux dont les auteurs tendent à se légitimer eux-mêmes en termes religieux. […] Le théologien catholique américain William Cavanaugh soutient que : « la violence de la religion fait partie des mythes fondateurs de l’identité occidentale parce qu’elle aide à établir un ‘autre’ absolutiste et irrationnel, vis-à-vis duquel l’organisation socio-politique séculière de l’Occident apparaît modérée et rationnelle. Le mythe est utilisé pour légitimer la diffusion d’idéaux occidentaux, y compris par des moyens violents »1. Bien qu’incohérente, l’idée que la religion est encline à la violence établit donc une opposition binaire entre « l’Occident séculier » et un « autre », religieux, essentiellement irrationnel et violent. Le conflit est ainsi expliqué en termes relevant de l’essence des deux adversaires, et non en termes de rencontres concrètes historiques. On comprend bien que cette position idéologique plonge ses racines dans la période des « guerres de religion » en Europe, qui laissèrent sur le continent au XVIème et XVIIème siècle de nombreuses victimes et une grande destruction. Le sécularisme radical qui en émergea dans ce contexte estime que cette expérience nous a montré combien la religion peut être source de violence extrême : pour lui, seules une approche et une autorité séculières peuvent apporter la paix à la société. Cette opposition de rationnel et irrationnel, séculier et religieux, occidental et musulman, n’est pas seulement descriptive, mais contribue à créer l’opposition même qu’elle affirme décrire. Cette opposition fait partie d’un récit plus vaste relevant des Lumières, dans lequel il faut, pour définir la raison, un « autre » qui soit irrationnel. En d’autres termes, l’opposition d’une « violence religieuse » et d’une « propension séculière à la paix » peut fournir elle-même la justification de la violence. Sans aucun doute, les deux guerres mondiales du XXème siècle, avec leurs idéologies nazie et communiste destructrices, ont fait la preuve que la violence ne peut être imputée à une seule et unique catégorie sociale comme la religion, et qu’il est même dangereux de le croire. Nous devons toutefois reconnaître que la montée actuelle de la violence à des niveaux extrêmes – nous nous référons évidemment au terrorisme et aux atrocités de Daech qui prétend agir au nom Allah et de l’Islam– propose de nouveau le défi dont parle Cavanaugh, dans la mesure où les personnes tendent à identifier la religion avec la violence et à chercher des solutions séculières et antireligieuses. L’histoire nous enseigne aussi que la violence la plus destructrice pour la crédibilité religieuse est celle qui agit sur la division à l’intérieur même de la religion, comme dans les guerres entre catholiques et protestants ou aujourd’hui dans ce que l’on appelle le conflit sunnites-chiites. En conséquence, l’analyse de Cavanaugh n’est pas un argument suffisant pour affirmer l’innocence de la religion vis-à-vis de la violence. Tant que la religion sera utilisée pour justifier ou légitimer la violence et, en particulier, la violence intra-religieuse ou inter-religieuse, ou sera incapable d’instaurer la paix, le problème du lien avec la violence restera concret. […] * Extrait de l’intervention du P. Fadi Daou, président de la Fondation Adyan, au séminaire du Comité conjoint pour le dialogue entre le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et al-Azhar, 22-23 février 2017. 1 William Cavanaugh, The Violence of Religion: Examining a Prevalent Myth, Kellogg Institute Working Paper (312) 2004, University of Notre Dame, Indiana, 32.